Quelqu’un cogna à la porte. Lisa est allée répondre.
« Oh, bonjour, Annabelle… Rentres, Harold est à se préparer… Je jure… Je crois que depuis qu’il est plus souvent ici au centre, il a oublié comment s’habiller. »
Annabelle rit. « Je sais ce que tu veux dire. Ce fut tellement ‘collet monté’ chez Harriman et Nichols ; je n’avais pas réalisé à quel point que s’est libérateur de pouvoir se promener que dans sa peau. J’ai détesté m’habiller ce matin. »
« Parlant de s’habiller, » commenta Lisa, « j’adore ton costume. »
Annabelle portait un casque de bombardier en cuir, complet avec lunettes, un foulard de trois mètres de long, un veston de bombardier doublé, un tee-shirt aux motifs de ‘Jenny Everywhere’, des jeans foncés moulants et des vieux tennis. ‡
« Ouais… bien… puisque je devais m’habiller de toute façon, aussi bien le faire avec de la classe. »
« Excuse-moi… » Lisa tourna et cria par-dessus son épaule. « Allez, Harold… Tu vas être en retard. Annabelle est arrivée. »
Harold sortit de la chambre à coucher pour rejoindre les dames ; il portait des jeans et un veston safari. Lui et Annabelle étaient à emmener les neuf jeunes de l’école secondaire (deux autres se sont joints au groupe depuis le début de novembre) vers la Capitale pour une visite du parlement dans le contexte du cours d’éthique.
« Que vas-tu faire pendant que nous serons partis, » demanda-t-il.
« J’irai travailler sur ma thèse ; j’aimerais pouvoir la présenter au début de la semaine prochaine. Je pourrais alors respirer un peu ; ce sera une chose de moins à me soucier. »
« Si tu voudrais, Lisa, je pourrais la dactylographier pour toi ; les affaires sont tranquilles avec Noël qui approche. »
« Me ferrais-tu ça… ? Ce serait merveilleux. »
« Il n’y a pas de quoi ; cela me permettrai du fait même d’apprendre un peu plus sur ton école. Je trouve ça fascinant. »
« Bon… nous voilà partis… Nous devrons être de retour vers les six, sept heures ce soir, » dit Harold.
« Parfait. Bonne route. »
-O-O-
Dès qu’ils furent hors de vue, elle tira un pashmina par-dessus ses épaules nues et se rendit vers l’école secondaire vide. Elle entra dans son bureau, lança son pashmina vers un fauteuil, chargea sa machine à espresso avec des graines de café et de l’eau fraiche et la partit ; elle pensa beaucoup s’en servir ce jour-là.Sa première tasse d’espresso sucrée comme elle l’aime, elle commença par mettre de l’ordre dans tous ses documents de référence sur sa table de réunion ; les exigences de l’État pour la certification des enseignants sur une pile, les documents à propos des écoles de Sunny Acres du Comité de supervision des écoles à chartes sur une autre pile, les syllabus de l’État et de la Société Montessori sur encore une autre.
Puis, elle prit sa tasse d’espresso et recula de quelques pas. Elle laissa son cerveau se vider et ne fit que regarder vaguement les piles de documents sur la table. Après dix, quinze minutes, elle commença à voir des liens se construire entre les piles, comme des lignes lumineuses dorées. Avalant le reste de son café, maintenant froid, elle se dirigea vers son bureau, ouvrit son portable et commença à taper rapidement et en continu.
Trois heures plus tard, elle arrêta, s’étira puis regarda le compteur des mots… pas pire, elle avait tapé quelques huit mille mots. Elle se leva et démarra la machine à espresso pour une autre tasse. Elle fut très satisfaite de ce qu’elle avait produit jusqu’ici ; ce fut une bonne introduction vers la partie principale de sa thèse.
Maintenant… comment allait-elle attaquer la partie suivante ; prouver que l’environnement naturiste, combiné à la Méthode Montessori, furent la façon idéale de nourrir le potentiel d’un ado tout en protégeant son image de soi fragile. Elle pensa à Roy, son plus récent élève.
Voici un garçon qui vivait dans un milieu familial heureux, avec des parents qui ne voulurent que le mieux pour lui. Il avait fréquenté une prématernelle Montessori dans le nord de l’État puis ont poursuivi en l’inscrivant dans une école primaire Montessori. À cause de l’emploi du père, ils furent obligé à déménager vers une ville qui ‘avait aucune école Montessori du tout, sans parler d’une école secondaire Montessori. Après un mois dans le régime publique, le jeune s’était enfuit de la maison et a fait, par lui-même, les quelques quatre cents kilomètres pour se rendre à Sunny Acres et a demandé d’être admit.
Cela avait pris trois semaines de négociations intenses avec les parents de Roy, avec April Hastings, le Bureau de la Jeunesse de l’État et avec elle-même pour mener cette affaire à une conclusion satisfaisante. Roy était actuellement en pension avec Morag, ce qui fut fascinant en lui-même puisque la famille de Roy était anglicane.
Elle s’est retournée vers son portable. Utilisant l’histoire de Roy comme trame de fond, elle avança que les jeunes, s’ils avaient la chance et l’encouragement de choisir librement, choisiraient invariablement l’environnement qui maximiserait leurs potentiels d’apprentissage. Elle compara les méthodes d’enseignement conventionnelles où l’étudiant devait filtrer toute la grenaille de l’apprentissage monotone pour retrouver les quelques pépites qui pourraient y trouver à la Méthode ouverte de Montessori où le jeune fut encouragé à creuser à même le filon-maître. Elle argumenta aussi que sa façon de se fier sur des personnes-ressources de la communauté remplaça amplement le manque de support didactique tellement nécessaire aux systèmes scolaires conventionnels.
Quand elle avait terminé cette deuxième volée dactylographique, il était une heure passé et elle avait faim. Elle décida de se rendre au Bare Pit pour une soupe et un sandwich. À la table voisine, plusieurs résidents de longue date furent encore à traîner au-dessus de leurs cafés. Ariel Liebheer était à décrire le Bar Mitsvah de son petit-fils à Herb Gold et Rosa Kellerman et Lisa les écoutaient sans y prêter une attention particulière. D'un coup, quelque chose que Rosa dit attira son attention mais, après l’avoir mentionné, la conversation dévia vers d’autre chose et la curiosité de Lisa fut inassouvie.
Terminant rapidement son repas, elle se dépêcha vers son école et, avec son portable, partit à voguer le ‘Net pour la bribe d’information qui lui intriguait. Finalement, voilà ce qu’elle cherchait. Pendant ses années à l’université, elle participa fréquemment à des discussions informelles au tour d’une table à la cafétéria. Or dans l’une de ces discussions, on était à parler de la Loi juive et de la raison d’être du bar mitsvah et du bat mitsvah.
Selon la page de Wikipédia qu’elle consulta, de par le rituel du bar mitsvah et du bat mitsvah, des garçons de treize ans et des filles de douze ans furent déclaré adultes et avaient dorénavant les droits et les obligations suivants ;
La responsabilité morale de leurs gestes
Le droit de pouvoir lire du Torah à la synagogue et de participer à un Minyan
Le droit de pouvoir posséder des biens en son propre nom
Le droit de se marier selon la Loi juive
Et l’obligation de respecter les 613 Lois du Torah et les règlements du Talmud.
Un de ses amis à l’université lui avait dit que l’une des principales responsabilités de toute personne d’origine juive fut d’étudier la loi et qu’avec l’avènement de la puberté, il fut quasiment impossible de se concentrer avec toutes ces belles filles aux alentours. Il ajouta d’un air cynique que la raison qu’on avait introduit le bar mitsvah fut de permettre un garçon de faire l’amour avec une fille sans rancune afin qu’il puisse vider ça de son système et de retourner à ses études.
Au moment d’entendre ce commentaire, elle l’avait classé dans son cerveau avec tous les autres ‘faits’ inutiles à retenir. Maintenant, par contre, en tant que directrice d’une école secondaire naturiste, ce fait inutile lui revint à l’esprit comme une douche froide. L’étude de Vénéra avait déjà confirmé dans son esprit que la curiosité intellectuelle que démontraient ces gens qui continuèrent leur formation au-delà du stricte nécessaire fut étroitement lié à leur choix d’explorer un environnement naturiste. La conclusion inévitable fut que les vêtements nuisent au bon fonctionnement de l’esprit créateur car ils agissent comme des distractions. Voici, alors, un fait, vieux de cinq mille ans, qui vint confirmer, comme par hasard, la vérité de cette conclusion.
Avec cette percée en tête, elle attaqua son portable de plus belle. Elle fut encore à taper quand Harold est venu à sa recherche à sept heures trente.
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