de
Roger Schaëffer
retrait Valérie était bien rougissante comme son oncle l’avait prédit. Elle marchait dans le sentier regardant alternativement de chaque côté . Elle tenait une grande serviette de plage collée à sa poitrine avec un pan retombant jusqu’au niveau de ses cuisses. Elle protégeait ainsi un peu de sa pudeur. Mais ce qui était le plus incroyable, c’est que Jean-Michel n’avait pas ôté un seul morceau de vêtement. Tel il était dans la voiture, tel il était dans le sentier en direction du restaurant.
retrait À leur entrée, toutes les têtes se tournèrent vers la jeune fille. Timide, s’agrippant à sa serviette comme un jeune enfant à sa peluche, elle parcourut des yeux l’ensemble de la salle, les baissant chaque fois que son regard rencontrait celui d’une autre personne. Dès qu’elle aperçut l’oncle Marcel, son visage s’éclaira. Elle se précipita vers lui comme un bateau perdu dans la tempête se dirige vers les lumières d’un phare. Sa course fut arrêtée par une grosse dame antillaise qui ne portait pour seul vêtement qu’un long tablier lui couvrant la poitrine et lui laissant les fesses exposées à tout venant. On devinait à ce détail, le tablier pas les fesses, son rôle de cuisinière. Les deux seules femmes dans la salle, Ginette et la sculpturale Adeline tiquèrent à cette intervention.
retrait— Une petite nouvelle ! Ah, cela me fait tellement plaisir de voir cette belle jeunesse dans mon restaurant. Le naturisme a tellement besoin de renouvellement. Allez, où vais-je vous asseoir, vous et votre frère ? Vos parents vont vous suivre, je suppose.
retraitValérie regarda avec stupéfaction tour à tour “son fils” (paraissait-elle si jeune ?) et la grosse dame noire. Puis, montrant de son petit doigt la table de Marcel et Ginette, dans un filet de voix, elle lui souffla.
retrait— Ils sont là.
retrait— Hein ! Vous, Marcel ! Petit cachottier, vous ne nous aviez pas dit cela. Deux beaux enfants !
retraitPuis se tournant vers Ginette, l’enveloppant de son large sourire avant de le faire de ses bras musculeux elle la gratifia de deux gros baisers sur chaque joue.
retrait— Je vous félicite madame. Soyez fier de ces deux beaux enfants. Il n’y a rien à jeter là-dedans. Ah Marcel, Marcel. Petit cachottier, il ne nous disait rien, le sacripant ! Une femme et deux enfants. Allez, ce n’est pas tout. Je dois retourner à ma tambouille. C’est moi l’esclave ici. Ah ! Ah ! Ah ! Mais madame, si vous avez aussi froid que cela, vous pouvez venir dans ma cuisine. Je n’ai pas besoin d’aller au sauna pour transpirer, moi !
retraitGinette, époustouflée, regarda la grosse cuisinière se diriger vers l’arrière du bar, les yeux fixés sur les fesses nues de la madame. Puis elle revint poser le regard sur son « nouveau mari. » Marcel était tout aussi éberlué. Il ne s’attendait pas à une telle démonstration intempestive, même s’il connaissait la dame depuis des lustres. Quand il put prononcer un mot, ce fut pour expliquer l’apparition.
retrait— Elle s’appelle Marie-Josèphe, la femme du breton, tu sais, celui du whisky. Ils tiennent depuis longtemps cet endroit à l’intérieur du camp. Si le monde extérieur avait vent du menu ici, le camp serait rempli de naturistes à longueur d’année.
retraitGinette acquiesça distraitement, mais sa pensée était ailleurs. Elle venait de voir les plus grosses fesses qu’elle n’avait jamais vues.
retrait— Mais elle était nue. Enfin, à part le tablier.
retraitMarcel devina la pensée de Ginette.
retrait— C’est sûr. Nous sommes dans un camp naturiste. D’ailleurs, je crois bien que c’est Marie-Josèphe qui a entraîné Yannick à pratiquer le naturisme. Tu sais, il n’y a pas que des femmes comme Adeline dans les camps naturistes. Il ne faut pas se fier aux photos qui nous montrent de jeunes Apollons et de belles Artémis. Tenez, justement...
retraitPlusieurs personnes âgées entraient dans le restaurant. Ginette n’avait pas à rougir de son corps. Elle était encore à cinquante ans une personne désirable même si ses goûts pour la jeunesse restreignaient ses choix. Valérie était enfin rendue à la table. Elle hésita à se défaire de sa serviette, mais il le fallait bien, celle-ci devait servir de protection à la chaise. Elle s’assit en rougissant. Son fils était resté auprès de ses deux amis. Tous nus, ceux-ci ne semblaient pas dérangés par la tenue de leur nouveau copain . Marcel, pour meubler la conversation, crut bon de commenter la lubie de son neveu. Il se tourna vers sa nièce.
retrait— Vois-tu ma chérie ? Ton fils est à l’âge où il va avoir des poussées de pudeur. Je suppose qu’il n’a pas voulu se déshabiller à la dernière minute.
retrait— C’est exactement cela. Nous étions prêts à partir. J’étais morte de peur, mais je me disais que je ne devais pas décevoir Jean-Michel... Et toi non plus. J’ai commencé à enlever péniblement chaque morceau de tissu qui me recouvrait. Et là, j’ai vu mon garçon, assis sur le lit avec son petit air fermé. Je lui ai demandé ce qu’il avait. Je croyais que c’était à cause de moi et d’un truc qui est arrivé dans le garage. (Elle regarda du coin de l’œil sa voisine), mais non, il avait peur, tout simplement peur comme moi. Mais lui, je crois qu’il était au bord de la panique. Il m’expliqua que l’autre soir, à la piscine, c’était à l’intérieur et puis avec toi, son oncle...
retrait— Oui, tout à fait. C’est cela. La piscine, c’est un endroit clos, sécuritaire. On se sent protégé par les murs. C’est un peu comme chez soi en pas mal plus grand peut-être, mais on se sent protégé. Ici, on affronte l’extérieur, c’est pas mal plus vaste, le ciel immense, les arbres, les buissons, les grandes prairies, etc. En plus, on était entre hommes... . À son âge, il est prêt à suivre tout ce qu’un homme lui dira de faire. Il sort du monde de l’enfance pour entrer dans le monde des hommes. S’il avait partagé ma cabine, j’en suis sûr qu’il n’aurait pas hésité à suivre mon exemple et il afficherait, comme ces deux copains là-bas, sa très jeune virilité. Alors que toi, ma petite, tu aurais suivi l’exemple de ton amie Ginette. Non ?
retraitLes deux femmes, avec un petit sourire coupable, tout en se regardant hochèrent la tête de concert et Marcel reprit :
retrait— Mais n’ayez crainte. Je vous parie que notre Jean-Michel ne va pas tarder à suivre l’exemple de Philippe et d’Antoine. Il n’y a pas plus conventionnel que des préadolescents. Ils se tiennent en troupeaux et tout ce que l’un fait, ils le font. De vrais moutons de Panurge. Allez ! Trêve de discours, Ginette a fini son apéro et moi, j’ai une faim de loup. Ma chérie, va chercher ton rejeton sinon on sera encore là demain. Où est le patron, excusez les filles, je vais voir en arrière si l’on peut avoir le menu .
retraitValérie se tourna vers la table d’Adeline de Mongeau. Jean-Michel, accoudé au dossier d’une chaise, discutait avec ses copains. La jeune fille chercha à attirer son attention en agitant le bras. Mais il lui tournait le dos et ce fut la mère des garçons qui intercepta le geste. Un éclair de plaisir illumina le visage de la de Mongeau. Elle crut que Valérie lui disait bonjour. Elle lui répondit de la même façon. Ginette fronça les sourcils, sentant le danger. Cette pie-grièche ne ferait pas de sa petite voisine une de ses bonnes à tout faire. Elle poussa un cri tonitruant qui glaça la salle tout entière.
retrait— Jean-Michel ! Ta mère t’appelle.
retraitTous les regards se tournèrent vers Valérie. Elle aurait voulu être une petite souris. Consciente de sa nudité, elle prit sa serviette de table pour s’en cacher. Mais devant la petitesse de la chose et le ridicule du geste, tout le monde à part Ginette était nu, elle reposa le tissu. Elle se contenta d’un sourire gêné à l’assemblée et fit une mimique pour excuser sa voisine. Puis elle se décida à rejoindre son fils. Celui-ci était au milieu de la salle et fusillait du regard la « détestable » Ginette.
retrait— Elle, là, je vais la tuer.
retrait— Non, non, mon chéri. Ne fais pas cela. Ginette voulait bien faire . J’aurais dû me lever. Allez, viens manger. Tout le monde nous regarde. Mon Dieu ! De quoi ai-je l’air, toute nue au milieu de la place ? Regarde, Marcel arrive avec les menus. On va manger. Viens, Michou. Oh, excuse-moi. J’ai oublié, Jean-Michel.
retraitLe garçon avait repris son visage fermé. Il serrait les dents et rien n’aurait pu le faire s’asseoir avec leur voisine. Non, rien !
retrait— Maman, Philippe et Antoine ont fini de manger. Je vais aller avec eux faire le tour du camping.
retrait— Mais tu ne veux pas manger ?
retrait— Pas avec elle, la maudite.