Histoires de Cor; Vatican 2 1/2

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Histoires de Cor; Vatican 2 1/2

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Vatican 2 ½
Par Cor van de Sande
D’après une idée originale par Cor van de Sande
© Cor van de Sande, 2013
Cette nouvelle est basée sur les personnages et les endroits introduits dans l’histoire
“My House, My Rules” by Cor van de Sande en 2012

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Premier épisode ; Une visite inattendue

L’homme, malgré sa carrure, se déplaça avec la fluidité et l’économie de mouvement d’un chat. Bien que cette journée de printemps fut quand même assez chaude, il portait veston et pantalon noirs, avec une chemise à collet romain amidonné, toute noire. Il mesurait un bon mètre quatre-vingts, peut-être un peu plus, avec de larges épaules carrées et des mains de la grandeur d’une palette de ping-pong. En gros, il avait l’air d’un joueur de football de la défensive ; une armoire-à-glace, comme on disait chez nous.

Il avait laissé sa voiture aux abords du village et descendait la route principale à pieds. Tout en marchant, les bras légèrement écartés de son corps, son regard bougea continuellement à droite, à gauche, comme à l’affut d’un piège ou d’une embuscade. Arrivé à la hauteur de la petite église anglicane, il arrêta et tourna lentement sur lui-même pour regarder tout autour. D’un geste machinal, inconscient, il leva la main à son front et caressa la longue cicatrice gravée juste au-dessus de l’arcade de son œil droit. Il hésita encore un instant puis se dirigea vers la petite église en bardeaux blancs. Montant les marches, il essaya la porte mais ne fut aucunement surpris de constater qu’elle était barrée.

Debout, devant la porte, il entendit le bruit d’une pelle frappant une roche et venant de derrière l’église. Il descendit la rampe de chaise roulante, contourna la main courante et longea le côté de l’église vers l’arrière. Arrivé à la hauteur du coin de la bâtisse, il figea sur place – devant lui, il y avait un genre de jardin communautaire avec des platebandes délimitées par des poutres de deux par huit goudronnées d’un préservatif foncé. Le bruit qu’il venait d’entendre avait été fait par un couple dans la soixantaine bien tassée qui travaillaient l’une des platebandes, sans le moindre bout de linge sur le dos. Il allait reculer discrètement quand l’homme du couple leva les yeux.
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« Yes ? May I help you ? Est-ce que je peux vous aider, » demanda-t-il.

« Excusez-moi, je ne voudrais pas vous déranger, » dit l’homme au collet romain.

« No, no… venez. Approchez. Vous ne nous dérangez pas du tout. »

« Mais, vous… votre… »

« … Costume ? Nous labourons dans le jardin du Seigneur dans le costume qu’Il nous a fourni. » Il partit à rire. « De toute façon, ce costume-ci est bigrement plus facile à nettoyer que n’importe quoi d’autre. » Le vieillard passa sa pelle à sa femme, s’essuya les mains sur ses fesses et approcha, la main tendue pour accueillir le visiteur.

« Bonjour, je suis James Athelstone, je suis le pasteur ici, et voici mon épouse, Sarah. »

« Euh… bonjour, » dit l’homme en lui secouant la main. « Moi, je suis Richard Poirier, le nouveau curé à Saint Ignace. »

« Ah, oui ? Excellent. Je suis vraiment content de faire votre connaissance. Si vous me donnez cinq minutes pour me ramasser quelque peu, nous pourrions nous installer plus confortablement dans le presbytère. »

Tandis que Sarah ramassa les pots à fleurs vides et les mit dans la petite brouette pour la traîner vers la remise, le révérend Athelstone ramassa pelle et pioche pour les amener également à la remise. Il était à se rincer sous la douche extérieure quand une jeune demoiselle fit le tour de l’église et arrêta devant lui.

« Mon révérend, … » commença-t-elle, mais il l’interrompt.

« Tut, tut, Mam’zelle, les manières, s’il-te-plaît. Aelwen, je te présente le Père Richard Poirier. Mon Père, je vous présente Mlle Aelwen Owens. J’imagine que, techniquement, elle est l’une de vos paroissiennes. »

Pendant que le révérend Athelstone faisait les introductions, le Père Poirier regarda la jeune femme d’environs dix-neuf ans. C’était une grande mince aux cheveux rousses et des taches de rousseur plein le visage, au cou et aux bras. Elle portait des jeans « stretchy » super-moulants et un tee-shirt trois tailles trop grande avec, sur le devant, le logo d’un cercle et un dessin d’une paire de fesses nues et les mots « Happiness is no tan lines ». Ce qui le surprit le plus, par contre, était que la fille ne sembla pas du tout surprise ni affectée du fait que le révérend soit complètement nu.

« Excusez-moi, mon père, je ne voulais pas vous manquer de respect. »

Le Père Poirier fit un geste négligent de la main. « Bonjour… Aelwen ? C’est un nom inusité, n’est-ce pas ? »

« Plutôt, oui, » ria-t-elle. « Vous ne saurez jamais à quel point qu’on m’a taquinée à ce sujet, étant jeune. C’est censé signifier ‘front gracieux’. Mes parents m’ont toujours dit qu’ils voulaient me donner un nom traditionnel du Pays de Gales mais moi, je suis convaincue qu’ils étaient plutôt sur un trip de « Seigneur des Anneaux » quand ma mère a accouchée de moi, » dit-elle avec le sourire.

Entretemps, le révérend Athelstone avait fini avec sa douche et s’était essuyé. « Bon, Mam’zelle, c’était quoi qui était si urgent ? »

Aelwen avait l’air perdue pour un instant. « Euh… Ah, oui ! J’ai croisé Kenzie tantôt. Elle était à vérifier si ses pommiers avaient beaucoup de fleurs cette année. Elle m’a demandé de vous dire que Skinflint avait fini de construire son étable et qu’il aimerait que vous fassiez un tour pour le bénir quand ça adonnera. »

« D’accord, merci. Si tu la revois avant moi, dis-lui que je passerai en toute probabilité demain dans l’après-midi. Dis, il devrait approcher cinq heures, n’est-ce pas ? Tu n’es pas censée être de service ce soir ? »

« Oui, effectivement. D’ailleurs c’est là que j’allais. Je ne suis arrêtée ici que parce que je savais que Sarah avait été acheter des plants de tomates au centre de jardinage. Je vous laisse, mon révérend, mon père. Si vous passez par l’auberge, je vous paie à souper, » et elle est partit à rire.

Le révérend Athelstone partit à également à rire et dit « allez, ouste, petite diablotine, va travailler, » tandis que le Père Poirier les regardait tous les deux, confus.

« Je ne comprends pas. »

« L’auberge est un peu surprenante, à première vue. Elle est construite dans le style des auberges anglaises de la fin du dix-huitième siècle. Sa brasserie vend surtout des produits fabriqués sur place. Les repas y sont excellents et la cuisine se spécialise dans les produits du terroir local, bien que la carte soit quelque peu dégarnie, les prix sont plus que raisonnables. C’est que le propriétaire a des idées arrêtées sur la tenue vestimentaire exigée ; la nudité intégrale y est de rigueur. »
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Deuxième épisode ; Le testament

« Euh… pardon ? Je crains ne pas avoir compris. »

« Oh, que si, » répondit le révérend avec un grand sourire. « Venez, je vous racontes ça. Vous prendriez bien une tasse de thé… ou préféreriez-vous d’autre chose ? »

Entretemps, ils arrivèrent à la porte du presbytère où les hommes s’entassèrent pour laisser passer Sarah en premier.

« James, je mets l’eau à bouillir et je monte me mettre quelque chose sur le dos. Je crois que le père Poirier se sentirait plus à-l’aise ainsi, » dit-elle avec un petit sourire au coin de l’œil.

« Non, non, ne vous dérangez pas pour moi. Si vous vous sentez bien, restez comme vous êtes– vous êtes chez vous. »

Sarah lui jeta un regard rapide mais perçant, puis sourit. « Non, cette fois-ci, je vais m’habiller. Peut-être une autre fois… on ne sait jamais. »

« Quant à moi, » dit le révérend, « si vous me le permettez, je resterai tel quel. » Il prit une serviette, le déposa sur son fauteuil et s’assit. « C’était devenu une habitude au Brésil, et malgré les vingt-cinq ans que j’ai passées ici, quand les chambardements ont eu lieu ici il y a deux ans, les anciennes habitudes ont vite remontées à la surface et je constate que je ne peux plus m’en passer. »

« Quels chambardements ? »

« Ah ça, c’est toute une histoire, mais attendons que Sarah, descende. Ça se raconte mieux au-dessus d’une tasse de thé. »

« Justement, » dit Sarah, de la porte du salon, « j’allais demander ce que vous prendriez, mon père. » Elle s’était mis une robe simple mais saillante. « Nous avons du thé, du café… comme boissons froides j’ai de l’eau, évidemment, ou encore du jus d’orange ou de la limonade. Si vous préfériez de la bière, je pourrais traverser la rue et en chercher quelques bouteilles à l’auberge. »

« Non, du thé me va parfaitement, merci. » Quelques secondes plus tard elle revint avec un service de thé et une petite assiette de galettes sur un cabaret. « Prenez-vous du sucre, du lait ou du citron ? »

« Juste nature, ce serait parfait. »

Après que Sarah eut distribué des tasses de thé à la ronde, ils s’installèrent autour de la table à café.

« Alors, dites-moi ce que vous faites dans ce bled perdu, » demanda le révérend Athelstone. « Vous dites que vous êtes le curé de St-Ignace. La dernière nouvelle que j’ai eue de cette paroisse était que le père Langostina est mort l’automne dernier. D’ailleurs, c’est moi qui ai présidé à son inhumation à la demande de quelques-uns de mes concitoyens. Pour moi, c’était un honneur, mais je fus surpris qu’il n’y ait pas eu de suivi de la part du diocèse. »

« Bien, pour être franc, » dit le père Poirier, un peu gêné, « c’est que nous venons de l’apprendre, nous-mêmes, »

« Oh ? »

« Oui. Selon ce qu’on m’a dit, le père Langostina était plutôt du style indépendant. Il s’occupait de ses affaires et, à tous les ans, envoyait son bilan financier au diocèse mais, autrement, il continua à travailler seul dans son coin. » Le père Poirier partit à rire. « On pourrait dire que, tout comme les cocottes-minutes du même nom, le père Langostina était plutôt hermétique. »

« Alors, pour continuer, que le diocèse n’ait pas eu de ses nouvelles ne les a aucunement surpris, surtout que personne n’ait appelé pour demander un remplaçant. Mais, quand son bilan annuel tarda à venir et qu’il ne répondit pas au téléphone, ils ont envoyé quelqu’un pour investiguer. C’est là qu’ils ont appris son décès. Comme j’étais nouvellement ordonné, j’ai été convoqué par le cardinal et il m’a assigné la paroisse. J’étais en train de visiter la région pour m’acclimater et j’avais pensé faire un tour pour m’introduire à l’équipe adverse, pour le dire ainsi. » Le père Poirier sourit pour désarmer tout semblant d’insulte.

« Je vois, » dit le révérend d’un air pensif.

« Vous ma parliez de chambardements, » dit le père Poirier pour l’inciter à raconter son histoire.

« Ah, oui…, » expliqua le révérend Athelstone, « en fait, cette communauté, ce village, était en train de mourir tranquillement d’inanition. Comme vous le savez, sans doute, il y a peu de fermiers qui roulent sur l’or. Plusieurs ont beaucoup d’avoirs mais la majorité croule sous les dettes. On doit beaucoup investir dans les terres, les équipements, les engrais, les moulés et d’autres consommables et l’argent pour payer ces dépenses ne vient que plusieurs mois, voire des années plus tard. Après avoir remboursé les prêts, acheté la bouffe pour se nourrir et j’en passe, la majorité des fermiers arrivent à peine à rester à flot. C’est pareil pour les pomiculteurs ; ils doivent investir dans des engrais, des fongicides et des vermicides, et dès que la culture arrive à peu près mature, ils doivent recourir à diverses méthodes pour chasser les oiseaux, les ratons-laveurs et les chevreuils. En plus, les pommiers ont ceci de spécial, ils doivent absolument être pollinisés par des abeilles donc, si pour une raison ou une autre, il y a carence d’abeilles, la récolte est foutue.

« Le gouvernement impose des exigences de plus en plus sévères pour protéger l’environnement, des exigences qui font que le pomiculteur doit investir dans des méthodes toujours plus coûteuses et ce sont les distributeurs qui ramassent les profits, payant ce qui veulent aux pomiculteurs et vendant la récolte à prix fort aux commerçants. Tout le long de la route ici, il y a des vergers laissés à l’abandon, faute de relève.

« Sherwin’s Falls avait été fondée il a à peu près deux cent cinquante ans lors de la Révolution américaine par un brasseur du nom de Sherwin. Il avait construit une auberge et brasserie ici, à l’autre côté de la route, et le village s’est établi autour d’elles. Toute la région ici a été colonisée jadis par des anciens britanniques qui ne voulaient rien savoir du nouveau régime américain ; des anglais, des écossais, des irlandais et des gallois, ils ont tous migré vers le nord plutôt que guerroyer contre les tuniques rouges. À la longue, des québécois francophones ce sont ajoutés au mélange ainsi que des immigrants venant directement de l’Europe.

« L’auberge a changé de propriétaire à plusieurs reprises pour finalement tomber entre les mains d’un ancien pilote de la Deuxième guerre mondiale du nom de O’Shaughnessy en 1946. À l’époque, plus rien ne restait de l’ancienne brasserie et l’auberge avait été transformée en hôtel de campagne surtout fréquenté par des commis-voyageurs.

« Quand O’Shaughnessy fut tué lors d’une bagarre dans les années soixante, l’hôtel avait été laissé à l’abandon et c’est resté ainsi jusqu’à il y a deux ans, à peu près, non, plutôt trois ans maintenant. Vous vous souvenez, peut-être, il y a six, sept ans de ça, la loterie Euro-Millions avaient été gagnée par défaut par un nommé O’Shaughnessy… personne n’avait réclamé le premier prix, donc après un an, il avait été partagé entre les deux gagnants du deuxième prix. Ça avait fait tous les journaux du monde à l’époque. Or, ce O’Shaughnessy là s’est avéré être le petit-fils du nôtre. Avec la publicité que la chose avait générée, le cabinet d’avocats du feu O’Shaughnessy a finalement put exaucer le testament et le petit-fils a pu hériter du grand-père.

« C’était le souhait du grand-père que l’hôtel soit remis à sa fonction d’origine et qu’il redevienne une micro-brasserie et auberge. Avec l’argent que Sean, le petit-fils, avait gagné avec la Euro-Millions, il n’avait aucune difficulté à acquiescer à cette demande. Toutefois, Sean y a ajouté une variante toute particulière. Vous voyez, quand les avocats du feu O’Shaughnessy finirent par mettre le grappin sur Sean, il habitait l’Île du Levant, cette île à moitié naturiste au large de Marseille, avec sa conjointe.

« Après avoir ramassé ses gains, Sean s’est lancé un jour pour faire le tour du monde mais dans des conditions de simplicité volontaire que peu de gens imiteraient aujourd’hui, puis s’était décidé de s’établir là-bas sur l’île dans le même genre de simplicité volontaire. Lors de ses voyages et encore sur l’Île du Levant, il est devenu de plus en plus convaincu que les vêtements, tous vêtements, nuisaient à notre humanité intrinsèque. Donc, quand les avocats l’eurent trouvé et qu’il avait accepté son héritage, il décida que tous les clients, pour être servis, devaient être tout-à-fait nus, ainsi que tout le personnel de l’auberge et du terrain de camping qu’il créa à côté. »

« Vous m’en parliez tantôt mais je n’arrive pas à y croire, » exclama le père Poirier. « Il n’aura jamais de clients s’il exige ça ! »

« Oh, ça n’a jamais été une exigence que la brasserie et l’auberge soient rentables, » sourit le révérend, « juste qu’elles soient reconstruites, ce qui fut fait. Mais, de toute façon, il s’est organisé pour les rentabiliser – son camping, un centre naturiste, en fait, est l’un des plus importants et avec une des meilleures infrastructures au monde. Il reçoit des clients de partout. La brasserie n’a peut-être pas beaucoup de clients hormis les résidents du village et les clients du centre, mais sa réputation n’est plus à faire et elle exporte sa production aux restaurants les plus huppés de Montréal et ailleurs. Presque le tiers du village travaille directement pour lui et l’autre deux-tiers produit les denrées dont il se sert dans son auberge ou encore qu’il utilise dans sa production de comestibles dans sa brasserie. À lui seul, il subventionne la majeure partie de la municipalité, la voirie, l’entretien et tout. »
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Troisième épisode ; À vivre parmi les enfants du Paradis

« Avant de venir s’installer ici, Sean est venu nous voir, Sarah et moi, et il nous a tout expliqué son projet avec la condition de ne pas le divulguer à qui que ce soit. Comme la majorité des Irlandais, il est Catholique. Il est venu à nous car le père Langostina ne l’aurait jamais approuvé. Il voulait avoir notre opinion. Nous avons longuement discuté, non seulement des aspects pratiques de son projet ; les retombées économiques, en quelque sorte, mais aussi des aspects religieux ; ce que la bible dit de la nudité sociale. Sean est d’une nature très croyante mais éminemment pratique pour autant et son naturisme est tout aussi bien fondé. Fort de notre expérience au Brésil, nous ne pouvions qu’être d’accord avec son point de vue. »

« Excuse-moi, James, mon père… il commence à se faire tard. Vous resterez à souper, sans doute, et à moins que vous deviez être rentré chez vous ce soir, mon père, nous avons une pièce de libre où vous pouvez passer la nuit. Le souper est prêt ; je n’ai qu’à le servir. Le repas sera assez simple – nous ne sommes pas végétariens, pas comme tels, mais nos repas sont plutôt axés dans cette direction. »

« Merci, j’accepte volontiers et, pendant que nous y sommes, je crois que nous sommes largement dépassé le stade de ‘mon père’. Appelez-moi Richard, s’il vous plaît. »

« Je suis parfaitement d’accord, Richard, » répondit le révérend, du tac au tac. « Et vous, appelez-moi James. »

« Pour revenir à nos histoires ; vous, comment êtes vous arrivés ici, parmi cette assemblée de lunatiques, » demanda Richard afin d’en apprendre le plus possible sur ses paroissiens.

« Bien, pour commencer, » entama le révérend, « Sarah et moi faisions partie de la même communauté. Nous avions à peine vingt ans, tous les deux, quand nous nous sommes mariés. Nous étions jeunes, innocents, et pleins de ferveur évangélique. Nous nous sommes aussitôt inscrits pour aller au Brésil et enseigner la lumière de Dieu aux indigènes. »

« Nous nous sommes rendus tellement profondément dans la jungle amazonienne que nous étions à peine quelques kilomètres près de la frontière péruvienne. Notre mission se trouva parmi la tribu de… bon, ça ne sert à rien de les nommer – entre la guerre avec les tribus avoisinantes et les bienfaits de la civilisation, plus personne de cette tribu ne vit encore de nos jours. Je crois même que le gouvernement n’a jamais su que la tribu avait déjà existé. »

Sarah prit la parole. « Notre initiation a été difficile – nous étions convaincus des bienfaits de la civilisation et les indigènes ne nous faisaient pas confiance. Ils étaient tout-à-fait nus, voyez-vous, et nous étions habillés dans l’uniforme de l’homme blanc civilisé ; des bermudas et des chemises en kaki, des souliers lacés et des bas jusqu’aux genoux. Nous avons compris plus tard que les indigènes croyaient que puisque nous cachions nos corps, nous étions fourbes. Ce ne fut que quand je me suis fait prendre à me laver près de la rivière, qu’ils ont daigné nous parler. Le chef est venu là où je me trouvais et m’a signé de le suivre. Quand je me suis retourné pour ramasser mon linge, il est devenu furieux. Finalement, j’ai choisi de le suivre telle que j’étais et il m’a indiqué une autre partie de la rivière. J’ai su par après qu’à l’endroit où j’étais, il y avait des araignées extrêmement vénéneuses. »

« Pour résumer, » continua James, « nous avons pris l’habitude de nous promener nus parmi eux et nous avions vite compris que ce n’était pas nous qui devions leur enseigner comment vivre mais plutôt le contraire. Nous avons ainsi vécu parmi eux pour dix ans, à les aider quand ils en avaient besoin, ce qui n’était pas souvent et à apprendre comment vivre avec la nature plutôt que contre elle. Finalement, un représentant de notre communauté, accompagné d’une escouade de soldats brésiliens, est venu nous extraire de là. Nous avons appris plus tard que l’année suivante, la tribu a été attaquée, peut-être par des bandits, peut-être par une autre tribu ou encore par des mercenaires embauchés par l’une des entreprises qui convoitaient le terrain, et qui les ont tous massacrés. »

« Nous étions de retour à Londres, » dit Sarah, « et nous cherchions à rejoindre une autre mission, non pas parce que nous voulions encore convertir des indigènes mais parce que la ville nous puait au nez et c’était la seule chose que nous savions faire. Quand nous avions entendu dire que l’ancien pasteur de Sherwin’s Falls était mort et que la communauté cherchait à le remplacer, James et moi, nous nous sommes regardés et nous avions accepté le contrat sur le champ. Nous sommes ici depuis ce temps. »
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« Et vous, Richard, vous me semblez plutôt vieux pour être nouvellement ordonné et de vous faire assigner une nouvelle paroisse ainsi. Parlez-nous de vous un peu, » proposa James.

« En fait. C’est une longue histoire. Pour faire court, disons que lors des dernières fois que le Canada a dû envoyer un escadron militaire vers l’Afghanistan, je faisais partie du lot. Ma famille a une tradition militaire de père en fils et je tenais à suivre dans cette tradition. Je faisais partie de l’équipe technique, spécialiste en communication et je ne devais pas faire partie du groupe tactique. Toutefois, la situation là-bas était d’une… fluidité, disons… hors de commun et les choses pouvaient changer du cap au cap dans le temps de le dire. Un jour, j’étais à investir un village censé être amical pour y installer une base radio quand j’ai reçu ceci, » et il fit un geste vers son œil. « Une balle, venant de je ne sais pas où, a passé un demi centimètre sous le bord de mon casque et a manqué de m’arracher la moitié de la tête. »

« À se jour, je suis convaincu que Dieu ne voulait pas que je meure. Mes potes m’ont évacué à l’hôpital militaire le plus proche et m’ont dit que je suis mort par deux fois en chemin. À l’hôpital, les docteurs m’ont opéré d’urgence pour retirer la balle du crane mais malgré cela je suis mort une troisième fois. À chaque fois ils ont réussit à me ranimer. Une fois stabilisé, les toubibs m’ont renvoyé au Canada où tranquillement j’ai récupéré, autant sur le plan physique que mental, car j’avais complètement perdu la mémoire. Une fois rétabli, j’ai eu ma décharge de l’armée avec pension à vie et je me suis inscrit pour devenir prêtre. Je suis bien maintenant mais il me reste encore des séquelles – j’ai tendance à être un peu craintif et le moindre bruit soudain me trouve sous une table. » Richard haussa ses épaules. « Peut-être, à la longue, ces comportements s’estomperont. »
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Quatrième épisode ; La cène

Sur ce, Sarah proposa qu’ils se rendent vers la cuisine, car contrairement à la plupart des presbytères catholiques où les repas sont préparés par un domestique et où, la plupart du temps, une sœur de la congrégation ou encore une veuve du voisinage les servait dans une salle à diner, ici, la cuisine assez grande pour accueillir une famille. Tandis que James mit la table, Sarah brassa une dernière fois la soupe qui avait mijoté doucement tout l’après-midi et remplit trois grandes assiettes à soupe. C’était une épaisse soupe aux pois verts avec des dés de jambon cuits.

Pendant le repas, James et Sarah décrivaient les gens du village plus en détail. « Llewelyn Owen, le père de la fille Aelwen que vous avez rencontré cet après-midi, est Québécois depuis six générations mais sa famille venait d’origine de Swansea. Kate, son épouse est Ontarienne mais tellement fière des origines de son mari qu’elle avait pris des cours de gallois. La famille est Catholique.

« La barmaid de l’auberge, Mélanie Turgeon, est arrivée ici un jour comme un cheveu sur la soupe. Elle est québécoise donc je présume qu’elle avait été baptisée Catholique jadis mais nous n’avons jamais parlé religion et je doute que son fils soit baptisé. Elle est monoparentale d’ailleurs, en fuite d’une vie d’enfer.

« Charlie O’Donnell et sa femme, Heather, tous deux irlandais, sont les pomiculteurs les plus en moyens du coin. Ils sont catholiques, tous les deux. La famille McGraw, qui sont les voisins des O’Donnell, sont Catholiques aussi, tout comme Sean mais Megan, sa femme, est Wiccan, ceci étant le plus proche des rites druides qu’elle a pu trouver. »

Après que les assiettes de soupe furent desservies, Sarah se leva pour monter et servir le plat principal, trois assiettes de pommes de terre coupées en morceaux, de tranches de tomates, des concombres, des tranches d’aubergine, des lanières de poivrons verts et rouges, des olives noires et des tranches d’œufs cuits durs, tous froids. Pendant ce temps, James descendit à la chambre froide et remonta avec une bouteille de vin blanc. « Tenez, » dit-il, « essayez ce vin blanc. Elle vient aussi de la région mais non pas des efforts de Sean ; le vin est la seule boisson alcoolisée qu’il ne produit pas. »

De retour à la table, ils continuèrent à discuter des paroissiens mais dévièrent pour décrire ceux qui n’étaient pas Catholiques.

« Farley Gee, l’apiculteur qui fournit les abeilles pour tous les vergers du coin, se dit athée mais sa famille, originaire de la région du Loch Lomond, est calviniste. Skinflint MacGruder, écossais lui aussi, (tout le monde l’appelle Skinflint, même sa femme, Kenzie) est plutôt unitarien mais n’a pas encore décidé une fois pour toute où se brancher. Kenzie est du genre généraliste ; elle est croyante mais l’étiquette lui importe peu.

« Bernie Hinckley opéra jadis une érablière mais quand Sean O’Shaughnessy lui a acheté ses terres, il a commencé à travailler comme homme-à-tout-faire pour le camping. Lui, il est anglican. La famille Matheson, qui opère le centre naturiste pour Sean, sont Anglicane aussi. La famille Hennessey, quant à elle, vient d’Irlande aussi à l’origine mais du coin de Dublin donc, ils ne sont pas Catholiques. Toute la famille vient aux services mais je ne pourrais vraiment dire de quelle branche ils sont. Lui, il est agronome, travaillant pour le Ministère de l’Agriculture et elle est préposée de centre de la petite enfance.

« Il y a aussi Igor Grabovietski, un autre pomiculteur, et sa femme Ivana et leurs enfants, qui sont orthodoxes. En fait, Igor et sa famille, comme beaucoup d’ukrainiens, étaient déjà naturistes à la maison même avant la venue de Sean alors ils sont de ceux que son arrivée a le moins dérangé. Donc, comme vous voyez, la population est plutôt comme une salade niçoise semblable à celle que nous avons mangée ce soir. »

« Comment ça, dérangé, » demanda Richard. « Il me semble que, si on n’est pas d’accord avec la mode de vie de quelqu’un, à moins qu’il y a des comportements criminels, on peut simplement éviter de la courtiser. »

« Ah, c’est là que ça devint intéressant, »répondit Sarah. « Lorsque Sean avait fini de construire son auberge ou plutôt reconstruire son auberge, car il avait tout arraché les modifications qui avaient été apportés pendant les deux derniers siècles, ne gardant que les murs d’origine, il invita tous les villageois, soit pour un repas gratuit, soit pour une consommation au pub, par jour, la seule exigence étant qu’ils devaient respecter le code vestimentaire. Au début, que quelques-uns osèrent accepter son offre ; les Grabovietski, les Matheson, Bernie Hinckley et Farley Gee, par exemple. Skinflint se sentit l’obligation d’y aller aussi, si ce n’était que pour confirmer sa réputation de radin. Maintenant, ça lui arrive assez régulièrement d’y passer la soirée. Quand ça lui arrive, Kenzie vient le rejoindre plus tard pour un verre de cidre et le traîne à la maison par après.

« Je dirais que le seul qui n’a pas encore accepté d’y aller une seule fois, c’est Charlie O’Donnell car, pour utiliser un terme cher aux naturistes, Charlie est un textile convaincu, ce qui ne l’empêche aucunement de vendre la plus grande partie de sa récolte à Sean – Sean en fait du cidre pétillant – il ne faut pas mélanger la politique et les affaires, dit-il toujours. C’est drôle car Heather, sa femme, même si elle n‘y va que très rarement et uniquement quand Charlie est parti pour affaires, est devenue amie intime avec Megan et elles vont souvent en ville ensemble pour des sorties entre femmes et des emplettes. »

« Tu oublies les Bradley, Sarah, » dit James.

Sarah fit un air de mépris. « C’est vrai, je les avais oubliés, ces deux-là, en effet. Les Bradley sont nos voisins ; ils sont les fouines du village. J’imagine que chaque village a ses Bradley ou leurs équivalents… toujours en train de regarder par derrière des rideaux et de rapporter les "péchés" de tout et chacun au vicaire. Ils nous ont empestés la vie depuis des années. » Sarah partit à rire. « Après que Sean s’était installé et avait lancé son invitation, je suis allée les voir pour les inviter à prendre le thé et de « discuter » de la situation. Mais je ne sais pas où j’avais la tête cette journée-là car j’avais complètement oublié de m’habiller et j’étais à leur cogner à la porte toute nue. » Richard partit à rire aux éclats et James, aussi, sourit en souvenir de l’évènement. « Je ne sais pas pourquoi, mais depuis ce temps, nous avons la paix. »

« Quand le vieux père Langostina est mort, » continua James, « les Catholiques qui sentaient le besoin de communier avec Dieu ont plus ou moins migré ici vers mon église, faute de mieux. De par ma formation et de mon expérience au Brésil, je m’efforce d’être accueillant et de ne pas forcer MES croyances sur les gens. J’essaye plutôt de leur prêter une oreille attentive et de les guider vers un choix qu’ils avaient déjà plus ou moins pris eux-mêmes. Depuis la venue de Sean, il y avait des tensions entre les Catholiques de Sherwin’s Falls et le père Langostina car, bien qu’il soit un homme posé et serein, il n’était malheureusement pas très ouvert au naturisme. Je ne sais pas exactement les limites de votre paroisse mais vous allez voir, plus que vous vous déplacez vers Valleyfield et de Chateauguay, plus que vous allez trouver de Catholiques, car ces régions sont plutôt francophones. »
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roger
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Re: Histoires de Cor; Vatican 2 1/2

Message par roger »

Cor a écrit :Farley Gee, l’apiculteur qui fournit les abeilles pour tous les vergers du coin, se dit athée mais sa famille, originaire de la région du Loch Lomond, est calviniste.
Je suis quelqu'un de curieux et je me demandais comment il se faisait qu'il y avait des calvinistes en Ecosse. Au départ, j'ai pensé qu'il s'agissait de huguenots qui se sont exilés de France après la «révocation de l'édit de Nantes» : une parmi tant d'autres des erreurs du sieur Louis XIV puisqu'il a fait fuir la tranche de Français les plus riches, les plus industrieux vers les autres pays européens qui ont ainsi connu la révolution industrielle et économique avant la France.

Je suis moi-même membre de l'église réformée et donc je me suis renseigné : eh bien non, selon Wikipedia «Le calvinisme devint la doctrine théologique majoritaire en Écosse avec John Knox»
Merci Cor de m'avoir ouvert l'esprit sur une facette de l'histoire des religions.
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Cor
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Re: Histoires de Cor; Vatican 2 1/2

Message par Cor »

Cinquième épisode ; Le retour aux sources

Le lendemain matin, après une nuit de sommeil comme rarement il a eue depuis son retour d’Afghanistan et un ample déjeuner, Richard remercia ses hôtes et repartit à pied vers sa voiture. Si quelqu’un l’avait remarqué (autre que les Bradley, bien sur), il aurait vu qu’il avait une démarche, non pas plus souple car cela ne serait pas possible mais plus détendue, moins suspicieuse. Il ne regarda pas partout avec autant de méfiance, même, il avait les lèvres quelque peu comprimées comme s’il sifflait.

De retour à sa voiture qui n’avait aucunement été touchée dans ce pays honnête et accommodant, il prit le volant et se dirigea vers la petite ville de Burnside où se trouvait son presbytère. Il vérifia son courrier, fait le tour dehors pour voir si les fleurs avaient besoin d’eau et s’installa dans un fauteuil de jardin avec sa bible et feuilleta celle-ci au gré de ses souvenirs.

Dans les jours qui suivirent, il descendit à plusieurs reprises en ville pour consulter les bouquins de la bibliothèque du diocèse ; les écritures de François d’Assise et le livre ‘Amour et Responsabilité’ du Pape Jean Paul II, surtout. Il hésita de discuter de ses recherches avec qui que ce soit du diocèse, craignant peut-être que son interlocuteur présente la même fermeture d’esprit que celle du feu père Langostina. Quand ça n’eut plus suffi, il fit quelques appels téléphoniques, puis se rendit à la Bibliothèque de Montréal pour poursuivre ses recherches sur des sites Internet qu’il sentait malaisé à consulter au diocèse.

Ces recherches terminées à sa satisfaction, il prit ses notes et retourna à son presbytère où il s’installa pour réfléchir et méditer, ne cessant que pour casser la croûte et dormir un peu.

Finalement, un vendredi matin ensoleillé, un peu plus de deux semaines après sa première visite à Sherwin’s Falls, il se sentait en paix avec lui-même et convaincu de la validité de sa démarche. Il fit quelques appels téléphoniques puis quitta le presbytère et monta dans sa voiture pour y retourner et discuter des résultats de ses recherches avec James et Sarah.
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Cor
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Re: Histoires de Cor; Vatican 2 1/2

Message par Cor »

Sixième épisode ; « Toutes les nouvelles à six heures »

Chez les Bradley, Alicia était à regarder par la fenêtre comme d’habitude. Tout-à-coup, elle figea puis…
« Henry, viens vite ! Viens voir ! »

« Le révérend et sa femme se dirigent vers l’auberge ! Et tu ne le croirais jamais mais le nouveau prêtre de St-Ignace est avec eux… »
FIN
Note de la fin : Pour terminer cette histoire, j'avais une belle image illustrant le couple Bradley qui lorgnait par la fenêtre et en fait, c'était cette image qui m'avait soufflé l'intrigue de l'histoire mais, malheureusement, la dernière fois que je l'avais affiché, quelqu'un avait prétendu tenir les droits sur la photo et avait exigé que la FQN lui débourse 350 $. Je ne sais pas si cette personne tenait vraiment les droits ou non mais la FQN a choisi de payer plutôt que de contester. Je préfère ne pas prendre des chances et cette fois-ci, je n’inclurai pas la photo.

Demain, je commencerai la dernière histoire de cette série. J'espère que vous aimez. N'oubliez pas ; si vous auriez une idée d'un scénario impliquant le village de Sherwin's Falls ou l'un ou l'autre de ses villageois, je vous invite de me la faire part, j'ai hâte d'en écrire d'autres.
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roger
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Re: Histoires de Cor; Vatican 2 1/2

Message par roger »

Cor a écrit : Demain, je commencerai la dernière histoire de cette série. J'espère que vous aimez. N'oubliez pas ; si vous auriez une idée d'un scénario impliquant le village de Sherwin's Falls ou l'un ou l'autre de ses villageois, je vous invite de me la faire part, j'ai hâte d'en écrire d'autres.
Je vais essayer mais ce n'est pas facile. Je ne connais pas l'endroit ni les personnages. Il faudrait établir une fiche pour chaque personnage comme lorsque l'on travaille sur une série de bandes dessinées. On a ce que l'on appelle une bible avec les détails physiques, les différentes apparitions dans les précédents scénarios, etc. Je vais y penser.
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