Nous étions trois copains inséparables. On se connaissait depuis la maternelle et nous avons vécu bien des aventures tout au long de notre jeunesse. On s’appelait entre nous «les trois mousquetaires» : Denis était Aramis pour la raison qu’il était le plus réservé, le meilleur en classe et qu’il passait ses temps libres à la bibliothèque. Michel, lui, c’était Athos parce qu’il se vantait toujours que les filles couraient après lui et puis moi, le plus gros, le plus grand et le plus fort, j’étais bien sûr Porthos.
Mais comme dans le roman, nous avions un quatrième mousquetaire : mon petit frère. Il avait seulement six ans et durant les vacances scolaires, j’étais censé le garder quand mes grands-parents étaient absents. On ne trouvait pas cela drôle parce qu’à douze ans, on aurait préféré être entre nous pour certaines de nos aventures. Mais je vous parle de mon petit frère car il tient un rôle essentiel dans l'histoire que je vais vous raconter : la plus folle qui nous est arrivée.
Un jour, Denis, alias Aramis se pointa à notre cachette favorite (la grange d’un voisin) avec un magazine érotique. Il l’avait découvert chez lui dans le bureau de son père où il lui était pourtant défendu de pénétrer. Dans ce temps-là, on n’avait pas internet et les revues pour adultes étaient bien sûr interdites aux mineurs. Alors la trouvaille de Denis était comme un trésor. On s’installa donc pour découvrir le monde mystérieux des filles.
Mais on fut tout d’abord déçu. Les femmes sur les photos n’étaient pas des miss univers. Elles ressemblaient à nos mères, à nos tantes ou à nos voisines. Au lieu de l’excitation prévue, nous nous sentions inconfortables. Mais le plus gênant, on y voyait aussi des hommes, des gros et des minces, des jeunes et des vieux. Ce n’était pas vraiment ce qu’on attendait d’une revue porno. On feuilleta les pages en espérant découvrir des photos plus aguichantes, mais elles étaient toutes pareilles. Les clichés servaient d’illustrations à des articles sur l’hébertisme, les voyages dans le sud, le bien-être de la vie au soleil ou dans la nature. On y trouvait même une recette végétarienne concoctée par une vieille dame dans sa cuisine. Ce n’était vraiment pas ce à quoi nous nous attendions.
En tournant les pages, Michel découvrit vers la fin une liste d’endroits où ces gens se rencontraient. Nous allions refermer la revue lorsque Denis s’écria :
– Oh, attendez, je viens de voir un truc. Là dans les adresses ils parlent de la Guimorais, vous savez, la plage près de Paramé.
Cela ne prit pas trente secondes pour que la même idée germât en nous. On se regarda fixement et on s’exclama d’une seule voix.
– Et si on y allait?