Histoires de Cor; Canicule

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Cor
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Histoires de Cor; Canicule

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Canicule
Par Cor van de Sande
D’après une idée originale de Cor van de Sande
© Cor van de Sande, 2014
Cette nouvelle est basée sur les personnages et les endroits introduits dans l’histoire
“My House, My Rules” by Cor van de Sande en 2012

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Chapitre 1

Il y a un vieux dicton qui se promène depuis au moins 1534 à Montréal… « Il n’y a que deux choses qui ne tournent pas rond avec l’hiver canadienne ; juillet et août ! » Comme pour tout dicton, il y a de l’exagération. Les mois de mai et de juin sont quand même tolérables (quoique je me souviens que, il y a quatre ans, un 8 mai au camping, nous avons eu une petite tempête de rien où il avait tombé 25 cm de neige) et le mois de septembre, avec les érables qui changent de couleur, c’est magnifique, assez magnifique que Joe Dassin prit le décor de cette période comme thème dans sa chanson ‘L’été indien’ en 1975.

Qu’importe ! Nous sommes en été actuellement et il fait chaud en clisse… Je suis certain que plusieurs villes en Amérique du Nord s’approprient, avec raison ou à tort, le titre de la ville la plus chaude du continent. Montréal fait partie du lot. Montréal a toutefois une caractéristique qui lui est propre ; c’est la vitesse avec laquelle l’hiver se transforme en été. Au début de l’été qui s’annonce, selon les années, parfois à la fin avril, parfois la mi-juin, il fait à peine 5°C, surtout la nuit, et le lendemain, il fait 17° et le surlendemain, 35°.

Il y a cependant un autre facteur qui vient gâter la sauce. Ce 35° qui aurait pu être plus qu’agréable est invariablement accompagné de taux d’humidité relative de 85 à 95% et le vent qui souffla dans les canions entre les tours du centre-ville pendant l’hiver pour nous glacer les os et qui aurait pu nous rafraichir lors de cette période plus chaude, nous a quitté pour des endroits plus cléments. Ça fait que… Montréal est souvent invivable, surtout dans les quartiers ouvriers comme St. Henri, Pointe St. Charles et la partie de Hochelaga-Maisonneuve qui se trouve près du fleuve.

En été, les filles se promènent avec des hauts moulants à peine plus grands qu’un mouchoir retenus par des bretelles minces comme des lacets et des shorts qui plutôt de couvrir les fesses les mettent encore plus en évidence. Les gars, conscients de l’importance du "look", n’osent pas laisser pour autant leurs jeans 5XL pour faire croire qu’eux aussi ont fait de la prison en East Los Angeles mais ils en profitent pour se promener le torse nu afin de mieux laisser paraître leurs tatouages de crânes et de symboles hermétiques. Dans les parcs, là où il y a une fontaine, les plus téméraires s’installent dans la flotte et sous cette pluie artificielle afin de trouver quelques instants de soulagement.

En été, aussi, la radio et les journaux nous parlent de canicule, de ‘humidex’ (un petit mot tout innocent, inoffensif, que quelqu’un aurait inventé pour expliquer pourquoi le 40° qui est indiqué au thermomètre donne plutôt l’impression qu’il fait 65°, genre) et recommande les gens en perte d’autonomie de rester à l’intérieur. Cela présume évidemment que ledit ‘intérieur’ est climatisé, car sinon on est guère avancé. Les centres d’achats comme la Place Versailles deviennent alors des lieux de culte, justement parce qu’ils sont climatisés.

Dans une brasserie de la rue Beaubien, juste au nord de St. Laurent, un homme était à manger un ‘grilled cheese’ avec une ‘draft’ seul dans un coin près de la sortie d’air du climatiseur bruyant. Il ne semblait pas du tout pressé à finir son sandwich, malgré le décor plus que vieillot de l’endroit. Il regarda vaguement les autres clients quand il pensa reconnaitre quelqu’un qui venait de rentrer.

« Hé, Tony… Tony Colantonio ! »

L’homme interpellé regarda tout autour, tentant d’identifier celui qui l’aurait appelé dans l’obscurité de la place. « Butch… ? Butch ! Que fais-tu icitte, man ? Quand on s’est vu la dernière fois, c’était à St. Henri. »

« C’est une longue histoire, man… Quand ma blonde m’a planqué, elle est partie avec une voiture de la cour de mon boss. Mon boss était en tabernak et m’a sacré à la porte. J’ai fini par trouver une nouvelle job dans un petit garage à côté. Toé, qu’est-ce qui t’arrive ; ça fait deux ans qu’on s’est pas vu. »

« Moé, c’est pareil ; j’avais une petite affaire qui roulait quand même assez bien mais un de mes partenaires s’est fait ramasser par la police. Il m’a stoolé et j’ai dû partir pour Toronto. Ça fait peut-être deux mois que je suis de retour. Dis, t’avais pas un kid… comment ça va, la vie de famille ? »

« Parles-moé en pas… quand elle est partie, elle a emmené le kid avec elle, la salope. Si je savais où elle était, j’y dirais, moé, qu’on me fait pas ça à moé. »

« Oh ? Je connais une façon où tu pourrais reprendre le kid et te venger de ta pute tout en même temps. Et en plus, c’est parfaitement légal. Voici ce que t’auras à faire… Premièrement, tu découvres par où elle a pu s’en aller. Tu connais ses amies ? Demande-le pas à elles directement mais plutôt aux amis de ceux-là ; I dunno‡, inventes une histoire dans le genre que tu la dois de l’argent, comme, et dis-leurs que t’aimerais la retrouver pour la rembourser. »

« Disons qu’elle s’est rendue à Chicoutimi… Une fois que tu sais où elle est, dépose un signalement de négligence criminelle contre elle à la DPJ de Montréal et à la police de Chicoutimi, accuse-la de kidnapping. La DPJ a ses propres inspecteurs et cette gang de ‘do-gooders-là’ est toujours en guerre avec la police. Les deux groupes se battront à mort pour s’arracher mutuellement le dossier et, dans les décombres, tu finiras avec ton kid et ta pute aura tant d’embrouilles avec la DPJ et la police qu’elle n’arrivera jamais à garder la tête hors de la merde. »

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Chapitre 2

À la chute de Sherwin’s Falls, le temps était parfait ; il faisait peut-être 25° ou même 26°. Un petit vent transportait parfois une petite bruine de fines gouttelettes jusqu’à la petite plage derrière l’auberge et le soleil jouait cache-cache avec les feuilles des arbres. Mélanie était à rêvasser sous le soleil sur cette plage quand elle entendit un son inhabituel. Sa première réaction était de vérifier Fiston mais il était encore à construire la ville du futur avec son seau et sa pelle en plastique. Le son se répéta – un son subtile mais persistant comme une séquence rythmée de tambours.
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Elle finit par isoler son origine ; cela venait de son propre sac fourre-tout.

Prenant son sac, elle plongea sa main jusqu’au fond et sortit son téléphone cellulaire.

« À… Allo ? »

« Mélanie ? C’est moi – Karine. »

« Que… Karine ! Comment ? D’où tiens-tu ce numéro ? »

« Tu ne te souviens pas… ? À peu près un mois avant que tu disparaisses, nous sommes allées à la Place Versailles ensemble et nous sommes arrêtées à ce kiosque de téléphones cellulaires. Quand le vendeur t’avais proposé un numéro qui correspondait à ta date d’anniversaire, tu ne pouvais pas résister à en acheter un. Je pensais à toi et, à tout hasard, j’ai essayé le numéro pour voir s’il était toujours en service. »

« Mon dieu ! C’est vrai… Après l’avoir acheté, j’avais simplement fourré ce téléphone dans ma sacoche. Ce n’est qu’il y a un an que je l’ai retrouvé et que j’ai commencé à acheter des minutes. Je ne pensais même plus que quelqu’un puisse connaître le numéro. Je ne l’utilisais que pour vérifier la météo et des choses comme ça. Comment ça va ? »

« Moi, ça va bien, à part qu’il fait chaud en maudit par icitte ; j’ai un chum steady, maintenant. Je travaille encore à la manufacture mais je suis devenue chef d’équipe alors la paie est un peu mieux et le travail moins fatiguant. Je t’appelais pour avoir de TES nouvelles, par contre. Où es-tu disparue ? Tu me manques, Mel. »

« C’est une longue histoire, Karine. Pour faire court, après une cuite, Butch m’a frappé. Le lendemain matin pendant qu’il dormait encore, j’ai ramassé Fiston et j’ai sacré mon camp. Là, je vis à Sherwin’s Falls. »

« Sher… quoi ? C’est où, ça ? »

« Sherwin’s Falls. C’est un bled perdu à côté de la frontière, de ce côté-ci du zoo à Hemmingford. »

« J’aimerais te revoir, Mel. Nous pourrions parler de ce qui t’est arrivé… Ch’ais pas, se raconter nos nouvelles, des choses comme ça. »

« J’aimerais ça. Il n’y a pas question, par contre, que je retourne en ville, Karine, même pas pour une journée. J’en ai mon troc. Tiens, j’ai une idée… Je travaille dans une auberge et la fin de semaine prochaine, c’est la St. Jean‡. Pourquoi tu ne descends pas ici pour la longue fin de semaine, toi et ton chum. Nous avons de la place et je pourrais m’organiser avec la patronne pour vous accorder un escompte. »

« Ch’ais pas… j’en parlerai avec Roger. C’est où, ton affaire ? »

« Sur la route qui longe la frontière, entre Hemmingford et Valleyfield. Y a une chose, par contre… vous n’aurez pas besoin d’apporter du linge pour la fin de semaine ; personne n’en porte ici. »

« Hein ! Répète-moi ça ! Pour une seconde, j’ai cru comprendre que tout le monde est tout nu ! »

« C’est ça. Le village de Sherwin’s Falls est un village tout à fait ordinaire mais l’auberge fait partie du centre naturiste ici. Si tu veux être servie, il faut que tu sois déshabillé. C’est la politique de la maison. C’est pour ça que je suis certaine de pouvoir t’offrir une chambre ; il nous en reste toujours une ou deux de libre. »

« T’es folle ou quoi ! Je ne me vois pas me promener les boules et tout le reste à l’air, j’aurais tous les gars de la place après moi ! Je ne dis pas qu’un moment donné, je ne l’aurais pas essayé mais ch’uis accoté, maintenant. »

« Au contraire, je trouve que ça simplifie les choses… n’oublies pas que les gars sont tous nus aussi et qu’ils ont plus de misère à cacher ce qu’ils pensent. Mais c’est à ton gout ; l’invitation est ouverte. »

« J’y penserai. Mais, entretemps, maintenant qu’on s’est retrouvée, ne sois plus une étrangère, ok ? Tu peux me rejoindre n’importe quelle soirée et les après-midi, samedi et dimanche. T’as mon numéro ? »

« Attends… Oui, je l’ai. Moi, généralement, je travaille au bar les soirs mais tu peux m’appeler pareil ; ça ne dérange pas. Les fins de semaine, c’est plus problématique ; t’es chanceuse de m’avoir pogné aujourd’hui – je suis à la plage derrière l’auberge avec Fiston. »

« En tous cas, j’en reviens pas… ma Mélanie qui travaille avec une gang de tous nus. Et moi qui pensais que c’était moi, la fille libérée… Quoi… ? Une seconde, Roger – je suis au téléphone. »

« … »

« Bon, je dois te laisser. À bientôt, d’accord ? »

« C’est ça, à bientôt. »

_____________
‡ Au Québec, la St. Jean, c’est-à-dire le 24 juin, est aussi connue sous le vocable « La Fête Nationale ». Cette date avait été choisie pour commémorer le caractère français de la province et est une journée fériée obligatoire. Le Canada en général, y inclut le Québec, célèbre aussi le premier juillet, date où avait été signé l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique qui accorda une indépendance relative au Canada.
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Chapitre 3

Le quartier Pointe St. Charles est un ancien quartier ouvrier de Montréal situé à l’ouest du port de Montréal ; il abritait jadis la majorité de la main-d’œuvre de l’industrie lourde qui s’était établie sur les berges du canal Lachine et le long du chemin de fer Grand Tronc lors de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle et la première moitié du vingtième. Toutefois, avec la faillite du Grand Tronc dans les années vingt, la fermeture du canal en soixante-et-dix et la construction des mégaprojets comme l’autoroute Ville-Marie et l’autoroute Bonaventure à l’époque de l’Expo 67 qui créèrent une barrière psychologique qui isola "La Pointe" du reste de la ville, beaucoup de ces anciennes industries se sont volatilisées et présentement c’est un quartier qui affiche un des plus hauts taux de chômage de la ville. Plus récemment, la municipalité fait des efforts pour rehausser le cachet de l’endroit en publicisant que c’est la deuxième plus ancienne partie de Montréal, fondée tout de suite après Ville-Marie par Charles Le Moyne.

La Pointe n’est pas sans attraits, toutefois. Il y a le pont Victoria, évidemment. D’origine construit pour permettre les trains de la Grand Tronc de rejoindre la Rive-Sud, c’est le plus ancien pont toujours fonctionnel à traverser le fleuve. Près de là, en 1932, lors de la construction de l’aqueduc de Montréal, Marie-Ange Magnan établit une taverne sur les abords du canal Lachine et deux rues à l’est du tunnel Atwater pour nourrir les ouvriers. Son fils, Hubert, voulant créer un plat qui ferait démarquer l’établissement de sa concurrence finit par introduire une recette de rôti de bœuf tout aussi remarquable que le poulet du Colonel. Encore de nos jours, quand ils ont l’occasion, les ouvriers y arrêtent pour un plat et un boc.
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C’était ainsi que ce jeudi-là, Roger décida de se traiter à un repas spécial pour ce jour de paie. Il n’avait aucune raison pour fêter ; plutôt le contraire ! Il avait besoin d’un peu de réconfort. Ça allait mal à la shop et c’était bien le cas de le dire. Après plusieurs semaines de rumeurs, le boss a finalement confirmé que la ‘Packers’ serait obligé à procéder à des mises-à-pied. Déjà, elle annulait et/ou déplaçait les vacances auxquels les ouvriers s’attendaient. Roger s’était fait à l’idée à faire un voyage avec Karine encore cette année quand il trouva une note affixé à sa slip de paie lui disant que l’une de ses semaines de vacances avait été déplacée au mois de septembre et l’autre au mois de novembre. En plus, Karine s’est mise dans la tête d’aller visiter ce camping de tous-nus pour aller voir une ancienne amie qui s’est installée par là-bas. Le comble était que Paul était encore une fois en visite le soir quand elle l’avait annoncé et qu’il avait sauté sur l’occasion pour dire qu’il voulait absolument voir ça au lieu de la déconseiller de cette idée de fou. Paul était un bon diable mais des fois, il était un peu trop envahissant.

Roger se demandait si Karine ne s’ennuyait pas avec lui. Lui, il l’aimait par-dessus tout mais il n’était pas certain s’il était un assez bon amant pour combler ses gouts. Il était loin de ces dieux érotiques qu’on voyait dans les films. Elle voulait peut-être revenir à ses anciennes habitudes et coucher à droite et à gauche et peut-être même revenir au sexe en groupe comme la fois qu’il l’avait rencontré pour la première fois. L’idée lui brisait le cœur mais il était même prêt à la laisser s’épivarder à condition qu’elle reste avec lui. Lui, il regretta amèrement d’être embarqué dans ce jeu de sexe à trois ; il aurait beaucoup préféré de la rencontrer seul et de bâtir une petite famille avec elle. Depuis cette nuit-là, il s’était toujours senti un peu sale et coupable. Paul et elle ne semblaient pas avoir de problème avec ça et cela leur arriva régulièrement de se promener nu dans l’appart quand il passa la nuit mais lui, il se sentait inconfortable à tout laisser pendre à la vue de tout-le-monde.

Roger était à se morfondre dans sa misère quand une voix le dérangea. « Excuse-moi mais tu t’appelles Roger Pilon, n’est-ce pas ? T’es le chum à Karine Lachapelle ? »

« Oui, pourquoi ? »

« Je m’appelle Butch, Butch Latraverse. Un ami commun t’a identifié à moi quand nous étions à la même fête une fois. Je suis un ancien copain de classe de Karine et de Mélanie Turgeon. J’aurais voulu retrouver Mélanie. Dans le temps, j’étais fauché et elle m’avait prêté de l’argent mais avant que je puisse lui rembourser, il y a deux ans à peu près, elle avait complètement disparue de la carte. Je suis à faire le tour de tous ses anciens copains pour essayer de la retrouver ; je veux lui payer ce que je lui dois. Je me demandais si tu saurais par hasard où elle pourrait se trouver. »

« Tiens, je savais pas que Karine et Mélanie étaient allées à l’école ensemble ; j’avais toujours pensé qu’elles se sont rencontrées à la job. Mais parlant de Mélanie, c’est toute une coïncidence. Karine lui a parlé au téléphone il y a une semaine, justement. Elle disait qu’elle se trouve à Sher… Sher… »

« Sherbrooke ? »

« Non, pas Sherbrooke ; un petit village dans la Montérégie, près de la frontière… Sher… Désolé, je ne me souviens plus. Faudra le demander à Karine. »

« OK… elle travaille toujours à cette manufacture de boites sur Bridge ? »

« C’est ça. »

« OK. Je te remercie beaucoup, man. J’aime ça, rembourser mes dettes et celle-là, ça fait longtemps qu’elle me fatigue. »

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roger
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Message par roger »

Très bonne histoire. J'ai hâte de lire la suite.
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Re: Histoires de Cor; Canicule

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Merci ; elle est une de mes préférées également. Voici le prochain chapitre :sourire:

Chapitre 4

C’était vendredi soir. Megan O’Brian, la patronne de l’auberge, avait fait installer le patio il y a un mois déjà mais jusqu’à il y a une semaine, la température n’avait guère dépassé les quinze degrés donc le patio avait resté vide. Il y a une semaine, la température avait grimpé d’un autre quinze degrés du coup, et maintenant, avec le taux d’humidité qui dépassait les 80%, se déplacer était comme marcher à l’intérieur d’un bain turc. Toutefois, pendant cet après-midi-là, il a eu un gros orage qui a fait baisser le taux d’humidité et le patio était bondé. La grande majorité des convives avait fini de souper et ceux qui restaient avaient préféré prendre le digestif dehors ; la salle à diner n’étant pas climatisée.

Mélanie l’avait donc relativement facile car c’étaient Aelwen et Jenny qui faisaient le service aux tables à l’extérieur et Bess s’occupait des clients attablés à l’intérieur du pub. Les seuls clients au comptoir étaient Farley Gee et Skinflint MacGruder, qui étaient venus pour leurs consommations gratuites. Skinflint avait l’air de vouloir y passer la nuit alors Mélanie a fait signe à Bess de téléphoner Kenzie. Ça lui arrivait peut être une fois par mois ou mois et demi de vouloir sonder le fond du baril et tous connaissaient la consigne d’aviser Kenzie si elle ne venait pas d’elle-même chercher son mari.

La grosse horloge grand-père dans le lobby venait de sonner huit heures trente quand Mélanie vit une jeune femme toute habillée se présenter à l’entrée du pub. Elle était longue et élancée, avec une peau basanée comme si elle avait passé un mois aux Caraïbes, des cheveux châtains, une blouse moulante, des shorts et des sandales à talons compensés. À cause de la noirceur relative, cela lui pris quelques instants pour la reconnaître ; c’était Karine – elle sembla figée sur place, peut-être à la vue de tous ces corps nus devant elle.
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Elle appela la serveuse. « Bess… pourrais-tu prendre la relève ici ? Je dois m’occuper de cette cliente. »

Bess jeta un regard rapide vers la porte puis acquiesça et Mélanie se dépêcha pour accueillir Karine.

En guidant Karine vers le comptoir de réception du lobby, elle dit « je ne t’attendais plus pour ce soir. Depuis ton appel la semaine dernière, je n’ai rien eu comme message m’indiquant si tu viendrais ou non. Es-tu toute seule ? »

« Non. Je suis avec Paul. Il est en train de sortir nos valises de la voiture. »

« Paul… ? »

« Paul Horvath. C’est un collègue à Roger et un ami. Roger n’a pas voulu venir. »

« Ah, bon ? Êtes-vous ici que pour la soirée ou plus longtemps ? »

« Jusqu’à mardi matin, si possible… et serait-il possible d’avoir deux chambres séparées – c’est déjà assez compliqué comme ça ? »

Mélanie vérifia le tableau de réservations. « Oui, c’est possible. Une chance que t’es venue cette fin de semaine, par contre ; la semaine prochaine nous sommes complet – un groupe du Manitoba vient fêter le premier juillet au Québec. »

Entretemps, un gars de peut-être vingt-deux rentra par la porte extérieure, un sac de sport dans chaque main. Approchant le comptoir, il laissa tomber les deux sacs par terre.

« Bonsoir, » dit Mélanie. « Paul Horvath, je présume. »

« C’est ça. Bonsoir à toi, également. Excusez-nous d’être arrivés si tard. »

« Il n’y a pas de problème mais comme je disais à Karine, c’est une chance que vous êtes arrivés cette fin de semaine-ci. La semaine prochaine, je n’aurais pas pu vous accommoder. Pourriez-vous remplir ces cartes d’enregistrement, s’il vous plaît, et j’aurais aussi besoin d’une impression d’une carte de crédit. Les chambres sont normalement 75$ par nuit mais j’en parlerai à la patronne demain ; je vais essayer de vous obtenir un escompte. Voulez-vous me suivre, s’il vous plaît. Je vous montrerai vos chambres. »

Se retournant pour prendre une serviette et deux clés du pigeonnier derrière elle, Mélanie indiqua les escaliers. « Vos chambres sont à la tête de l’escalier. Vous avez chacun une toilette et une douche mais si vous désiriez un bain, il est au bout du couloir. » Elle ouvra la première porte. En lui passant la clé, elle dit « Paul, ta chambre est à côté mais j’aimerais tu rentres ici pour un moment afin que je puisse vous expliquer à tous les deux les règles de la maison. »

Elle se dirigea vers la chaise du bureau, invita ses hôtes à s’assoir sur le bord du lit, étendit sa serviette et s’assit. « Bon. Premièrement, la nudité intégrale est de mise partout dans l’auberge et sur le terrain comme au lac et la chute ainsi que partout dans le camping avoisinant. Techniquement, le devant de l’auberge et le stationnement sont exclus mais personne ne dira un mot si vous sortiez chercher quelque chose dans votre auto et vous aviez oublié de vous couvrir. Presque tous les villageois à l’exception du vieux couple à côté du presbytère en face sont des clients de l’auberge. »

Karine exclama « Tu veux dire le presbytère, non ? »

« Non, le pasteur et sa femme sont deux de nos plus fidèles clients. Vous les rencontrerez sans doute lors du brunch, dimanche matin. Ils ne manquent jamais. Dans la maison à côté, par contre, il y a un vieux couple de fouineux qui passent la journée à nous espionner par la fenêtre. Ça nous arrive tous de les "saluer" de temps en temps. La police ne vient même plus investiguer quand ils appellent pour déposer une plainte, » dit Mélanie avec le sourire, « ce sont des clients aussi. »

« L’autre chose que j’aimerais mentionner est qu’il n’est pas poli de zieuter son voisin. Tout le monde regarde – c’est normale mais faites-le discrètement et passer à d’autre chose. Paul n’a pas cessé de regarder mes seins et mon entrejambe depuis qu’il est rentré avec vos valises et toi aussi, Karine, tu l’as fait à plusieurs reprises. Oui, je suis nue – je l’étais il y a dix minutes, je serai toute aussi nue dans dix minutes et je le serai encore demain matin… il n’est pas nécessaire de le vérifier à tous les deux minutes. La vérité passe par les yeux. »

« Désolé, » dirent-ils en cœur. « C’est que c’est tellement nouveau, » ajouta Karine.

« Comment ça, nouveau, » demanda Mélanie, se tournant vers Karine. « T’as dû voir ça dans le miroir à tous les matins depuis sept, huit ans. La seule différence entre toi et moi est que j’ai une vingtaine de livres de plus que toi et j’ai peut-être les seins un peu plus tombants parce que j’ai allaité Fiston. Quant à toi, Paul, je suis certaine que toi aussi, tu as déjà vu des vraies femmes plus qu’une fois dans ta vie et pas juste des filles plastiques dans Playboy. »

Paul rougit. « C’est vrai, l’année dernière, quand j’étais à San Francisco, j’ai participé à leur course annuelle "Bay to Breakers". Il y avait du monde de tous les genres, y inclut des gars et des filles habillés qu’avec quelques taches de peinture. » Il rougit de plus belle. « Moi, quand j’ai vu ça, j’ai sauté sur l’occasion de faire pareil. Comment le savais-tu ? »

Mélanie a eu un sourire malin… « Je te le dirai lundi soir. Oh ! Encore une chose. Vous avez sans doute remarqué que j’ai étendu une serviette avant de m’assoir. Dans la salle à diner, les filles déposent une nouvelle nappe sur chacune des chaises quand elles desservent les tables mais, pour ailleurs, prenez l’habitude de trainer une serviette avec vous ; ça fait partie de l’étiquette naturiste. Bon, je suis certaine que vous êtes fatigués de la route ; je vous laisse. Le déjeuner est servi à partir de sept heures trente. Je propose que nous nous rencontrions à la salle à diner et je vous ferai visiter l’endroit. »

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Re: Histoires de Cor; Canicule

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Chapitre 5

Le lendemain matin donc, Mélanie attendit Karine et Paul au pied de l’escalier avec Fiston. Quelques minutes avant l’ouverture de la salle à diner, Karine descendit, encore à moitié endormie. Comme Mélanie l’avait spécifié, elle était nue. De toute évidence, elle avait l’habitude de fréquenter les plages ou encore les salons de bronzage car les démarcations laissées par un bikini microscopique étaient d’un contraste frappant du reste de son corps basané.

« … ’Matin. As-tu vu Paul ? J’ai cogné à sa porte mais il n’y avait pas de réponse. »

À cet instant, Paul apparut dans la cadre de la porte à côté du comptoir de réception. Il avait une serviette de l’auberge dans la main, les cheveux encore mouillés et un sourire béat sur le visage. Son corps afficha le bronzage typique du jeune qui poursuit de préférence des activités intellectuelles ; les avant-bras et les mollets foncés mais le reste de son corps, des épaules aux genoux, blanc comme un drap.

« Bonjour, tout le monde ! Quel délice… Je m’étais réveillé de bonne heure et je n’ai pu résister la tentation d’aller me saucer dans le lac. Je me suis même tenu sous la chute ; ça brasse en maudit mais quel feeling ! Je n’aurais pas voulu manquer ça pour tout l’or du monde. »

Mélanie sourit. « Tu vois maintenant pourquoi j’aime tellement cet endroit. Venez, c’est l’heure… le déjeuner est servi. Vous allez voir, la bouffe est délicieuse – tout est fait avec des produits locaux et cuit sur place, même le pain. »

Fiston, fier de son indépendance, courut en avant pour choisir une belle table puis, avec tout le sérieux du monde, est allé chercher un siège enfant près de la penderie. Sa mère l’aida à le centrer et à étendre sa serviette. Fiston permit sa mère alors de le soulever et l’installer. C’était Aelwen qui faisait le service aux tables ce matin-là ; les filles alternaient cette besogne à tour de rôle et le septième jour, c’était Mélanie qui le faisait, tout comme elle remplaça les filles lors de leur jour de congé.

Pendant le déjeuner qui mettait l’emphase sur les produits du terroir local, Mélanie avec le support non-négligeable de Fiston, raconta l’historique de l’auberge et comment Sean O’Shaughnessy l’eut hérité. Ils étaient à leurs derniers cafés quand Megan, qui en plus d’être la gérante, était la femme de Sean, est venue saluer les convives dans un français parfait. Mélanie fit les introductions.

Quand tout le monde avait fini, Mélanie, sachant qu’elle serait passablement occupée avec sa visite pour au moins une partie de la journée, proposa de déposer Fiston à la garderie pour quelques heures. Elle indiqua les nappes au logo de l’auberge qui couvraient leurs chaises et dit qu’ils puissent les apporter et les laisser dans leurs chambres plus tard puis guida le groupe par le sentier vers la maison des Matheson, à côté.

Quand le vieux Bill Matheson avait vendu son verger à Sean, Sean a transformé la vieille demeure en centre d’accueil pour le centre naturiste sous la gestion du Petit Bill, le fils ainé. Petit Bill, qui malgré son sobriquet était un grand gaillard d’un mètre quatre-vingt-dix, y vivait maintenant avec sa famille. Une des transformations était de construire un centre aquatique à côté de la maison avec une piscine aux cloisons amovibles qui pouvaient être renfermées pour l’hiver, une barboteuse extérieure ainsi qu’une autre barboteuse intérieure sous le même toit que la grosse piscine. Karen, l’épouse de Petit Bill et enseignante de prématernelle, avait transformé la barboteuse intérieure et la petite salle à côté en garderie pour les parents du centre qui avaient besoin de quelques heures pour se ressourcer.

Paul était plus qu’intéressé par tout qui leur entourait et regarda partout. Il avait bien pris note des instructions de Mélanie, cependant ; après un coup d’œil rapide, il évita de regarder les gens qui passèrent. Après avoir laissé Fiston avec Karen, Mélanie eut l’idée de passer par le bureau d’accueil et de recueillir quelques cartes du complexe.

« Paul, j’ai comme l’idée que Karine a hâte qu’elle et moi nous nous trouvions ensemble pour me raconter un tas de potins qui n’intéressent que les filles. Je te propose donc que tu prennes une de ces cartes et que tu te promènes à ton gré. » Elle déplia une des cartes. « Je te suggère toutefois de revenir par ce chemin-ci dans à peu près deux heures ; il passe par l’érablière et ressort près du lac derrière l’auberge. C’est là où Karine et moi serons. T’es plutôt blanc et le soleil peut être corsé ce temps-ci de l’année. Je ne voudrais pas que tu sois obligé à passer le reste de la fin de semaine à l’intérieur. »

Elle passa par les étagères et prit deux petites bombes aérosol de chasse-moustique, puis nota son achat sur la tablette près de la caisse. « Tiens… avec l’humidité que nous avions eu, les maringouins sont voraces, ce temps-ci. Tu vas en avoir besoin. »
-O-O-
De retour à l’auberge, Mélanie montra Karine la petite chambre qu’elle partageait avec Fiston et, après avoir sortie une serviette de plage de la commode, guida Karine vers la petite plage, où elles se sont installées un peu à l’ombre.

Aussitôt assise sur une roche à l’orée de la plage, Karine commença. « Bon, racontes-moi tout ! Comment se fait-il que tu sois rendue icitte ? »

Mélanie lui raconta comment les derniers mois avec Butch étaient de pire en pire et comment, lors de la dernière soirée avant sa fuite, il lui avait abusée verbalement et finit par lui frapper. Elle décrit comment tôt le lendemain, pendant que Butch, encore à moitié ivre, dormait, elle lui avait fait ses poches, préparé son sac à couches, s’est rendue au garage avec Fiston dans les bras où elle avait volé une des minounes stationnées à côté du garage et partie en suivant la route au hasard.
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Finalement, tout près d’ici, la bagnole est morte de sa belle mort et elle s’est retrouvée, à pied, dans un verger à donner le sein à Fiston. Là, une fermière l’avait trouvée et s’est arrangée pour lui trouver une job et une place pour rester. Le seul nuage sur l’horizon était l’uniforme. Elle avait toujours méprisé les filles qui travaillaient dans les bars de toutes-nues, pensant qu’elles n’étaient à peine mieux que sa propre tante, une prostituée droguée mais, après une discussion franche avec Megan et une cliente de l’auberge, elle s’est révisée. Ces temps-si, les seules fois où elle s’habilla étaient quand elle descendit à Valleyfield avec Megan ou Heather O’Donnell, la fermière qui lui est venue à la rescousse, pour magasiner.

« Bon, c’est ton tour… parle-moi de Roger, comment l’as-tu rencontré et qui est ce Paul ? »

« Ça c’est toute une histoire… Tu me connais ; j’ai toujours été porté vers la chose. Dès que je rencontrais un beau gars, je lui sautais dans ses bras… et dans son lit. Au moment que nous travaillions ensemble, toutes ces aventures étaient sans lendemain, des flirts. À peu près un mois après que tu sois partie, j’étais dans un bar en train de déprimer parce que je me sentais seule quand Roger et Paul sont rentrés ; ils venaient d’empocher leurs primes et ils avaient décidé d’aller fêter ça. J’ai trouvé Roger super sexy et Paul, comme t’as pu voir, n’est pas mal non plus… pour un nerd. »

« C’était drôle comment Paul a rougit hier parce que t’as visé dans le mille. Comme je disais, je me sentais seule depuis que tu sois partie et, sur un coup de tête, je me suis dit, – et pourquoi pas –, et j’ai remmené les deux chez moi. »

« Je l’ai fait avec tous les deux, à tour de rôle, pendant que l’autre regardait. C’était… intéressant… mais je me sentais pas du tout prête à vouloir les prendre tous les deux ensembles. Et avec le genre de vie que je menais, pas question de pipes ou rien comme ça ! Je fais quand même attention et j’insiste sur des capotes. Nous avons fini par nous endormir en cuillère tous les trois dans le lit. Pour te dire vrai, j’ai trouvé ça encore mieux que le sexe… Ch’ais pas – plus chaleureux, genre. »

« Le lendemain matin, j’avais une envie du diable et j’ai essayé de me sortir du tas sans réveiller personne mais Paul m’a suivi. Nous nous sommes retrouvés, tous les deux nus, dans la cuisine à siroter du café. Paul était vraiment mal à l’aise mais il n’a aucunement essayé de se cacher ou de se couvrir. Y faut dire que je lui ai aguiché quelque peu, à me pavaner devant lui, » dit-elle avec un petit sourire en coin.

« Il m’a avoué qu’il était encore vierge avant de l’avoir fait la veille et qu’il regrettait de s’être laisser aller comme ça ; il aurait voulu que sa première fois soit autre chose. Moi, je lui ai avoué à mon tour que c’était la première fois pour moi aussi, de prendre deux gars un après l’autre comme ça, je veux dire. Nous étions là, à nous dire nos secrets pour une demi-heure à peu près quand Roger est venu nous joindre. Ch’ais pas mais on dirait que cette ambiance de se dire les choses tels qu’ils sont à colorié la matinée. Nous avions passé la majeure partie de la journée, nus dans mon appart, à se parler pour de vrai, sans prétention. Le soir venu, nous avions faim et nous sommes sortis tous les trois manger une croute. C’était comme si nous voulions plus nous quitter. Au fil des semaines, nous sommes devenus des amis et nous sortons régulièrement à trois. Comme je te l’avais dit, Roger me faisait vibrer et à quelques reprises, nous ayons passé la nuit ensemble. Paul le savait mais il m’a assuré qu’il n’était pas jaloux de nous deux. »

« Un mois plus tard, Roger et moi avions emménagé ensemble et Paul vient passer la nuit à l’occasion mais plus jamais dans notre lit, seulement pour jaser… tu sais le genre de discussions ; là où on résout les problèmes du monde... Le faire encore avec lui aurait gâché ce que nous avions bâtis ensemble, je pense. En tout cas, Paul n’a jamais voulu qu’on essaie de nouveau. C’est un gars avec des profondeurs insoupçonnées. Je n’ai jamais raconté à Roger ce que Paul m’avait avoué ce premier matin ; c’était notre secret. Il m’arrive encore de me promener nue chez nous et Paul aussi quand il est resté dormir sur le canapé mais Roger, non. On dirait que cette première fin de semaine l’avait gêné… ch’ais pas, comme s’il s’était mis trop vulnérable ou quelque chose comme ça. Avec moi, il se cache pas mais il enfile toujours des shorts quand Paul est là. »

« L’été dernier, Roger et moi avions eu l’idée d’aller aux Îles de la Madeleine. Je pensais que Paul allait venir avec nous mais lui, il a décidé d’aller plutôt dans l’autre sens et s’est rendu jusqu’à San Francisco. Quand il est revenu, il ne cessa de parler de cette course auquel il a participé et d’une plage de tous nus qui s’appelle Black’s Beach, ou quelque chose comme ça. On dirait que c’était un défi pour lui ; de pouvoir être à poil. »

« L’autre jour, quand je leur ai parlé de ton invitation, Paul tenait absolument à venir. Roger, lui, branlait dans la manche. Je pensais que j’arriverais à le convaincre mais il m’a lâché à la dernière minute – c’est pour ça que nous sommes arrivés si tard, je voulais qu’il vienne aussi ; pour te le présenter. »

« Allô… ! »

« Tiens, salut, » répondit Mélanie à Paul qui sortait du boisé. « Et puis, comment as-tu trouvé ta promenade ? »

« C’était fantastique ! De pouvoir se promener comme ça ; avec rien qui te sépare du soleil, de la brize… c’est orgiaque… ». Paul s’est laissé tomber par terre sur la plage, les jambes et les bras écartés, à accueillir le soleil.

« Tu vois, » dit Karine en riant. « Il était comme ça quand il est revenu de San Francisco, aussi. »

Paul se leva sur les coudes, en rougissant encore une fois. « …Euh…, » dit-il puis, gêné, il sourit et s’est laissé tomber de nouveau.

« T’as pas besoin d’être gêné, » dit Mélanie. « Pour moi, c’est pareil. Depuis que je vis ici, j’évite de m’habiller, même en hiver. J’ai même fait de la raquette toute nue le long des sentiers d’interprétation ; dans l’érablière, il n’y a pas de vent et la chaleur que tu dégages à te déplacer compense pour le froid. »

« Ah, oui ? Tu vis ici toute l’année ? »

« Oui. Karine et moi parlions justement de ça quand t’es arrivé. En plus de mon salaire, j’ai une petite chambre ici en échange pour ma job au bar. Je n’ai pas besoin de grand-chose ; un peu de linge et des choses comme ça, surtout pour Fiston – nos repas sont fournis, et pour une sortie vers Valleyfield de temps en temps. Je ne vais plus jamais à Montréal – trop de mauvais souvenirs. »

« T’as pas pensé à vouloir voyager, visiter d’autres pays ? »

« Pourquoi ? Autant que je suis concernée, ici c’est le paradis. Je ne dis pas qu’un jour, quand Fiston sera plus grand, que je ne voudrais pas voir le monde… L’auberge est une copie d’un pub tel que l’on retrouve en Angleterre mais, en Europe, il y a plein de bâtisses là-bas qui sont VRAIMENT vieilles. J’aimerais ça, un jour, les visiter. »

« C’est bien beau, tout ça, » interrompt Karine, « mais moi, entretemps, ici et maintenant, j’ai faim. »

« T’as raison. Je propose que nous allions chercher Fiston que nous allions dîner. Après le lunch, à moins que vous vouliez voir d’autre chose, que diriez-vous de passer l’après-midi à la piscine ? »
-O-O-
Le reste de la fin de semaine avait été remplie avec des activités typiques d’un centre de villégiature. Samedi soir, pendant que Mélanie travaillait à la salle commune, la sœur du Petit Bill, Élisabeth, une chanteuse et guitariste à ses heures, est venue donner un spectacle au pub. La salle était comble car Élisabeth était connue pour son répertoire mais Mélanie avait averti Karine et Paul de se présenter de bonne heure afin d’avoir de bonnes places.

Le lendemain au brunch, tel que promis, Mélanie introduit Karine et Paul au Révérend Athelstone et sa femme. Quand Mélanie leur expliqua avec un malin plaisir que Karine avait de la difficulté à imaginer un pasteur nu, le révérend rit de bon cœur et présenta à Karine et Paul son ami le Curé Poirier qui était venu rencontrer ses paroissiens de Sherwin’s Falls. Que Karine a resté pantois serait peu dire.

Lundi, Mélanie avait emprunté quelques vélos et, avec Fiston assis dans un siège pour enfants, le groupe a fait une petite randonnée en dehors aux alentours pour visiter les vergers du coin et les champs de fleurs comestibles et les ruches de Farley Gee. Quand Mélanie présenta ses amis à Farley, il les a surpris en leur donnant à chacun un petit pot de miel certifié "bio" produite par ses abeilles.

Finalement, mardi matin, après que Karine et Paul eurent fait leurs valises et les ont descendus au lobby, ils ont pris un dernier déjeuner ensembles puis c’était le temps de régler la facture. Mélanie passa à l’autre côté du comptoir et sortit leurs dossiers.

« Bon, j’en ai parlé avec Megan et elle était d’accord que puisque vous étiez des amis, elle vous laisserait vos chambres à moitié-prix. Donc, pour les quatre nuits, vous me devez chacun 150$ plus taxes ; $172,50. Allez-vous payer en espèces ou je le mets sur vos cartes ? »

« Ma carte, » dit Karine en même temps que Paul demanda « Juste une seconde ! Et nos repas ? »

Mélanie sourit. « Gracieuseté de la maison. »

Karine regarda Mélanie de travers. « Est-ce que c’est vraiment une gracieuseté de la maison ou est-ce que c’est plutôt toi qui paye nos repas ? Si c’est la deuxième réponse, je ne suis pas d’accord. Tu as déjà fait plus que ta part en nous accueillant ici de la sorte ; il n’y a pas question que tu payes pour nous en plus. »

« Non, c’est vraiment une gracieuseté de la maison. Tout le monde du village a droit à un repas ou un verre gratuit par jour – politique de la maison. Avec le premier juillet qui arrive, plusieurs villageois sont partis en voyage. J’ai simplement pris un peu d’avance dans ma comptabilité. T’as pas besoin de t’inquiéter ; Megan est d’accord. »

Paul se pencha pour ramasser les valises après avoir serré son portefeuille quand Mélanie partit à rire. « Tiens, j’ai une idée. On va s’amuser un peu. Je sors avec vous. Quand vous sortez, gardez un œil discret sur la maison en face – pas le presbytère mais l’autre… »

Paul et Karine sortirent en premier, suivi par Mélanie qui porta, comme d’habitude, l’uniforme de l’auberge. Quand ils tournèrent pour se diriger vers l’auto de Paul, Mélanie se trouva directement devant la fenêtre des Bradley. Elle afficha un grand sourire et salua la maison avec une grande agitation du bras. Aussitôt, les rideaux du salon furent brusquement fermés et les trois partirent à rire de plus fort.

Paul sortit sa tête du coffre après y avoir placé les valises. « He ! Je viens de me souvenir de quelque chose… Vendredi dernier, tu m’avais promis de me dire pourquoi tu savais que tu n’étais pas la première femme nue que j’avais vue. »

« C’est vrai, » et c’est elle qui rougit malgré son hâle. « Le premier soir quand je suis arrivée, Megan m’avait invité à souper pour essayer… elle m’avait offert la job et tout mais j’étais pas certaine de pouvoir agir normalement avec tous ces gens nus autour de moi. Je veux dire, avant Butch, je n’avais jamais vu d’hommes nus auparavant. Je pensais être discrète mais Heather et Megan m’ont dit par après qu’elles avaient de la difficulté à s’empêcher de rire. Apparemment, mon regard sauta partout et quelques fois, mon menton avait failli tomber dans ma soupe. Comme vous avez remarqué vous-mêmes, on s’y habitue très vite et, à la fin, c’est de voir quelqu’un d’habillé qui devient bizarre. Depuis ce temps, je fais très attention à l’expression des gens quand ils rentrent. C’est drôle de regarder leurs réactions – on reconnait les habitués à tout coup. Karine avait figé mais toi, même si tu me regardais avec un peu trop d’insistance, tu faisais semblant que tout était "cool". »

« Ah. Je vois que je dois pratiquer mon air "Joe Cool" encore plus assidûment, » dit-il avec le sourire. « Serais-tu offensée si je reviens de temps en temps pour le pratiquer ici ? »

« Pas du tout, tu seras le bienvenu. Par contre, appelles avant ; ça se pourrait toujours que nous sommes comble. »

« Fantastique ! J’appellerai sans faute. »

« Et c’est la même chose pour toi, Karine. Essayes de convaincre ton chum à venir aussi. Je suis certaine qu’après avoir passé le premier choc, il va adorer. »
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Re: Histoires de Cor; Canicule

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Chapitre 6

Le cellulaire de Mélanie sonna sur le comptoir sous les étagères à bouteilles de la salle commune – depuis que Karine avait téléphoné, elle avait pris l’habitude de le laisser là, accessible, au cas que quelqu’un téléphonerait de nouveau.

« Allo ? Oh, Karine… Attends, je suis au bar. Je vais juste passer en arrière – je t’entends à peine… Bon, c’est mieux. Comment ça va ? »

« Mel, tu ne devinerais jamais ! Roger et moi, nous avons fini par avoir une longue conversation hier, au lit, comme de raison. Après mon retour, il ne me parlait qu’à peine. C’était comme rentrer au Pôle Nord. Finalement je l’ai engueulé et lui ai menacé de la lui couper s’il me disait pas ce qu’il avait. »

« La raison qu’il ne voulait pas venir est parce qu’il pensait que je commençais à m’ennuyer avec lui et que je voulais revenir au trio comme la première fois. Il ne voulait plus revivre ça maintenant qu’on vivait ensemble. Il pensait que je m’envoyais en l’air avec Paul et il avait préféré rester seul en ville plutôt qu’assister à ça… Y es-tu pas fin, ce gros tata ? Quand je lui ai convaincu que c’était lui que j’aimais et que je ne voulais personne d’autre, y a commencé à pleurer comme un bébé. Je lui avais parlé de toi et de Fiston, de ton auberge et de comment Fiston est poli et intelligent et tout et tu sais pas quoi… Nous avons décidé de commencer un bébé aussi, pour nous deux. »

« Oh, wow… c’est merveilleux, tout ça. Félicitations en avance. Écoutes, j’aimerais bien te parler plus longtemps mais c’est la folie, ici – la gang de Manitoba est arrivée et je dois retourner au travail. Es-tu libre, demain matin ? … Oui ? Bon, je t’appelle sans faute. »

« D'accord. C’est juste que je voulais que tu sois la première à le savoir. Euh… Mel…, quand t’appelles demain, appelles pas trop tôt, veux-tu ? Nous voulons commencer Charley dès ce soir. »
-O-O-
Puisque la gang de Manitoba avait voulu continuer la fête jusqu’à trois heures la veille (ils étaient encore réglés à leur propre fuseau horaire), Mélanie c’était promise une matinée langoureuse au lit, du moins pour elle. En général, Fiston était tout aussi matinal qu’elle et ils étaient debout tous les deux vers six heures du matin donc, les matins de farniente étaient rares. Cela faisait plus que deux ans que Fiston faisait ses nuits ; le seul période difficile avait été quand il faisait des coliques mais ça, ça n’avait pas duré. Depuis quelques semaines maintenant, quand il se réveilla et vit que sa mère voulait continuer à dormir, il avait pris l’habitude de descendre de lui-même vers la cuisine, où le chef lui préparait une petite collation et lui donna une tâche super importante comme mélanger la pâte à crêpes pour le déjeuner afin de l’occuper jusqu’à sa mère vienne le chercher.

Il était donc sept heures et quart quand Mélanie revint de sa douche (contrairement aux chambres des invités, la sienne n’avait pas de douche donc elle dut se servir de la salle de bains à l’étage). En ouvrant sa porte, elle entendit son téléphone. Croyant que Karine s’était moins épuisée qu’elle s’attendait et téléphonait de nouveau, elle répondit.

« Allo, Karine ? Oh, Paul, c’est toi… Bonjour. »

« … »

« Pas du tout ! Je suis contente, au contraire… Karine m’avait appelée hier soir pendant que je travaillais. Je n’avais pas le temps pour lui jaser et j’ai dû couper ça court. Je croyais qu’elle m’appelait de nouveau. Comment ça va ? »

« … »

« Non, non, tu ne me réveilles pas ; je viens de sortir de la douche. »

« … »

« Merci. C’est bien gentil de le dire. Moi aussi, j’ai aimé ma fin de semaine. Je n’avais pas réalisé comment Karine me manquait. Nous nous parlions de tout au travail ; ses aventures amoureuses, comment je trouvais ça difficile d’élever Fiston tout seul… Pardon ? … Non, Butch m’aidait pas du tout – lui, il était plus intéressé à le faire qu’à l’élever, si tu comprends ce que je veux dire. À la fin, tout ce que nous faisions, c’était de se disputer sur comment les couches coûtaient cher, et cetera, comme si c’était de ma faute. »

« … »

« Bien sûr, j’ai aimé ça que tu sois là aussi. Nono ! J’ai trouvé ça vraiment agréable à parler avec un gars qui s’intéresse à d’autre chose que de sport et de chars. Comme t’as pu voir, des gars de mon âge ne courent pas la rue, par ici. Toi, au moins, t’as vu du pays et tu sais en parler intelligemment. J’adore ça ici mais des fois, ça me manque de sortir, d’aller danser… des choses comme ça. »

« … »

« Non, ça me fera plaisir de te revoir. Par contre, avec les vacances de la construction(‡) qui arrivent, nous sommes au complet ; je ne pourrais même pas te louer une chambre au prix régulier. »

« … »

« Comment ? … Le camping ? Ah, là, je ne pourrai te répondre – je ne me suis jamais occupé de cette partie-là du business. Il faudra appeler à l’accueil. … Non, je ne connais pas le numéro, désolée. Check sur le ‘Net – ça s’appelle le Centre naturiste Sherwin’s Falls. … Non, j’avoue que c’est pas très original mais que veux-tu ? Quand tu téléphones à l’accueil, n’oublie pas de leur dire que tu es un ami à moi. »

« … »

C’est ça, à bientôt. Passe me dire bonjour quand tu arrives, ok ? ‘Bye. »
-O-O-
_________________
‡ Il s’agit d’une entente négociée entre le syndicat de la construction et le gouvernement en 1971 que pour les deux dernières semaines de juillet, toute construction cesse sur l’étendue de la province de Québec afin que les ouvriers puissent bénéficier de deux semaines consécutives de vacances. L’aspect farfelu de cette entente est que pendant l’hiver, qui dure généralement de la mi-novembre au 30 avril, il fait trop froid pour travailler dehors donc il n'y a que très peu de gros projets en chantier. 
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Cor
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Re: Histoires de Cor; Canicule

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Chapitre 7

Les deux semaines de la Construction étaient en cours et Mélanie était plus occupée que jamais. À tous les soirs, la salle commune (Sean préférait ça au nom américain ‘Bar’) était bondée. Il n’y avait non seulement les habitués ; les résidents de Sherwin’s Falls qui venaient pour leur consommation gratuite, et parfois plus, il y avait aussi les clients du camping et même quelque visiteurs occasionnels – la renommée de la microbrasserie de Sean était telle que certains amateurs de bières artisanales venaient d’aussi loin que de Montréal ou plus loin encore pour braver des chutes et de vider quelques bouteilles avant de retourner chez eux, malgré, si c’est ça le mot juste, des contraintes du code vestimentaire. L’ambiance était chaude et bruyante dans la salle quoiqu’il n’arrivait plus qu’il fallait ramener le client à la maison en brouette comme c’était parfois le cas jadis quand l’auberge s’appela encore ‘The Sherwin’s Falls Arms Hotel’.

Mélanie était sous le comptoir à changer un baril quand elle entendit un client commander un ‘Mélanie’s melody’. Elle était surprise – Le pub en tenait toujours quelques bouteilles de cette eau-de-vie maison mais ce n’était pas un grand vendeur. La majorité de la clientèle opta plutôt pour des eaux-de-vie plus traditionnelles comme du whiskey et du gin.

Tout en continuant à s’affairer après son baril d’Alan’s Ambrosia, elle se rappela quand Sean l’avait confectionnée… L’un des passe-temps de Sean était de concocter différentes eaux-de-vie avec le petit alambic qu’il gardait dans la malterie près des chutes. Quand il pensa avoir trouvé quelque chose avec du potentiel, il le faisait goûter par le personnel avant de la commercialiser. Un jour, à peu près six mois après que Mélanie avait joint l’équipe, Sean est arrivé avec un flacon qu’il passa à la ronde.

C’était la première fois qu’elle assista à ce jeu et elle était curieuse ; elle s’est donc immiscée au groupe. Quand Sean lui présenta son shooter, elle le regarda avec méfiance ; ça ressemblait un peu comme du vin blanc mais un rien plus visqueux. Après que les autres commencèrent à sentir et à siroter la boisson, elle essaya aussi. Puis, il y avait une période de silence tandis que Sean étudia chacun intensément pour leur impression.

« … Hmmm. » dit l’un.

« Ouais, pas pire, très bon, même. » dit un autre.

« Je pense que tu t’es surpassé, chéri, » dit Megan. « C’est du quoi ? »

« Des agrumes… à peu près 50% Macintosh, 25% Lobo, 10% Russet et 15% poires. »

Après que tous avaient donné leur avis, c’était le tour de Mélanie. « Ça manque de mordant ! » dit-elle. Pendant que tous la regardèrent avec étonnement, elle continua. « C’est bon mais ça n’a pas de caractère. Il manque quelque chose, quelque chose qui lui donne un coup de pied au cul. Je ne sais pas, de la menthe peut-être… non, pas ça. De la menthe poivrée ; c’est ça, il manque un soupçon de menthe poivrée. »

Sean l’étudia sans rien dire. Puis, après un instant, il donna un petit coup de tête en acquiescement et partit. Personne ne disait mot, personne ne lui regardait. Mélanie crut avoir fait la gaffe de sa vie ; elle s’était adaptée à la mode de vie à l’auberge et elle s’y plaisait. Elle se souvenait à peine de ses parents mais elle était certaine de ne jamais avoir été aussi heureuse depuis qu’ils sont morts. Elle était convaincue que maintenant, elle n’aurait plus de choix que de plier bagage et de partir.

Toutefois, les jours passèrent et personne n’eut fait allusion à cette catastrophe mais Mélanie continua à sentir une vague malaise, comme si le monde alentour ne savait plus comment dealer avec elle. Une semaine plus tard, toutefois, sur un coup de vent, il rentra par la porte qui mène vers la chute, traînant un nuage d’air glacée de dehors comme une locomotive à plein vapeur et, d’un pas déterminé, se dirigea directement vers Mélanie. Sans mot dire, il déposa un verre de shooter devant elle et la remplit avec le contenu d’un autre flacon.

Avec hésitation, craignant le pire, elle l’essaya. … Ses yeux ouvrirent grand ; un délice ! Le liquide descendit en douceur, chaud et velouté puis, un moment plus tard, quand on ne s’y attendait plus, un arrière-goût la rattrapa par derrière comme une tape dans le dos pour lui rappeler que ce n’était pas un banal jus de fruit qu’elle venait de boire. Elle déposa son verre avec le sourire. Aucune parole n’avait été nécessaire. Ce n’était qu’après que Mélanie avait donné cette appréciation sans équivoque que Sean fit la tournée de nouveau. C’était Megan, à la fin, qui lui trouva le nom ‘Mélanie’s Melody’… et depuis lors, c’était toujours Mélanie son premier choix comme cobaye pour tester ses créations alcoolisées.

Quand Mélanie sortit la tête de derrière le comptoir après enfin avoir connecté le baril pour voir qui aurait pu commander ce drink, elle a eu toute une surprise.

« Paul ! Que fais-tu ici ? »

« Hé b’en, et moi qui pensais que tu serais contente de me voir. »
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« Oh, je le suis mais de faire tout ce trajet juste pour dire allô… »

« Pas du tout ; je suis ici pour la semaine. J’ai tellement aimé ça ici que je me suis gréé de tout un attirail de camping et je me suis installé à côté, près du sentier à travers l’érablière. »

Avec un clin d’œil à Aelwen, qui se força de ne pas rire aux éclats, il dit « Si ça te tente, viens faire un tour demain matin et je te préparerai un déjeuner qui vaut la peine et non pas juste des amuse-gueules bios. »

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Re: Histoires de Cor; Canicule

Message par Cor »

Vous avez sans doute remarqué que j'aime illustrer mes histoires. Ceci dit, je suis loin d'un expert avec le logiciel Photoshop et le matériel brut que j'utilise sont des photos que 'j'emprunte' de l'internet. Or, il m'arrive de ne pas être satisfait de certains de mes montages. C'était le cas de l'image que j'avais créée pour le chapitre 5 de cette histoire.

Comme j'avais quelques moments de libre, je me suis mis à attaquer ladite image de nouveau - je viens de la remplacer avec ma nouvelle création. Si cela vous tente, je vous invite à y jeter un coup d'œil.

la vieille...
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la nouvelle...
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Re: Histoires de Cor; Canicule

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Chapitre 6

Sarah Athelstone était en train de passer l’aspirateur dans le salon du presbytère quand elle entendit quelqu’un sonner à la porte. Elle ferma son aspirateur, arrêta à la penderie pour sortir une robe chemisier qu’elle y gardait pour des occasions comme celle-ci et la boutonnait rapidement avant d’ouvrir la porte.

« Oui, est-ce que je peux vous aider, » demanda-t-elle en anglais.

« Mme Athelstone… ? » répondait la dame à l’allure sévère, en français. « Je me présente, Espérance LaBonté. Je suis avec la DPJ de Montréal ; nous avons reçu un signalement à propos d’une jeune femme qui habiterait dans la région, une certaine Mélanie Turgeon. Est-ce que vous la connaissez ? »

« Oui, certainement, je la connais… elle habite en face. De quoi s’agit-il ? »

Elle regarda la bâtisse avec mépris. « Dans cet… hôtel ? J’ai entendu tout genre d’histoires à propos de ce que s’y passe là-dedans. Quel genre de personne est-elle ? » Dans sa tête, elle était déjà à composer le rapport qui lui retirerait l’enfant de sa charge.

C’était comme si Sarah lui lisait dans ses pensées « Vous vous trompez du début jusqu’à la fin, Madame. Y êtes-vous allé… ? Bien non, évidemment... Rentrez, et je vais vous parler de Mélanie… Excusez le désordre, mon mari est au diocèse à Montréal et j’en profitais pour faire un peu de ménage. »
-O-O-
Quand Paul est parti après sa semaine, Mélanie se sentait la vague à l’âme. Elle n’arriva pas à mettre la main dessus ; rien n’avait changé pourtant – on entamait la deuxième semaine des vacances de la construction et la clientèle à la salle commune était tout aussi frénétique. Megan avait dû embaucher une fille supplémentaire pour vider les tables car Aelwen, Jenny et Bess en avait plein les bras juste à prendre les commandes et de faire le service. Le plus souvent, Mélanie était encore toute seule derrière le comptoir mais, à l’occasion, Megan mit la main à la pâte et lui donna un coup de main pour tirer des bières en fut.

Après une journée où elle tourna en rond et était à chercher des puces (elle avait même engueulé Fiston pour un rien), elle décida qu’elle n’en pouvait plus et appela Karine.

« Salut. Comment vont les vacances ? »

« L’enfer, dans les deux sens du mot. Icitte, il doit faire dans les 50° Celsius avec un humidex de 150%. Je m’ennuie de ton auberge ; on y était b’en. J’ai dû ouvrir toutes les fenêtres et toutes les portes de l’appart dans l’espérance que le peu de vent qu’il y a finira par changer l’air à l’intérieur. Je m’étais étendue sur le balcon arrière toute nue et je m’en clisse combien de gens pourraient me voir. La chaleur n’est pas supportable autrement. Roger et moi avions été voir chez Club Petiprix hier à son retour du travail pour une clim qui fiterait dans la fenêtre de la chambre mais ils sont toutes en back-order. Même les fans sont en back-order… c’est pas possible ! »
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« Comment ça, » demanda Mélanie. « Roger n’est pas en vacances avec toi ? »

« Non, maudite marde ! La Packers est à "rationaliser" son personnel. Il va y avoir des coupures de postes. Ils sont à écœurer le monde pour qu’ils démissionnent pour qu’ils ont pas à payer la prime de séparation. Ils peuvent pas simplement annuler les vacances car ça fait partie du contrat mais ils disent que les employés peuvent pas prendre plus qu’une semaine à la fois et c’est eux qui décident quand tu les prends et fuck ta planification… Paul était parti toute la semaine dernière mais je ne sais pas où et Roger ne pourra pas prendre les siennes avant septembre. Comme tu sais, avec le retour à l’école, septembre est notre gros mois à la manufacture. Ça fout en l’air tous nos projets pour l’été. »

« Ouais, je sais, » se souvint Mélanie. « Paul était ici la semaine dernière mais il m’a pas parlé de sa job. Il s’était acheté un équipement de camping complet ; une tente pour six personnes (il m’a dit qu’il avait déjà couché dans une tente pour deux personnes et qu’il a eu de la difficulté à respirer, sans parler de bouger), un poêle à deux bruleurs, une batterie de casseroles de camping, de la vaisselle et tout. Je parie qu’il y en avait pour deux mille piastres, environs. Pendant la journée, Fiston, lui et moi avions fait des choses ensemble ; la piscine, du vélo, des choses comme ça. Les soirs, quand je travaillais, il se tenait à la salle commune et jouait aux fléchettes avec les habitués. Une journée, nous sommes allés au zoo, tous les trois. Fiston aurait aimé faire l’aqua-parc aussi là-bas mais ni lui, ni moi, avons des maillots. Pas que ça me tente mais, maintenant qu’il sait que l’aqua-parc existe, il va falloir que je m’en achète un pour lui et pour moi. Je peux pas vraiment lui dire que c’est trop loin ; c’est juste à côté. »

« Il s’entend bien avec Fiston ? »

« Ouais, on dirait qu’il a passé sa vie avec des petits ; à la piscine, il jouait avec lui et quand Fiston avait quelque chose à raconter, Paul écoutait comme c’était la chose la plus importante en ville. »

« Toi, comment tu le trouves ? »

« Oh, il est correct… Il est intéressant et il sait écouter. Un soir, il est resté jusqu’à la fermeture "pour m’escorter chez moi", il disait. C’était drôle. Il attendait pendant que je barrai la porte de la salle commune, il m’a suivi en montant l’escalier et jusqu’au fond du couloir et, devant ma porte, il m’a remercié d’une très belle soirée, tout comme si nous étions sur une "date". C’était cute. Jeudi, sans rien me dire, il s’était arrangé avec Megan pour me donner un soir de congé et nous sommes allés danser à Valleyfield. C’était la première fois que je suis allé danser dans un club depuis que j’ai quinze ans. J’ai eu un fun noir ! »

« Ah ? Est-ce qu’il t’a donné un bec ? »

« Voyons donc… »

« Et maintenant ? »

« Comment ça ? Je comprends pas… et puis, merde ! Est-ce pour me dire que t’es enceinte que tu me téléphones… »

« Non, c’est toi qui m’a téléphoné ! Et changes pas le sujet. Comment tu te sens maintenant qu’il est parti ? »

« … Ch’ais pas… Euh… En fait, ça va mal. J’ai même engueullé Fiston, ce matin. »

« Tiens, tiens… »

« Quoi ? »

« Bien, ma fille, toi, tu le sais peut être pas mais moi, je le sais ; t’es en amour. »

« Ne sois pas ridicule…, » protesta Mélanie.

« Non, juré, craché ! Tu peux croire ta grand-moman Karine ; t’es en amour cul par-dessus tête ! »
-O-O-
Le lendemain, Mélanie était encore à travailler l’idée qu’elle puisse être en amour avec Paul comme un chien gruge un os qu’il vient de trouver. En étant réaliste, elle dut s’admettre qu’elle n’avait jamais été en amour avec Butch. À l’école quand elle avait quatorze ans, elle le trouva sexy avec ses cheveux peigné comme un rocker italien, un peu comme ce Justin quelque chose était sexy mais côté intérêts ; une assiette avait plus de profondeur. Son seul atout était qu’il était là quand ce maudit pimp à sa tante a commencé à se prendre à elle. C’était comme normale qu’elle se donne à lui mais ‘être en amour’ ? Ça, non.

Se secouant la tête, elle retourna aux dossiers pour vérifier si les factures de la veille avaient bien été inscrites au bon client quand l’officier Dubeau est rentré avec une autre dame habillée en veston pantalon.

« Salut, Françoise. Quoi de neuf ? Les Bradley ont-ils déposé une autre plainte, » lui demanda Mélanie en souriant.

« Non, pas cette fois-ci, c’est-à-dire, oui mais ce n’est pas pour ça que nous sommes ici. Nous avons à te parler. »

« Ah ? Bon. Venez par ici, alors. Nous ne serons pas dérangées à cette heure-ci… Bon, qu’y a-t-il ? J’avoue que tu me fais sentir un peu mal-à-l’aise. »

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« Avant tout, Mélanie, j’aimerais te présenter le Sergent Détective Anne Grondin ; elle est affectée au bureau de Valleyfield de la Sureté. Sergent, voici Mélanie Turgeon. »

« Détective… » acquiesça Mélanie

« Mélanie, la détective Grondin aimerait te poser quelques questions. »

Mélanie regarda la femme avec un regard hanté.

« Avant d’arriver ici, avez-vous toujours élevé votre fils seule ? »

« Pas mal, oui. C’est moi qui achetais son linge et ses couches. C’est moi qui payais pour l’épicerie chez nous aussi. Même à ça, Butch était pas content. Il disait être écœuré de manger des binnes et du spagh. C’était ça qui lui a fait vire sur le top la dernière fois. »

« Butch… ? »

« Mon chum, à l’époque… Son nom est Bernard Latraverse mais il aime ça qu’on l’appelle Butch. Il pense que ça lui donne un air de tough. »

« C’est lui le père de ton gars ? »

« Ouais, mais il a jamais rien fait pour Fiston à part de le faire ;

« Je ne comprends pas ; Il ne t’aidait pas ? Pourquoi – il n’avait pas de travail ? »

« Oh, oui, il avait une job. Il travaillait dans un garage mais sa paie allait pour ses sorties à la brasserie les soirs où il y avait une bonne game à la télé. »

« Tu ne sembles pas l’apprécier outre mesure ? »

« C’est à cause de lui que je suis ici. Un soir, après avoir bu encore plus que d’habitude, nous avons eu une chicane et il m’a frappé. Le lendemain matin, pendant qu’il dormait encore, j’ai fait ma valise, j’ai emballé Fiston et j’ai sacré mon camp. »

« T’as pas pensé à déposer un signalement auprès de la police ou les services sociaux ? »

« Ça aurait donné quoi ? Jusqu’ici, ‘ils’ m’ont pas été d’un grand secours. Quand mes parents sont morts, ‘ils’ m’ont dompé chez une tante qui arrondissait ses fins de mois au lit. Moi, je voulais rien savoir d’elle mais personne ne m’a écouté. Je me suis sauvé chez Butch quand son pimp voulait me recruter, moi aussi. J’étais avec Butch pour peut-être un an et demi au moment qu’il a commencé à me tabasser. J’avais entendu assez d’histoires d’horreur où la fille retourne toujours avec le même gars et finit par se faire tabasser à mort. Il n’y avait pas question que je reste pour ça ; qui aurait pris soin de Fiston ? »

« Pourquoi aller chez Butch ? »

« Je le connaissais de l’école. À l’époque j’étais encore niaiseuse et je le pensais correct. Je savais qu’il s’était trouvé un appart et il m’avait offert un refuge. »

« T’habitais chez lui ? »

« Si tu veux. En fait, l’appart appartient à son boss. Il le laissait à Butch contre la moitié de sa paye. Pourquoi toutes ses questions ? »

« Parce que nous avons reçu un rapport que t’aurais kidnappé ton petit de son père, » répondit la policière. La détective regarda la policière comme si elle voudrait l’assassiner.

« Voyons donc ! T’es pas sérieuse… »

« Tout à fait sérieuse, au contraire, » répondit la détective.

« Je fais quoi avec tout ça ? »

« Le kidnapping est un crime grave. Dans ce cas-ci, il n’y a pas eu de code ‘Amber’ parce que le rapt est sensé avoir eu lieu il y a deux ans mais nous devons quand même investiguer. Il y a-t-il quelqu’un qui pourrait corroborer ta version ? »

« Il y a Karine… C’est une fille avec qui je travaillais à la manufacture… Si ce n’était pour elle, je ne sais pas qu’est-ce que j’aurais fait. »

« Comment ça ? »

« Butch ne voulait même pas qu’on déclare la naissance de Fiston ; il était convaincu qu’il aurait des emmerdes avec la police – j’étais encore mineure quand j’ai accouché. J’ai accouché chez nous ! Karine connaissait une sage-femme qui travaille au noir pour celles qui ne peuvent pas aller à l’hôpital. Ce sont Karine et elle qui se sont occupées de moi. Butch était même pas là – il y avait une game des all-stars ce soir-là. Ce n’est qu’après que je suis arrivée ici que le révérend m’a convaincue de le déclarer, pour qu’il ait une existence légale. J’en ai parlé avec Megan et Sean, les proprios de la place, et ils m’ont offert d’être parrain et marraine. Pour leur remercier de tout ce qu’ils ont fait pour moi, j’ai nommé Fiston Jean, Jean Turgeon – l’équivalent français de Sean. »

« As-tu un nom et une adresse pour Karine ? »

« Ouais… elle s’appelle Karine Lachapelle. Elle habite la rue Beaudoin, le 215, je crois. »

La détective le notait dans son calepin. « . Une dernière question… Comment es-tu arrivée jusqu’ici, » demanda-t-elle

« Le matin que je me suis enfuis, j’ai ‘emprunté’ les clés du garage qui étaient encore dans les poches de Butch. Au garage, il y avait une vieille minoune qui trainait dans la cour. J’ai pris les clés, fait le plein et je suis arrivée ici je ne sais plus comment. Rendue près de la grange de Heather, la bagnole m’a lâché. C’est Heather qui m’a trouvé une place ici. »

« Bon, d’accord. Je ferai un rapport de ton témoignage à mon superviseur. Il va falloir que nous passions voir Megan et Sean pour qu’ils corroborent ce que tu viens de me dire. C’est qui cette Heather ? »

« C’est Heather O’Donnell. Son mari et elle sont propriétaires du verger face au chemin vers la frontière. »

« Vous nous tenez au coutant de vos déplacements, » demanda la détective.

« Ne vous inquiétez pas ; je n’irai pas loin. »

Megan descendait les escaliers au moment que Mélanie escorta l’officier Dubeau et la détective vers la porte. Après que Mélanie l’avait refermée derrière elle, Megan demanda « C’est quoi, tout ça ? »

Mélanie commença à pleurer. « Oh, Megan, je suis inquiète… Mon ex veut me reprendre Fiston ! »

« Quoi ! C’est quoi, cette histoire ? »

Mélanie raconta le résumé de son entrevue avec la détective. « Qui d’autre que lui aurait pu déposer le signalement, » conclut-elle.

« Bien, il y a toujours nos chers voisins d’en face… mais j’avoue que c’est peu probable. Pour le moment, il n’y a rien que tu puisses faire alors essaies de ne plus en penser. D’après ce que tu me dis, la police n’est qu’au stade de recueillir les premières informations. Je suis certaine qu’au besoin, tout le village serait disposé à déposer un bon mot pour toi. Laisse la justice faire son cours. »

« … OK, » mais Mélanie ne semblait guère convaincue.

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