Chapitre 10
Quand Paul se présenta chez Roger et Karine pour leur annoncer la bonne nouvelle, le vendredi soir la deuxième semaine d’août, ils étaient profondément pris dans une discussion au salon. Karine, depuis sa fin de semaine chez Mélanie, avait pris l’habitude de se déshabiller en arrivant à la maison et de se rhabiller que pour sortir. Au début, elle disait que c’était pour faire face à la canicule mais depuis une semaine déjà, la température avait baissé en bas des 30° et le taux d’humidité se situait plus aux alentours de 50% et elle continua toujours à se promener ainsi. Paul remarqua qu’elle semblait particulièrement radieuse et pétillante malgré la lourdeur apparente de la discussion.
Roger, quant à lui, semblait avoir rajeuni de cinq ans, sinon dix. Paul se dit intérieurement que c’était ridicule de penser ainsi d’un gars qui n’aurait que vingt-trois ans dans trois mois mais c’était ainsi. Depuis le mois de mai, il semblait trainer le poids du monde sur les épaules et ça, encore plus depuis que Karine leur avait parlé de Sherwin’s Falls. Paul ne savait pas ce qui c’était passé entretemps mais ce poids n’était plus là. Lui aussi semblait vouloir se tenir plus droit et, pour une fois, lui aussi était nu.
« Salut, vous deux. Je n’interrompe rien, j’espère ? »
« Non, pas du tout, » répondit Roger. « Karine et moi étions à discuter du futur. Sers-toi une bière, si tu veux et mets-toi à l’aise. Il y a des serviettes dans la lingerie. »
Paul le regarda avec étonnement.
« B’en quoi ? » Puis Roger lui sourit et avec un petit rire gêné, continua. « En fait, Karine était à m’enseigner l’étiquette naturiste… à coup de pied au cul, des fois. »
« Ah bon ? D’accord. Pendant que je suis au frigo, je vous apporte quelque chose ? »
« Un verre d’eau glacée, s’il te plaît, » répondit Karine. « Une bière pour moi, » ajouta Roger.
Quelques instants plus tard, Paul revint avec serviette, verre d’eau et deux bières et, après avoir distribué les boissons, s’installa en face d’eux. « Bon, que passe-t-il ? Vous avez tous les deux l’air du chat qui a bouffé le canari. »
« Premièrement, je veux…/Je suis en…, » Roger et Karine disaient en même temps puis partirent à rire, tous les deux. « Bon, vas-y, Roger. Toi en premier, » conclut Karine.
« D’accord. Bien, pour commencer, je voulais m’excuser auprès de toi, Paul. Depuis quelque temps, j’étais convaincu que toi et Karine, vous vous lanciez en l’air derrière mon dos et j’étais jaloux... »
« Mais j’ai jamais…, » protesta Paul.
« Laisse-moi finir, veux-tu ? C’est difficile, ce que j’ai à te dire. J’avais des idées toutes tordues par rapport à ce qui se passait dans ces centres naturistes et je croyais que vous insistiez tous les deux que je vienne avec vous pour qu’on refasse notre trio du début. J’aime beaucoup Karine mais je me sens incapable de penser à elle en train de le faire avec d’autres gars et encore moins avec plusieurs à la fois. C’est pour ça que je n’ai pas voulu venir. »
« Mais Roger, depuis cette fois-là, je ne l’ai plus jamais fait avec Karine…, » dit Paul.
« Je le sais… maintenant. À votre retour de là-bas, Karine et moi avions eu une longue discussion et nous avons réussi à mettre plusieurs choses au clair. T’es mon meilleur ami, Paul, et je tenais à m’excuser pour t’avoir mal jugé. »
« Voyons donc, penses-y même pas. Il n’y a pas eu de faute dont rien à pardonner. »
« Fiou ! Je suis content que ça, c’est fini. Vas-y, chérie, à toi maintenant, » dit Roger à Karine.
« Bien, comme Roger t’as expliqué, nous avons eu une longue discussion tous les deux quand nous sommes revenus de notre fin de semaine, toi et moi. J’ai fini par le convaincre que, même si toi et moi, nous nous aimons comme amis et tout ça, que c’était lui que je voulais comme père de mon enfant et personne d’autre. Je lui ai parlé du petit de Mélanie, de comment il était ‘bright’ et bien élevé et je lui ai dit que j’étais convaincue que c’était l’environnement dans lequel il se trouvait qui a fait ça. Crois-moi, je m’y connais ; ma mère tenait une garderie clandestine quand j’étais jeune et j’ai changé plus que ma part de couches ! Donc, pour finir ; je n’ai pas été menstruée la semaine dernière et j’ai bonne espoir d’être enceinte. »
À cette nouvelle, Paul a sauté de son fauteuil avec un cri de joie, a plongé vers Karine et, la soulevant du divan, lui fit une accolade qui manqua de lui briser les reins. Puis, lâchant Karine, il sauta sur Roger, qui s’était levé entretemps et lui fit une accolade toute aussi passionnée. Roger, visiblement mal-à-l’aise avec ce contact intime entre leurs deux corps nus, tentait vainement de se débattre.
Quand, finalement, Paul a lâché son étreinte, il ne cessa de dire « Bravo, mon vieux. Félicitations à tous les deux ; une plus merveilleuse chose n’aurait pas pu vous arriver ! Oh, que je suis content ! »
Karine regarda la déconfiture de son homme avec complaisance et amusement ; elle se dit qu’elle aurait du travail à faire pour le sortir de son carcan. Là-dessus plusieurs idées lui vint à l’esprit mais ça, ça serait pour plus tard. Pour le moment, il y avait plus pressant.
« En fait, Paul, » dit-elle, « quand t’es arrivé, nous discutions de ce que nous allions faire. Avec les mises-à-pied à la Packers, la job de Roger est loin d’être certaine. Quant à moi, je pourrais encore peut-être travailler pour six mois à la manufacture… Mais une fois que le bébé est né, je voudrais trouver une job où je pourrais le garder à côté de moi, un peu comme Mélanie a fait à l’auberge. En plus de ça, j’ai le goût de quitter la ville, du moins quitter "La Pointe" – j’ai de plus en plus la conviction que c’est un cul de sac de vivre ici. Je me demandais donc si ça te tenterais de retourner à Sherwin’s Falls cette fin de semaine ? Roger et moi pourrions faire le tour pour voir ce qui est disponible comme job dans le coin et toi, tu pourrais passer du temps avec ta dulcinée… »
Karine avait à peine finit sa phrase quand les deux gars se sont levés d’un bond. « Quoi ! »cria l’un. « Hé ! Juste une minute ! » cria l’autre.
« Assoyez-vous et écoutez-moi ! » dit Karine fermement. « Paul… aimes-tu Mélanie, oui ou non ? »
« B’en… ouais… »
« Assez pour pouvoir envisager de faire ta vie avec elle ? »
« … Euh… Oui » Ça lui gênait de l’admettre.
« Parfait. Ce qui te reste à faire donc, c’est d’en convaincre Mélanie. J’ai comme une idée que ce sera plus facile que tu penses. À toi, maintenant, Roger… dis-moi. Comment te sens-tu ? »
« Énervé, qu’est-ce que tu penses ? »
« Je veux dire… te sens-tu blessé, comme s’il te manque un morceau ou deux ? »
« B’en… non. Pourquoi ? »
« Parce que ça fait deux heures que tu n’as pas un seul morceau de linge sur toi, y inclus les derniers vingt minutes en présence d’un autre homme. T’as même invité cet homme à se déshabiller également. Si ton linge avait véritablement été une composante inséparable de ton corps, t’aurais dû saigner à mort depuis ce temps. Je parie qu’à part de l’instant où Paul t’a fait l’accolade, t’en n’étais même plus conscient. »
« Mais ça c’est différent… Paul est un ami. »
« Non, ça ne fait aucune différence. Demande-le à Paul ; il te le confirmera. La première fois que tu te mets tout nu, tu te sens mal-à-l’aise pour peut-être quinze minutes. Après ça, à moins que quelqu’un te le mets sous le nez, tu n’y penses même plus. Moi, je veux présenter l’homme de ma vie et le père de mon enfant à ma meilleure chum. Tu viens, un point, c’est tout ! »
-O-O-
Deux heures plus tard, Paul stationna sa voiture au même endroit devant l’auberge. Ils seraient arrivés vingt minutes plus tôt mais Karine avait forcé Paul d’arrêter chez un fleuriste et d’acheter un bouquet ; ce serait l’anniversaire de Mélanie dans trois jours. Pendant que Roger sortait les bagages, Karine trainait Paul vers l’intérieur afin qu’il offre le bouquet à Mélanie. Arrivé à la porte de la salle commune, elle le poussa presque jusqu’au comptoir. Mélanie était occupée avec Farley et ne l’avait pas encore remarqué.
« … Euh… Excusez, mademoiselle, sommes-nous trop tard pour louer une chambre, » demanda-t-il.
Mélanie se retourna d’un coup et, le voyant, cria « Paul… » Elle aurait sauté dans ses bras s’il n’y avait pas eu le comptoir entre eux deux.
D’un air gêné, il dit « Tiens, Mélanie. Ceci est pour toi ; bonne fête, » et lui offrit le bouquet.
« Mais comment… c’est Karine qui te l’a dit, n’est-ce pas ? Je vais la tuer ! »
« Non, pas directement, » dit-il sans lui avouer que l’idée du bouquet venait effectivement d’elle. « Quand elle m’avait donné ton numéro de téléphone le mois dernier, elle avait laissé glisser la signification du numéro. J’imagine que t’es une véritable lionne, donc. »
Mélanie partit à rire. « Jusqu’au bout de mes griffes ; Growl ! » et fit le geste de griffer sa proie.
Entretemps, Karine et Roger se sont présentés à la porte du pub, également. Tout comme Karine la dernière fois, Roger était figé sur place, bouche bée. Avec un clin d’œil à Paul, elle indiqua l’expression de Roger et les trois, Mélanie, Paul et Karine, partirent à rire de nouveau.
Tournant vers Farley, elle dit « Will you give me a minute, Farley? I want to sign my friends in for the night. »(‡)
“Sure, love. Take all the time you need. Excuse me for overhearing but is it really your birthday?”
Mélanie acquiesça. “Don’t tell anyone but it’s on Monday. Promise you won’t tell?”
“All right, love, if you insist.”
“You’re a dear.”
De retour au lobby, elle distribua des fiches d’inscription et prit une impression de la carte de Karine. Elle allait prendre les clés des chambres quand Karine lui demanda « Depuis quand parles-tu anglais ? »
« Depuis que mes parents sont morts, j’imagine. Beaucoup des clients de ma tante étaient anglophones. Ça leur gênait de me retrouver encore debout quand ma tante leur ouvrait la porte. Pour briser la glace, plusieurs ont essayé de me faire la conversation. Tête de mule que j’étais, moi, je prétendais ne pas comprendre. Ce n’est que rendue ici que j’ai pu le pratiquer comme il faut, par contre. »
Changeant le sujet, elle indiqua l’escalier. « Je n’ai pas pu vous donner les mêmes chambres que la dernière fois. Cette fois-ci, vous êtes au bout du couloir, face à ma propre chambre. Karine, Roger, votre chambre est celle-ci. Vous avez douche et toilette mais pour le bain, c’est à l’autre bout ; désolée. Paul, la tienne est celle-ci. La salle à diner ouvre à sept heures trente pour le déjeuner. Je vous laisse car je suis seule ce soir ; les filles sont toutes parties en ville pour la graduation de Bess. Elle reçoit son diplôme en gestion d’hôtel ce soir. »
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‡ « Peux-tu me donner une minute, Farley ? J’aimerais inscrire mes amis pour la nuit. »
« Certainement, chère. Prends tout le temps que t’as besoin. Excuse-moi d’avoir écouté mais est-ce vraiment ta fête ? »
Mélanie acquiesça. « Ne le dis pas à personne mais c’est lundi. Tu le promets ? »
« D’accord, chère, si c’est ça ce que tu veux. »
« T’es un amour. »