RetraitImaginé en 1952 « Le monde du fleuve », premier tome de la série « Le fleuve de l’éternité » est publié en 1971. Dans ce roman, écrit par Philip José Farmer, tous les êtres humains nés de la préhistoire à l’an 2008 ressuscitent le long d’un fleuve de près de 16 millions de kilomètres de long. Tous les âges sont mélangés, comme les régions et il n’est pas rare de voir se côtoyer des Scythes du 4ème siècle avant JC avec des polonais du 17ème siècle ou des anglais du 20ème siècle avec des chinois du 13ème siècle. Quelques aventuriers, tel Richard Francis Burton (qui découvrit le lac Tanganyika et –presque- les sources du Nil, pénétra déguisé dans la cité interdite de Hara, accomplit le pèlerinage de la Mecque sans être musulman, mais aussi traduisit le Kama Sutra et les contes des Mille et une Nuits. Érudit, il parlait 29 langues et 11 idiomes), Samuel Langhorne Clemens, alias Mark Twain, Jean sans Terre, Savinien Cyrano de Bergerac, Alice Pleaseance Leadell Hargreaves (qui inspira Alice au pays des merveilles) partent à la conquête des pôles de cette planète afin de découvrir l’identité de ceux qui les ont ressuscités.
RetraitDans cette série de romans, tous les personnages ont existé ou existent encore. J'ai respecté ce principe.
-CHAP.1-
Retrait- Réveille-toi, Madame ! Tu vas rater le petit déjeuner !
RetraitLa voix s’était exprimée dans un espéranto empreint de consonances que Jeannette ne reconnu pas. Peut-être une langue du nord ou ancienne comme le gaélique. Le rire moqueur de la petite fille résonna dans sa tête. Elle ouvrit les yeux pour voir le visage rond de l’enfant penché sur elle.
RetraitCelle-ci devait avoir huit ans et son air espiègle contrastait avec son visage que n’encadrait aucun cheveu. Ses yeux verts pétillaient de malice et toujours rieuse, elle tira Jeannette par la main.
Retrait- Viens, le soleil va se lever.
RetraitJeannette, surprise, se leva et suivit la petite fille. Elles étaient nues toutes les deux, bien entendu. A chaque résurrection, il en était toujours ainsi. Sur terre ou sur le monde du fleuve, tout le monde naissait nu. Elle n’y attacha donc aucune importance. Depuis deux ans qu’elle parcourait le fleuve, elle avait adopté l’habitude de se baigner nue tous les matins au milieu des autres Lazares. De toute façon, même sur terre, elle s’était déjà changée devant des hommes ou des femmes. Et puis, tant que son Graal ne lui aurait pas donné de tissu, elle devrait aller ainsi Ce n’était pas la première fois.
RetraitSe faisant tirer pour avancer, Jeannette observa la petite fille. C’était la première qu’elle voyait depuis sa résurrection. La rumeur avait bien circulé le long de la vallée que les enfants de plus de 5 ans étaient revenus eux aussi à la vie, mais elle n’en avait encore jamais vu. Et plus le temps passerait, moins elle aurait de chance d’en rencontrer. Tout le monde revenait à la vie avec son corps de 25 ans, que l’on soit mort à 40 ou 110 ans. Un jour, la petite aura 25 ans, comme tout le monde. Et il n’y aura plus d’enfants sur le monde du fleuve.
RetraitMoi aussi, pensa Jeannette. Dans quatre ans, j’aurai vingt-cinq ans. Et je suis déjà morte trois fois.
RetraitVive et gracile, la petite pressait Jeannette pour avancer. Son corps nu se glissait entre les personnes qui commençaient à se rassembler autour du champignon de pierre, entraînant la jeune femme dans son sillage. Les gens s’écartaient avec bonne humeur et celle-ci espéra que sa première impression était la bonne. Sa dernière vie ne s’était pas déroulée au mieux.
RetraitUne voix héla Jeannette.
Retrait- Allez, la belle au bois dormant. Donne-moi ton Graal. Je ne vais pas rester longtemps sur le champignon.
RetraitJeannette se tira de sa torpeur. Elle leva la tête. La nuit blanchissait de plus en plus et l’aube ne tarderait pas. Elle se dépêcha de tendre son Graal et celui de la petite fille à l’homme, en prenant bien soin de repérer les emplacements.
RetraitChaque Graal était personnel. Elle seule pourrait l’ouvrir et si elle le perdait, elle mourait de faim à moins que des âmes compatissantes ne daignent partager leurs rations. Mais si elle devait vivre encore mille ans, autant utiliser le suicide exprès. Une mort, une résurrection, un nouveau Graal !
RetraitL’homme, ayant fini de placer tous les Graals qu’on lui tendait, sauta prestement au sol et tout le monde recula.
RetraitJeannette serra la petite fille contre elle. Elle sentit sa peau douce et tendre contre son ventre. Celle-ci s’abandonna contre elle. Elle leva juste la tête pour regarder Jeannette. Ressuscitées en même temps, il était clair que celle-ci s’était choisi déjà une nouvelle maman dans la personne de la jeune femme. Elle ne devait pas en être à sa première mort sur le monde du fleuve, elle non plus.
Retrait- Moi, c’est Jeanne, mais dans mon village, tout le monde m’appelait Jeannette. Et toi ? Tu as un nom ?
RetraitLa petite fille rit.
Retrait- Ben oui, tu es bête. Tout le monde a un nom. Je m’appelle Cimaya.
Retrait- C’est un joli nom. Aussi joli que toi !
RetraitLe rire cristallin résonna une fois de plus. La petite semblait accepter facilement sa nouvelle vie. Elle venait de mourir, Dieu sait comment, de perdre probablement des personnes à qui elle s’était attachée et elle trouvait à rire. Jeannette l’envia.
RetraitPeut-être pourraient-elles rester ensemble ? Elle n’avait pas eu d’enfants sur terre et ici, aucune femme n’était tombée enceinte. Quelqu’un lui avait dit que c’était aussi bien. Ils devaient être 40 ou 50 milliards d’individus –Jeanne avait bien du mal à imaginer ce que cela pouvait représenter- répartis le long du fleuve. S’ils se mettaient à procréer, cela deviendrait vite intenable.
RetraitJeannette regarda autour d’elle. La foule n’était pas très dense. Ils devaient être 300 ou 400 au maximum et tous attendaient patiemment, en plaisantant, ou en discutant de tout et de rien. Beaucoup, hommes et femmes, portaient le kilt, le vêtement classique du monde du fleuve ou des tenues qui lui étaient inconnues, comme cette sorte de robe longue laissant le sein droit nu –elle apprendrait plus tard qu’il s’agissait d’égyptiennes de la haute antiquité-. Certaines femmes avaient adopté le tissu semi transparent fourni par le Graal en le torsadant pour en faire un soutien-gorge ou allaient seins nus. Et quelques groupes d’hommes et de femmes étaient même totalement nus sans que cela offusque qui que ce soit ou n’en fasse l’objet de regards appuyés.
RetraitSon regard se porta vers un homme, grand, à cinq toises d’elle –elle ne parvenait pas à s’habituer à ce système de mesure dont on lui avait parlé, des mètres. Combien cela faisait-il ? Dix peut-être. Il semblait très fort mais il émanait de lui un grand calme Son corps était musclé et son ventre plat. Ses bras étaient épais, aussi larges que ses cuisses à elle. Il était entièrement nu et chauve, comme tous les nouveaux ressuscités. Il faudra quelques jours pour que les cheveux repoussent.
RetraitJeannette ne pu s’empêcher de jeter un œil sur son bas-ventre. Bien sûr circoncis, comme tous les hommes. Elle aurait préféré qu’il n’en fût rien.
RetraitD’un bout à l’autre du fleuve, il en allait ainsi. Au petit matin, l’air semblait miroiter et une ou plusieurs silhouettes apparaissaient. Hommes et femmes, morts ailleurs la veille, revenaient à la vie, nus et totalement imberbes. Mais quelque fut leur religion précédente, s’ils en avaient une, les hommes étaient circoncis. Nul ne savait pourquoi.
RetraitEt les femmes étaient vierges. Ça, elle s’en serait bien passé. Une fois suffit. Comme elle avait changé depuis sa première mort, sur la terre.
RetraitJeannette se souvint de son fiancé. Elle l’avait aimé mais elle n’avait pas été à l’hôtel* avec lui. Elle était loin, ce jour qui aurait dû être le plus beau de sa vie. Mais elle avait trouvé une autre voie et l’avait suivie. Elle était morte vierge. Mais ça, c’était sur la terre. Ici, il en était tout autrement.
RetraitLe jour du grand cri, celui où tous les humains ressuscitèrent en même temps, elle avait d’abord erré, hagarde. Ce monde ne ressemblait en rien au paradis qu’on lui avait promis. Comment Dieu pouvait-il laisser tout le monde nu, sur ce monde si différent de celui annoncé par les saintes écritures ? Pour la première fois, elle avait commencé à douter.
RetraitPuis elle avait rejoint un groupe d’hommes et de femmes qui semblaient faire face avec calme à la situation. Pas un ne parlait français, mais ils l’acceptèrent simplement. Ensemble, ils découvrirent le fonctionnement des Graals puis commencèrent à bâtir des abris. Les mots étaient remplacés par des gestes ou des regards.
RetraitCe soir là, ils dînèrent du premier repas fourni par les Graals autour d’un feu. Pour Jeannette, ce fût un steak cuit à point, avec une salade délicieusement assaisonnée et du pain. Cela n’avait rien à voir avec ce qu’elle mangeait en temps ordinaire mais elle se régala. De toute façon, elle était affamée, elle qui ne mangeait quasiment pas sur Terre.
RetraitIl y avait aussi des choses dont elle ne comprit pas l’usage, comme ces tubes blancs. Un des hommes, après le repas, en porta un à sa bouche et avec une drôle de pièce de métal carré trouvé dans le Graal, mit le feu à l’autre extrémité. De la fumée commença à sortir de sa bouche.
RetraitHilare, l’homme qui s’était assis près d’elle regarda son air ahuri. Visiblement, elle n’avait jamais vu de cigarette.
RetraitIl lui tendit la sienne en lui faisant le geste d’inspirer. Le feu dévora aussitôt la bouche, la gorge et les poumons de Jeannette. Elle toussa longtemps, les larmes aux yeux, sous les rires gentiment moqueurs du reste du groupe.
RetraitMais au fond d’elle, des souvenirs étaient remontés à la surface. Elle eu un long frisson qui n’échappa pas à l’homme près d’elle. Youri, si elle avait bien compris. Il l’a regarda, l’air inquiet. Jeanne aurait voulu lui expliquer mais quels gestes auraient pu expliquer sa mort si violente ? Elle eu un geste de dénégation et sourit, résignée.
RetraitIl y avait encore dans les Graals une liqueur qu’elle sentit doucement. Si elle ignorait de quoi il s’agissait –du whisky- elle reconnu néanmoins de l’alcool et refusa d’y toucher.
RetraitLe dernier article du Graal l’intrigua. C’était une petite tablette fine et verte. Tout le monde avait la même. Youri porta la sienne à la bouche et commença à mâcher. Il fit signe à Jeannette de ne pas avaler.
RetraitCela avait goût de menthe et la jeune femme apprécia la sensation. L’un près de l’autre, ils mâchèrent en silence un moment.
RetraitLes yeux de Youri semblaient avoir pris de l’éclat mais Jeannette se rendit compte que les siens devaient être aussi brillants. Tout ses sens parurent s’amplifier. Elle pouvait ressentir l’air, le feu, l’herbe…
* Aller à l'hôtel ou devant l'hôtel : on parle ici de l'hôtel d'une église, la table de pierre ou de bois où officie le prêtre. Dans l'expression, Jeannette indique donc qu'elle a refusé de se marier.