Histoire de Roger : Le monde à l'envers

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roger
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LE MONDE A L’ENVERS
de
Roger Schaëffer
CHAPITRE SIX



retrait Valérie était bien rougissante comme son oncle l’avait prédit. Elle marchait dans le sentier regardant alternativement de chaque côté . Elle tenait une grande serviette de plage collée à sa poitrine avec un pan retombant jusqu’au niveau de ses cuisses. Elle protégeait ainsi un peu de sa pudeur. Mais ce qui était le plus incroyable, c’est que Jean-Michel n’avait pas ôté un seul morceau de vêtement. Tel il était dans la voiture, tel il était dans le sentier en direction du restaurant.
retrait À leur entrée, toutes les têtes se tournèrent vers la jeune fille. Timide, s’agrippant à sa serviette comme un jeune enfant à sa peluche, elle parcourut des yeux l’ensemble de la salle, les baissant chaque fois que son regard rencontrait celui d’une autre personne. Dès qu’elle aperçut l’oncle Marcel, son visage s’éclaira. Elle se précipita vers lui comme un bateau perdu dans la tempête se dirige vers les lumières d’un phare. Sa course fut arrêtée par une grosse dame antillaise qui ne portait pour seul vêtement qu’un long tablier lui couvrant la poitrine et lui laissant les fesses exposées à tout venant. On devinait à ce détail, le tablier pas les fesses, son rôle de cuisinière. Les deux seules femmes dans la salle, Ginette et la sculpturale Adeline tiquèrent à cette intervention.
retrait— Une petite nouvelle ! Ah, cela me fait tellement plaisir de voir cette belle jeunesse dans mon restaurant. Le naturisme a tellement besoin de renouvellement. Allez, où vais-je vous asseoir, vous et votre frère ? Vos parents vont vous suivre, je suppose.

retraitValérie regarda avec stupéfaction tour à tour “son fils” (paraissait-elle si jeune ?) et la grosse dame noire. Puis, montrant de son petit doigt la table de Marcel et Ginette, dans un filet de voix, elle lui souffla.

retrait— Ils sont là.

retrait— Hein ! Vous, Marcel ! Petit cachottier, vous ne nous aviez pas dit cela. Deux beaux enfants !

retraitPuis se tournant vers Ginette, l’enveloppant de son large sourire avant de le faire de ses bras musculeux elle la gratifia de deux gros baisers sur chaque joue.

retrait— Je vous félicite madame. Soyez fier de ces deux beaux enfants. Il n’y a rien à jeter là-dedans. Ah Marcel, Marcel. Petit cachottier, il ne nous disait rien, le sacripant ! Une femme et deux enfants. Allez, ce n’est pas tout. Je dois retourner à ma tambouille. C’est moi l’esclave ici. Ah ! Ah ! Ah ! Mais madame, si vous avez aussi froid que cela, vous pouvez venir dans ma cuisine. Je n’ai pas besoin d’aller au sauna pour transpirer, moi !

retraitGinette, époustouflée, regarda la grosse cuisinière se diriger vers l’arrière du bar, les yeux fixés sur les fesses nues de la madame. Puis elle revint poser le regard sur son « nouveau mari. » Marcel était tout aussi éberlué. Il ne s’attendait pas à une telle démonstration intempestive, même s’il connaissait la dame depuis des lustres. Quand il put prononcer un mot, ce fut pour expliquer l’apparition.

retrait— Elle s’appelle Marie-Josèphe, la femme du breton, tu sais, celui du whisky. Ils tiennent depuis longtemps cet endroit à l’intérieur du camp. Si le monde extérieur avait vent du menu ici, le camp serait rempli de naturistes à longueur d’année.

retraitGinette acquiesça distraitement, mais sa pensée était ailleurs. Elle venait de voir les plus grosses fesses qu’elle n’avait jamais vues.

retrait— Mais elle était nue. Enfin, à part le tablier.

retraitMarcel devina la pensée de Ginette.

retrait— C’est sûr. Nous sommes dans un camp naturiste. D’ailleurs, je crois bien que c’est Marie-Josèphe qui a entraîné Yannick à pratiquer le naturisme. Tu sais, il n’y a pas que des femmes comme Adeline dans les camps naturistes. Il ne faut pas se fier aux photos qui nous montrent de jeunes Apollons et de belles Artémis. Tenez, justement...

retraitPlusieurs personnes âgées entraient dans le restaurant. Ginette n’avait pas à rougir de son corps. Elle était encore à cinquante ans une personne désirable même si ses goûts pour la jeunesse restreignaient ses choix. Valérie était enfin rendue à la table. Elle hésita à se défaire de sa serviette, mais il le fallait bien, celle-ci devait servir de protection à la chaise. Elle s’assit en rougissant. Son fils était resté auprès de ses deux amis. Tous nus, ceux-ci ne semblaient pas dérangés par la tenue de leur nouveau copain . Marcel, pour meubler la conversation, crut bon de commenter la lubie de son neveu. Il se tourna vers sa nièce.

retrait— Vois-tu ma chérie ? Ton fils est à l’âge où il va avoir des poussées de pudeur. Je suppose qu’il n’a pas voulu se déshabiller à la dernière minute.

retrait— C’est exactement cela. Nous étions prêts à partir. J’étais morte de peur, mais je me disais que je ne devais pas décevoir Jean-Michel... Et toi non plus. J’ai commencé à enlever péniblement chaque morceau de tissu qui me recouvrait. Et là, j’ai vu mon garçon, assis sur le lit avec son petit air fermé. Je lui ai demandé ce qu’il avait. Je croyais que c’était à cause de moi et d’un truc qui est arrivé dans le garage. (Elle regarda du coin de l’œil sa voisine), mais non, il avait peur, tout simplement peur comme moi. Mais lui, je crois qu’il était au bord de la panique. Il m’expliqua que l’autre soir, à la piscine, c’était à l’intérieur et puis avec toi, son oncle...

retrait— Oui, tout à fait. C’est cela. La piscine, c’est un endroit clos, sécuritaire. On se sent protégé par les murs. C’est un peu comme chez soi en pas mal plus grand peut-être, mais on se sent protégé. Ici, on affronte l’extérieur, c’est pas mal plus vaste, le ciel immense, les arbres, les buissons, les grandes prairies, etc. En plus, on était entre hommes... . À son âge, il est prêt à suivre tout ce qu’un homme lui dira de faire. Il sort du monde de l’enfance pour entrer dans le monde des hommes. S’il avait partagé ma cabine, j’en suis sûr qu’il n’aurait pas hésité à suivre mon exemple et il afficherait, comme ces deux copains là-bas, sa très jeune virilité. Alors que toi, ma petite, tu aurais suivi l’exemple de ton amie Ginette. Non ?

retraitLes deux femmes, avec un petit sourire coupable, tout en se regardant hochèrent la tête de concert et Marcel reprit :

retrait— Mais n’ayez crainte. Je vous parie que notre Jean-Michel ne va pas tarder à suivre l’exemple de Philippe et d’Antoine. Il n’y a pas plus conventionnel que des préadolescents. Ils se tiennent en troupeaux et tout ce que l’un fait, ils le font. De vrais moutons de Panurge. Allez ! Trêve de discours, Ginette a fini son apéro et moi, j’ai une faim de loup. Ma chérie, va chercher ton rejeton sinon on sera encore là demain. Où est le patron, excusez les filles, je vais voir en arrière si l’on peut avoir le menu .

retraitValérie se tourna vers la table d’Adeline de Mongeau. Jean-Michel, accoudé au dossier d’une chaise, discutait avec ses copains. La jeune fille chercha à attirer son attention en agitant le bras. Mais il lui tournait le dos et ce fut la mère des garçons qui intercepta le geste. Un éclair de plaisir illumina le visage de la de Mongeau. Elle crut que Valérie lui disait bonjour. Elle lui répondit de la même façon. Ginette fronça les sourcils, sentant le danger. Cette pie-grièche ne ferait pas de sa petite voisine une de ses bonnes à tout faire. Elle poussa un cri tonitruant qui glaça la salle tout entière.

retrait— Jean-Michel ! Ta mère t’appelle.

retraitTous les regards se tournèrent vers Valérie. Elle aurait voulu être une petite souris. Consciente de sa nudité, elle prit sa serviette de table pour s’en cacher. Mais devant la petitesse de la chose et le ridicule du geste, tout le monde à part Ginette était nu, elle reposa le tissu. Elle se contenta d’un sourire gêné à l’assemblée et fit une mimique pour excuser sa voisine. Puis elle se décida à rejoindre son fils. Celui-ci était au milieu de la salle et fusillait du regard la « détestable » Ginette.

retrait— Elle, là, je vais la tuer.

retrait— Non, non, mon chéri. Ne fais pas cela. Ginette voulait bien faire . J’aurais dû me lever. Allez, viens manger. Tout le monde nous regarde. Mon Dieu ! De quoi ai-je l’air, toute nue au milieu de la place ? Regarde, Marcel arrive avec les menus. On va manger. Viens, Michou. Oh, excuse-moi. J’ai oublié, Jean-Michel.

retraitLe garçon avait repris son visage fermé. Il serrait les dents et rien n’aurait pu le faire s’asseoir avec leur voisine. Non, rien !

retrait— Maman, Philippe et Antoine ont fini de manger. Je vais aller avec eux faire le tour du camping.

retrait— Mais tu ne veux pas manger ?

retrait— Pas avec elle, la maudite.
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roger
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retrait Valérie était malheureuse. Elle qui voulait toujours éviter les conflits se retrouvait dans le plus simple appareil, au centre d’une salle, en train de régler sa première vraie dispute avec son petit garçon. L’oncle Marcel avait bien raison. Il n’était plus son petit chéri adoré. Jean-Michel était en train de forger son caractère et sa mère allait être le terrain d’exercice le plus adéquat pour cela. Elle tourna le regard vers l’oncle, le suppliant de régler le conflit à sa place. Marcel souriant s’avança.

retrait— Bonne idée, mon grand, votre visite du camping. Tiens, va te prendre un sandwich dans le frigidaire là-bas. Tu le mangeras en marchant. Allez, ma chérie, nous, on va déguster une cachina. Te rappelles-tu, il y a dix ans, à Marseille ? Tu étais enceinte de ton garçon. Nous avions mangé une cachina. Aujourd’hui, nous allons manger un plat typique du sud de la France, préparé avec amour par une Antillaise et servi par un breton. Tu es de la Lozère. Et ceci, devrais-je ajouter, dans un camp naturiste en banlieue de Paris. Nous sommes l’O.N.U. de la gastronomie française.

retrait— L’O.N.U nu de la gastronomie française crut bon de rajouter Ginette qui commençait à s’adapter à l’humour particulier de l’oncle Marcel.

retraitCelui-ci partagea un sourire complice avec elle et posa la main sur la sienne en signe d’amitié. Ginette en fut toute retournée. Un homme avait eu un geste d’intimité envers elle. Il ne manquait plus que cela. Elle se sentit presque rougir. Elle reporta son attention sur sa petite voisine, assise en face d’elle. Qu’elle était jolie avec ses longs cheveux roux, sa peau ivoirine et cette petite paire de seins dont les aréoles pointaient vers le ciel ! Ginette sentit son imagination partir à galoper. Elle se voyait jeune, dans l’une de ses réunions entre femmes qui dégénéraient souvent en orgie. Toute cette nudité autour d’elle, dans ce restaurant lui retournait les sangs. Comment ces gens pouvaient-ils garder leur calme et continuer à deviser comme si de rien n’était ? Quelle différence entre le naturisme et la vie qu’elle avait menée auparavant !

retraitChacun commençait à ressentir la faim lorsqu’un homme pas plus grand que l’était Valérie apparut de derrière le bar. Pour seul vêtement, il portait un grand tablier qui, dû à sa petitesse traînait à terre. Une casquette de marin en gros coton sur la tête permit à Ginette de deviner l’identité du monsieur. Marcel fit les présentations.

retrait— Ah, voici mon ami Yannick. Il est breton, un pur, un vrai.

retraitOn voyait à sa face rougeaude qu’il n’était pas ennemi de petits remontants. Il finissait sûrement les fonds de bouteilles laissés par les clients.

retraitComme Valérie lui tournait le dos, il prit pour cible oratoire la belle Ginette.

retrait— Alors, ma petite madame, comment avez-vous trouvé mon Kornog ? C’est du Sant Erwan 2012. Hein ? Pas de la piquette, ma petite madame. Moi, je ne me lave pas les dents avec de l’eau de source. Et quand vous pensez, ma petite madame que les Écossais et les Irlandais veulent nous montrer à faire du whisky, moi madame je leur dis. Retournez chez vous. Nous les Bretons, on est les meilleurs. Ah !

retraitGinette le regardait abasourdie. Il l’avait appelée petite, elle qui mesurait deux fois sa grandeur . Quel culot ! Valérie baissait la tête pour éviter de respirer les exhalations d’alcool qui lui passait au-dessus de la tête. Marcel, lui, le regardait avec sympathie. Ginette se demandait bien comment ils pouvaient être amis. Ce n’est pas l’alcool qui les unissait puisque Marcel ne buvait plus. Mais il n’avait pas fini de discourir.

retrait— Bon, ce n’est pas que je m’ennuie avec vous, mais il faut que je fasse le service sinon la patronne va venir me chauffer les oreilles. Alors, nous avons pour entrée un potage de Giraumon au curry. C’est une spécialité antillaise. Mon épouse est antillaise, le saviez-vous ? Je vous conseille avec cela un chardonnay de Bourgogne, un vin légèrement boisé. Idéal avec le potage. Je peux vous le servir au verre, ma petite madame, vu que notre ami Marcel ne boit pas. Un vrai gaspillage, mais que voulez-vous ? Et notre grande fille ici ne doit pas boire encore à son âge, je suppose.

retraitIl posa sa main osseuse sur l’épaule de « la grande fille ». Valérie se figea net, mais il la retira immédiatement pour aller chercher le potage et le verre de vin. Nos trois amis en profitèrent pour rire. Ils eurent droit ainsi au discours plus ou moins embrumé du dénommé Yannick tout le long du repas, mais ils ne purent se retenir d’éclater lorsqu’il se pencha plus avant sur l’épaule de la « grande fille » pour lui demander son avis sur la cachina et découvrit la poitrine bien formée de Valérie. Il prit conscience qu’il n’avait pas affaire à une enfant. Il disparut derrière le bar pour le reste de la soirée. Ce fut son épouse qui vint proposer aux trois convives pour dessert, un far breton « avec du rhum brun pour ne pas oublier mon coin de pays. » Lorsque Marie-Josèphe proposa de finir le repas par un bon punch créole, même Ginette dut refuser l’offre.

retraitLa cachina avait été accompagnée d’une bouteille de Château Canon Pécresse. Valérie sachant qu’elle serait privée par son fils des « gamineries » de sa voisine limita sa consommation de « stimulant ». Ginette, elle, se crut obligée de finir la bouteille. Elle en ressentit les effets lorsque Marcel décida d’une petite marche de santé autour du camp. Ses jambes ne la supportaient plus. C’était l’horreur. Comme elle allait réussir à se mettre debout, un vieil homme à l’aspect décharné s’approcha de la table avec l’intention manifeste de lui adresser la parole. Ginette retomba lourdement sur la chaise.
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retrait — Veuillez, Mesdames et vous aussi monsieur, excuser mon intrusion dans votre réunion de famille, mais je ne voudrais pas manquer l’occasion de féliciter madame (il s’adressait à Ginette) pour la belle tenue de sa voix. J’ai cru comprendre tout à l’heure, lorsqu’elle a appelé son petit-fils que nous avions ici une contre-alto de la plus belle tenue.

retraitGinette n’en revenait tout simplement pas. Un vieil homme dont on aurait pu compter sans se tromper tous les os du squelette, recouvert des pieds à la tête par une toison de poils blanchâtres se présentait à elle, le moineau à l’air pour la féliciter de ses qualités vocales. C’était renversant. Elle en restait muette. Mais la suite du discours ne l’aiderait pas à s’en remettre.

retrait— Mes amies (il indiqua les femmes âgées de l’autre table) et moi-même nous faisons partie d’une chorale, mais comme vous le constatez, je suis le seul homme du groupe. Votre merveilleuse voix de contralto équilibrerait la tessiture de notre formation.

retraitMarcel, un sourire narquois sur le bord des lèvres, crut bon d’appuyer le vieil homme.

retrait— En effet, j’ai eu l’occasion de les entendre interpréter des chants de Noël, cet été à Montalivet. C’est une pure merveille.

retrait— Et l’été prochain, nous nous produirons à l’île du Levant. Il ne faut pas manquer cela.

retraitGinette fit une imperceptible grimace. Elle se voyait mal sur la pochette d’un disque avec ses seins tombants au milieu de ces... seniors. Elle regarda Marcel qui souriait aux anges. Lorsque celui-ci leva un doigt pour insérer une remarque de son cru, elle se contenta d’une grimace appuyée et d’un regard assassin comme pour lui signifier de ne pas en rajouter. Jetant un simple coup d’oeil vers le vieil homme elle n’eut pas la cruauté de lui dire ce qu’elle pensait vraiment de sa chorale. Elle se contenta d’une réponse diplomatique.

retrait— Je vais y songer.

retrait— Demain matin, nous jouons à la pétanque. Si vous voulez vous joindre à nous.

retrait— Oui, oui, je vais y penser. Marcel, pour l’amour du Bon Dieu, allez-vous m’aider à me lever ? Vous voyez bien que j’ai quelques difficultés.

retraitLe vieux monsieur se précipita à la rescousse.

retrait— Je sais ce que c’est ma chère madame. À nos âges, les rhumatismes, c’est souffrant.

retraitGinette eut un geste d’impatience, mais finalement Marcel arriva à la rescousse. Il la prit par la taille et, suivi de Valérie qui compatissait hypocritement aux malheurs de Ginette, tout en réprimant un fou-rire, ils sortirent du restaurant. Comme elle se précipitait en avant pour tenir la porte, la jeune fille put constater que les efforts de Ginette pour se lever avaient relâché la ceinture de son peignoir. Sa voisine faisait ses débuts involontaires de nudités collectives. La remarque lui fit prendre conscience qu’elle-même était nue. Elle avait oublié sa serviette sur la chaise. Elle paniqua et courut toute rougissante pour la récupérer. En passant devant le groupe d’aînés, ils levèrent tous leur pouce et lui confia sur le ton de la confidence « Votre mère, elle est super ! » Gênée, elle n’osa pas les contredire et se dépêcha de ramasser sa serviette. Elle courut ensuite plutôt qu’elle ne marcha vers la sortie.

retraitMarcel et Ginette cheminaient pas très loin en avant, bras dessus bras dessous comme un vieux couple, mais c’était le côté « château branlant » de Ginette qui justifiait ce geste d’intimité. Présentement, ils se disputaient. Et bizarrement, ils avaient repris le tutoiement oublié plus tôt.

retrait— Non, non, ma chère, il a raison le monsieur, tu as la voix pour chanter... Je te verrais bien sur une grande scène parisienne, le théâtre des Champs-Elysées pour ne citer que lui, dans Pelléas et Mélisande par exemple. Le rôle de Geneviève, oui, c’est çà. Ah non, je te le dis franchement, Ginette, le naturisme mène à tout.

retraitSes épaules tremblaient sous le rire qu’il ne tentait plus de cacher.

retrait— Ton naturisme, tu sais où tu peux te le mettre... D’ailleurs ta cachina, si c’est ça manger sainement pour un naturiste, tu me fais bien rire. C’est bon, mais ce n’est pas très sain. C’est comme tout l’alcool que nous avons bu...

retrait— Que tu as bu, rectifia Marcel.

retrait— Ah bien sûr, tu vas me le reprocher, moi qui me suis sacrifiée pour finir la bouteille.

retraitValérie, derrière, était pliée en deux.

retrait— Vous avez l’air d’un vieux couple en train de se disputer.

retraitFurieuse, Ginette se retourna brusquement et levant les deux bras dans les airs, elle découvrit son corps à tous ceux qui voulaient bien l’admirer.

retrait— Ah toi, ma petite sacripant. C’est de ta faute si je suis saoule. Au lieu de jouer les « grandes filles » auprès du marin breton, tu aurais pu m’aider à la finir cette bouteille.

retraitLe groupe des aînés les suivait pas très loin. Ginette réalisa qu’elle était en train de faire une folle d’elle. Cela lui arrivait souvent dans ses sorties nocturnes à Paris, mais ici à la campagne, elle préféra se calmer. Elle réajusta son peignoir et s’empara du bras de Marcel. Ils continuèrent jusqu’aux bungalows en prenant un air de vieux couple accompagné de leur « grande fille ».

retraitJean-Michel les attendait assis sur les marches. Comme l’oncle l’avait prévu, il s’était déshabillé. Valérie accourut pour l’embrasser.

retrait— Alors, comme cela, tu t’es enfin décidé. Et bien moi, de mon côté, j‘ai un peu de difficulté à m‘y habituer, mais tu vois, je tiens le coup. Finalement, c’est agréable de se promener toute nue. Par contre, ce soir, cela devient un peu frisquet. Tu ne trouves pas ? Où sont tes vêtements ?

retraitLe garçon eut un geste vague en direction d’un bouquet d’arbres.

retrait— Par là-bas, je crois. Non à la piscine ou plutôt près de l’étang. Je sais plus trop.

retrait— Mais mon chéri comment vas-tu faire si l’on ne les retrouve pas.

retraitL’oncle Marcel crut bon de faire une blague pas très subtile.

retrait— Notre amie Ginette pourrait te prêter son peignoir.
Jean-Michel furibond sauta sur ses jambes, monta les quelques marches puis s’enferma dans la cabine. On l’entendit marmonner à travers la porte.

retrait— J’aimerais mieux mettre la robe soleil de ma mère que cette vieille cochonnerie. Valérie le suivit après avoir fait un signe d’excuse auprès de sa voisine.

retrait— Eh bien ! ma chère Ginette, il ne reste plus que nous. Allons-nous nous coucher ?

retraitLe nous de Marcel supposait une union qui passait mal dans l’esprit de Ginette. Elle déglutit en l’entendant prononcer. Elle prit conscience que pour la première fois de sa vie, elle allait coucher avec un homme. Non ! Pas avec un homme ?
retrait— Je crois que je vais rester à l’extérieur un moment pour cuver mon vin. Tiens en prenant un ou deux verres de pineau, cela devrait me requinquer.

retrait— Ce que femme veut, Dieu le veut. Au fait, dors-tu sur le côté gauche ou le côté droit du lit . Nous sommes un vieux couple qui ne connaît pas encore ses habitudes.

retraitMarcel ricana et sans attendre la réponse, il referma la porte de la cabine.
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LE MONDE A L’ENVERS
de
Roger Schaëffer
CHAPITRE SEPT




retrait La porte refermée, Ginette assise sur les marches de la cabine laissa échapper un soupir de nostalgie en repensant à son passé. La durée de ses études, Ginette avait vécu chez Louise. Ce fut des années de bonheur et de plaisir. Enfin ! Les deux ou trois premières années. Puis la lassitude, la routine, les concessions pas toujours faciles avaient suivi. Elle avait honte de cette étape dans sa vie. Très vite le temps des bouderies, des discussions sans fin, des disputes étaient apparues et puis il y avait eu la violence physique. La femme d’aujourd’hui se sentait vraiment mal lorsque son esprit embrumé par l’alcool la ramenait aux souvenirs de cette époque, car c’était elle qui avait frappé Louise la première. Et encore et encore, Louise avait encaissé les coups. Pour oublier ses dysfonctionnements, Ginette s’était mise à boire, mais c’était pire après. Quand elle put être autonome financièrement, elle se loua un logement. Et depuis, elle avait vécu seule. Elle adorait sa solitude. La fin de semaine, elle partait à la chasse, rapportait chez elle une belle prise, mais dès le matin, il fallait que celle-ci s’en aille. Ginette ne pouvait supporter une présence chez elle... en dehors du lit. Elle avait toujours eu le goût des jeunes filles même si avec le temps, leur âge fluctuait. À cinquante ans, Ginette n’avait jamais connu un homme. Et ce soir, elle allait coucher avec un homme. Ce n’était pas croyable. Elle, Ginette, la femme en cuir.
Elle allait coucher avec un homme. C’est vrai que Marcel n’était pas vraiment un homme. Enfin, comme Ginette l’entendait. D’abord, il était gentil. Pas gentil comme ces garçons à l’école qui la regardait tel un monstre parce qu’elle était plus grande et plus forte qu’eux, ces demi-avortons qui jetaient vers elle des regards apeurés. Déjà à l’époque, les petites filles sages et bien mises venaient chercher protection auprès d’elle. Déjà, elle savait s’imposer par des gestes brusques ou caressants. Il n’y a pas longtemps, un soir où la pêche en boîte n’avait pas été fructueuse, elle avait regardé un documentaire à la télé sur une race de singes. C’était drôle. Les femelles se tenaient sous la protection d’une dominante et les jeunes mâles tournaient anxieusement autour, espérant déjouer la maîtresse des lieux. Ginette sourit en se servant un autre verre de pineau. À l’école, c’était elle la femelle dominante. Les autres garçons, la bande dirigée par un certain Montour, étaient jaloux. Ils auraient bien voulu s’approprier ses filles, mais eux aussi hésitaient, surtout depuis que Ginette avait démoli le nez au fameux Montour. Non, Marcel était gentil. Elle se souvenait d’un garçon qui lui ressemblait. Pas de peur, pas d’envie lorsqu’il lui parlait. Pas de jugement non plus. Mais il était passé comme une comète dans la vie de Ginette. Au secondaire, il avait disparu.
retraitMarcel n’était pas seulement gentil, il était vieux et les hommes âgés, depuis qu’elle travaillait dans son service social, elle les aimait. Ils n’étaient pas dangereux même si parfois ils étaient un peu lourds dans leur façon de la draguer, de lui « conter fleurette » comme ils disaient. Ginette faisait mine de s’offusquer et eux ricanaient pour bien montrer que c’était seulement pour rire. Marcel ricanait de la même manière. Ginette soupira, secoua la tête en pensant à son fouet dans le coffre. Il l’avait vu, mais il n’avait rien dit. C’était comme Valérie dans l’escalier. Il avait compris, mais s’était abstenu de commentaires. Et puis, tout à l’heure, il lui avait confié ses manquements à cause de son âge. « Les petites pilules bleues » ! Il avait voulu la rassurer. Ginette en regardant son verre de pineau marmonna à voix basse : « Il est vieux, il est gentil et il n’est pas dangereux. Un homme comme je les aime. Bon, allons dormir maintenant. » Elle posa son verre vide sur les marches et pénétra dans le bungalow.
retraitDès son entrée à l’intérieur, elle fut rassurée. Marcel dormait. C’était facile à savoir. Il ronflait comme une machine à vapeur. « Il faudrait, il faudrait une machine à vapeur pour éteindre... » Ginette sourit en se rappelant la chanson qu’ils avaient entonnée dans la voiture. Au moins, le ronflement était un bon indice de sommeil. Tiens, il avait choisi le côté gauche. Justement, Ginette dormait chez elle plus proche du côté droit. Au moins, ils avaient un point en commun. Allait-elle garder son peignoir pour dormir ? Cela aurait été prudent, mais pas très confortable. Marcel s’était enveloppé dans une couverture et lui en avait laissé une seconde. Elle ôta le peignoir le plus lentement possible, mais lorsqu’elle voulut s’asseoir pour se déchausser, le matelas couina... Et Marcel arrêta de ronfler. Ginette se figea, mais heureusement le ronflement reprit. Elle enleva ses sandales puis avec délicatesse, elle s’allongea sur le lit tout en surveillant son compagnon. Il ronflait de plus belle. Si le bruit garantissait à Ginette sa sécurité, il n’était pas sûr qu’elle puisse dormir. Enveloppée dans sa couverture, droite comme un piquet, elle regardait un reflet de lune qui éclairait le plafond. Allait-elle passer la nuit ainsi ? Puis, elle eut l’idée de ressortir du bungalow, d’aller frapper de petits coups en face. Valérie et elle pourraient, pourquoi pas, faire un tour « au fond des bois » comme disait le poème. Non, mieux valait oublier ça ! L’autre matin, lorsque Ginette avait regagné son logement, la jeune fille dormait comme une bûche, elle n’avait même pas bronché. C’était un coup pour que « le Jean-Michel » apparaisse à la fenêtre. Quel bordel il mènerait le gamin, en voyant la Ginette à leur porte ! De toute façon, il devait commencer à faire frisquet à l’extérieur. Elle réajusta la couverture puis se retourna vers Marcel. Il ne ronflait plus celui-là. Pire, il avait les yeux ouverts et il la regardait.
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retrait C’est lui qui brisa le silence.

retrait— As-tu froid ? Je crois que j’ai oublié d’allumer le radiateur.

retraitIntimidée par la proximité de son compagnon, Ginette joua l’humour.

retrait— Ouais le coup classique. On sait bien, vous les gars. Vous êtes toujours prêt à nous réchauffer.

retraitMarcel se leva. Ginette le regarda appuyer sur le bouton « on ». « Il avait de belles fesses pour un homme de son âge, rondes et musclées » pensa-t-elle. Puis Marcel revint vers le lit se blottir sous la couverture.

retrait— Non, je t’assure. J’ai vraiment oublié. Allez, ma vieille, viens-t’en près de ton vieux mari. On va se réchauffer.

retraitIl prononça ses paroles tout en soulevant la couverture, mais sans faire un geste de plus. C’était à Ginette de décider. Qu’est-ce qu’elle avait à perdre, la Ginette ? Et puis, c’était comment un homme ? La curiosité, c’était un défaut bien féminin, même si habillée en cuir, elle jouait plus souvent le rôle inverse. Allez, on allait bien voir. Elle souleva sa couverture et se rapprocha de Marcel. Lorsque leurs deux peaux entrèrent en contact, elle ferma les yeux.

retrait— Et puis ? Interrogea Marcel.

retrait— C’est chaud, ta pompe à vapeur fonctionne bien.

retrait— Mais par rapport à tes autres partenaires, c’est comment ?

retrait— Les femmes, tu veux dire. Eh bien, c’est chaud justement. Une femme c’est plutôt froid.

retrait— Et puis quoi encore ?

retrait— Une femme, ça a des seins. C’est doux. Toi, tu as des muscles, c’est dur et aussi des poils.

retrait— Tu n’aimes pas ?

retrait— Non, au contraire, c’est différent.

retrait— Allez, ma grosse, colle-toi mieux que ça.

retraitMarcel passa son bras par-dessus sa partenaire et colla sa main sur les fesses de Ginette. Elle soupira d’aise. Pour une fois que c’était l’autre qui prenait l’initiative.

retrait— Détends-toi, tu es toute contractée, ma chérie. Je peux t’appeler ma chérie ?

retrait— Tu as la permission de minuit. Après chacun redevient ce qu’il est. Toi, un vieux haïssable... Et moi ? Eh bien ! Pour moi, on verra demain, cela dépendra.

retrait— Tiens, allonge-toi confortablement sur le ventre. Je vais te masser délicatement tous ces muscles tendus.

retraitGinette ne comprenait plus rien. Elle qui avait l’habitude de mener le bal, elle se laissait faire. Marcel commença par les épaules, les bras, le dos puis ses mains descendirent vers justement l’endroit où le dos perd son nom. Ginette aimait cela. Mais elle était inquiète, car les mains de Marcel pénétraient peu à peu entre les lobes des fesses. Puis elles s’éloignèrent pour masser les jambes. Rendues aux chevilles, elles remontèrent progressivement jusqu’aux cuisses, à l’intérieur des cuisses jusqu’au périnée. Ginette sentait l’orgasme monter en elle.

retrait— Mets-toi sur le dos à présent.

retraitGinette était déçue, car le changement de position avait freiné la montée du plaisir. Pourtant lorsqu’elle vit Marcel s’installer au-dessus d’elle en tête-bêche, lorsqu’il s’empara de son mont de Vénus pour le masser... sans les mains, elle perdit toute retenue. À chaque mouvement de langue, Ginette poussait des gémissements langoureux qui surprenaient sans doute les habitants de la forêt. La biche au fond des bois devait pointer les oreilles en direction des humains. Mais la plus grande surprise fut pour la Ginette. Au-dessus de son visage, Marcel arborait un membre des plus virils. Ce soir, il n’avait pas eu besoin de ces fameuses petites pilules bleues. Curieuse, elle s’empara de la chose pour y goûter. C’était toute une première pour elle. À cinquante ans, elle échangeait pour la première fois de sa vie « sa cyprine d’amour » contre « le nectar des dieux ».

retraitÉpuisé, Marcel reprit une position plus conventionnelle auprès de sa compagne. Ils se regardèrent longuement, serrés l’un contre l’autre et s’endormirent sous la même couverture. Au matin, le froid les réveilla. Marcel rajusta sur eux la deuxième couverture tout en restant collé à Ginette. Ni l’un ni l’autre n’était pressé de se lever. Ce fut Philippe et Antoine, les deux copains de Jean-Michel qui, en venant réveiller bruyamment leur ami, sonnèrent le réveil des troupes dans le quartier des bungalows. Marcel déposa de petits baisers sur les joues de sa compagne.

retrait— Et puis ? Comment as-tu apprécié ma prestation de cette nuit ?

retraitGinette poussa des spasmes de plaisir.

retrait— Tu mériterais d’être une femme. C’était divin. Nous avons fait l’amour comme deux femmes. Enfin ! Jusqu’à... Je croyais que monsieur avait des manques de ce côté-là.

retrait— J’ai été moi-même surpris par ma réaction. Je suppose que c’est dû à toi.

retrait— Merci, c’est gentil.

retrait— Vois-tu, le problème avec une femme hétéro, c’est qu’elle attend de son homme des résultats. Cela provoque chez lui, ce que l’on appelle le stress de performance. Ses érections partent en couille, excuse-moi l’expression. Alors que pour toi, c’était le contraire. En tant que lesbienne, tu n’espérais pas trop que cela arrive... Et moi, j’avais oublié cet élément de ma personne. Mais c’est arrivé.

retrait— Ne t’excuse pas, je comprends très bien. C’est donc pour cela que tu as commencé à me faire l’amour comme le ferait une femme. Sais-tu ? La prochaine fois, tu essaieras tes pilules bleues. Je suis curieuse d’essayer ton engin dans mon...

retrait— Si tu veux, on peut essayer tout de suite. J’en ai dans mon sac.

retrait— Oh ! Non ? Pas vrai ? Il m’a... Ah, jamais je ne ferai confiance à un homme. Allez, lève-toi, j’ai faim.

retrait— Vas-y toute seule au restaurant. Mes prouesses de cette nuit m’ont épuisé. Tiens, j’entends les garçons. Tu n’as qu’à les suivre.

retraitGinette se décolla du corps de son amant. Elle se surprenait à trouver cela difficile. Elle aussi avait vécu jusqu’à aujourd’hui le stress de performance. Elle ne voulait pas décevoir ses jeunes conquêtes. Pour la première fois, elle avait partagé et non donné de l’amour. C’était bon. La porte ouverte, elle découvrit Valérie assise sur les marches du bungalow en face. Celle-ci souriait avec un petit air narquois. Ginette se sentit rougir. Elles prirent le chemin vers le restaurant. Après quelques pas, la jeune fille ricana comme Marcel, c’était de famille.

retrait— Ginette ! As-tu remarqué quelque chose ?

retrait— Non, quoi ?

retrait— Tu es toute nue.

retrait— Hein ! Quoi ? Ce n’est pas vrai. Je suis toute nue. Attends-moi une seconde. Je vais chercher mon peignoir.

retrait— Non, laisse faire. Savais-tu que dans un camp naturiste, on regarde plus ceux qui sont habillés que ceux qui sont nus ?

retrait— Où as-tu pêché cela ? Tu es aussi débutante que moi dans le naturisme.

retrait— Cette nuit, j’ai lu une revue, « La vie au soleil ». J’ai eu le temps de lire, moi, cette nuit.

retraitGinette rougit comme elle ne l’avait encore jamais fait.

retrait— Tu es au courant pour moi et pour... ton... Pour Marcel ?
retrait— Je comprends donc que je suis au courant. J’entendais tes gémissements et ce n’était pas de douleur que tu gémissais.

retrait— Oh, mon Dieu ? C’était si fort que cela ? Ton fils va vouloir me tuer.

retrait— Non, ne t’en fais pas. Jean-Michel n’a rien entendu. C’est moi. Cette nuit, j’ai pensé à toi et à... enfin nous deux, tu comprends ? Je suis venue pour t’inviter à aller faire un petit tour. C’est là que j’ai entendu vos ébats.

retrait— Je regrette Valérie. Oh oui ! Je n’aurais pas dû. Tu dois être déçue...

retrait— Pas du tout Ginette. Je suis contente pour toi et pour mon oncle.

retrait— Mais ma chérie, est-ce que nous deux, c’est fini ?

retrait— Et pourquoi voudrais-tu que ce soit fini ? Vu ton long passé avec la gent féminine... Mais tu avoueras ma Ginette que l’oncle Marcel et toi, c’est un peu fort de café. C’est vraiment le monde à l’envers.
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LE MONDE A L’ENVERS
de
Roger Schaëffer
Chapitre 8

retrait Valérie n’était plus très sûre de ce qu’elle venait d’affirmer à sa voisine. Les sourcils froncés, les bras croisés sur sa poitrine, elle observait le sentier étroit qui menait au restaurant. Peut-être aurait-il mieux valu se couvrir d’une serviette de plage ? Tout au moins partiellement. Les seins, le... le truc en bas... Le pubis enfin quoi ! Les fesses, c’était moins important, bien qu’en regardant celles de Ginette... La serviette, la veille au soir, l’avait rassurée, mais c’est vrai que son fils l’escortait aussi. Justement, il venait de disparaître en direction du restaurant. Philippe et Antoine l‘accompagnaient.

retrait— Ginette, dépêchons-nous ! Jean-Michel et ses copains ne sont pas loin. Retrouvons-les.

retrait— Parce que tu trouves que deux femmes à poil en pleine campagne seront protégées par trois petits mâles qui doivent jeter des regards égrillards sur toutes les femelles de la place.

retrait— Ginette, voyons donc ! Mon Michou, il a à peine dix ans. Et puis, je suis sa mère .

retrait— Ma pauvre enfant ! L’inceste, le complexe d’Œdipe, tu n’as jamais entendu parler du complexe d’Œdipe, non ?

retrait— Mais c’est un tout petit garçon.

retrait— Valérie, un homme est un homme. Ton oncle par exemple. Il est vieux. Il a quinze ans de plus que moi. Le même écart d’années, enfin presque qu’entre ton fils et toi. J’étais une enfant fragile par rapport à lui. Il n’a pas hésité cette nuit.

retraitValérie regarda du coin de l’œil sa compagne avec un petit sourire narquois . Ginette était bâtie comme un déménageur. « Comme enfant fragile, tu repasseras, ma vieille . »

retrait— En plus qu’il savait mes... intérêts pour... L’autre soir, dans l’escalier, nous deux. Il a tout de suite deviné le Marcel.
retrait— Hein ! Mon oncle sait pour nous deux ? Mon Dieu ! Je n’oserai plus me trouver en face de lui. Je vais être morte de honte. En plus toute nue dans ce camp avec lui, avec tout le monde autour. Oh non ! Que faire ?
retrait— Ne t’inquiète pas, ma chérie. Ton oncle n’est pas un homme comme les autres . Il a un esprit ouvert. Il ne se permettra jamais de te faire une remarque là-dessus.
Ginette, les yeux dans le vague, un petit sourire de nostalgie aux coins des lèvres, cherchait à se souvenir des impressions torrides de la nuit. Elle poursuivit à mi-voix comme si elle se parlait à elle-même :
retrait— Et je dois t’avouer qu’il connaît toutes les caresses entre femmes. En fait, il est comme une femme, mais avec un petit truc en plus. Enfin ! Un assez gros truc.
— Ginette !
retraitLa voisine se secoua la tête comme pour se réveiller et regardant Valérie elle lui cria :

retrait— Allez, ma chérie ! Presse le pas si tu veux aller au restaurant sous la protection de tes trois petits hommes là-bas. Tiens, on ne les voit plus.
retrait— Ils sont rendus plus loin. Le sentier fait une courbe. Je les entends. Après les gros arbres. Tu vois le bouquet d’arbres.
retraitGinette était de moins en moins rassurée. Au fur et à mesure qu’elle cheminait au côté de Valérie, ses émotions prenaient le dessus. Elle aurait dû aller chercher son peignoir. C’est vrai qu’un peignoir, ce n’était pas une bonne protection contre les prédateurs sexuels, mais au moins les voyeurs n’auraient rien eu à s’offrir. La nuit dernière, son estime de soi était remontée au zénith. Avoir été l’objet du désir, même si ce n’était que d’un homme, donnait une valeur à son corps... et aux pervers qui peuplaient sans doute ce camp. Plus elle approchait des arbres, plus elle...
retrait— Mais Valérie, tu parles d’un bouquet d’arbres. Ce n’est pas un bouquet d’arbres. Un bouquet d’arbres, c’est trois ou quatre trucs. Là, c’est une forêt.
retrait— Non, Ginette. Pas une forêt. Ce n’est même pas un bois. Par exemple, tu as la forêt de Fontainebleau et le bois de Vincennes. Ici, c’est un boisé tout au plus. Allez, courage, ma vieille . On a juste une cinquantaine de mètres à faire dans ta fameuse forêt. Tu entends les enfants ? Ils sont juste en avant.
retrait— Oui, mais on ne les voit pas. Le sentier fait des courbes. On devrait retourner chercher quelque chose pour nous couvrir. Ton oncle va se lever et l’on pourra l’accompagner au restaurant. Allez, Valérie, retournons aux bungalows.
retrait— Mon oncle, je n’oserai plus le regarder en face. Maintenant qu’il sait. La honte ! Et s’il racontait ça à ma mère ?
retrait— Ah oui ? Je le vois le Marcel raconter à ta sainte mère. Oui, je sais que vous n’avez pas de saints dans votre religion. Mais j’imagine ton oncle lui raconter qu’il se promène tout nu à la campagne avec sa fille, qu’il se baigne tout nu avec son petit-fils, . Ah oui, je la vois ta mère.
retrait— Bon d’accord, mais Ginette, je préfère encore continuer. Je préfère affronter toute nue le monde entier plutôt que de voir le coup d’œil ironique de l’oncle Marcel.
retraitTout en parlant, elles s’étaient approchées des arbres. Le sentier paraissait encore plus étroit sous les frondaisons. Il serpentait entre de grosses pierres couvertes de mousses vertes et de lichens grisâtres. Entre chaque roche, les fougères occupaient l’espace. Plus loin des buissons épineux entouraient les troncs de très gros... Ginette et Valérie ne connaissaient aucun nom d’arbres. Pour elles, il y avait des arbres et des sapins. C’était tout .
retraitGinette, en bonne Parisienne, n’avait jamais compris l’intérêt de la nature. Elle avait grandi non loin d’un square où se dressaient trois platanes. Très longtemps, elle avait cru qu’il s’agissait de trois poteaux avec une maladie de peau. Depuis qu’elle était adulte, elle avait élargi sa connaissance de la nature en passant son heure de pause dans le jardin du Luxembourg. Au moins là, elle ne se sentait pas trop perdue. Le bruit de la circulation autour du jardin représentait pour Ginette comme une bouée de sauvetage. Et puis les sentiers étaient rectilignes avec des pelouses dégagées pas trop vertes tout autour. Au cœur de l’été, l’herbe jaunissait, le piétinement des visiteurs faisait apparaître de grandes plaques de terre séchée qui lui donnait un air d’asphalte. Ginette aimait cela parce que pour elle, le vert était synonyme de maladie. Pas un seul légume vert n’avait franchi son gosier depuis des lustres. C’était bon pour le bétail toutes ces affaires vertes. Même les petits pois ne trouvaient pas grâce à ses yeux. Ce qu’elle aimait aussi dans le jardin du Luxembourg c’était que les buissons étaient taillés en boule ou en pyramide. Les jardiniers corrigeaient ainsi les petites imperfections de la création divine. Et les arbres, il y en avait un peu trop à son avis, mais au moins la ville de Paris avait le bon goût de leur couper les branches rebelles. Ils ressemblaient aux trois poteaux de son enfance, mais sans la maladie de peau. Après avoir franchi quelques pas au milieu des arbres, Ginette s’écria.

retrait— Mais as-tu vu ça ? Un vrai fouillis de merde. Je te dis que celui qui a créé cela est un anarchiste. Oui, mademoiselle, le père éternel avec ses cheveux longs et sa barbe est un sacré anarchiste. Au moins une femme à la tête du monde, cela aurait eu plus de bon sens. Ah les hommes ! Pas capable de mettre de l’ordre. Sept jours pour en arriver à créer ça ! Franchement !

retraitValérie écoutait distraitement sa voisine. Pour elle qui venait de Mobrac, la campagne était plus familière. Pourtant, elle était mal à l’aise elle aussi à se retrouver au milieu d’une forêt, surtout dans son état de nudité. Elle ressentait sa fragilité de manière plus intense. Les arbres ne laissaient passer aucun espace de ciel bleu. La jeune fille habituellement se trouvait bien petite, mais là sous la frondaison, c’était pire : elle se sentait écrasée par la voûte des arbres. Tout avait commencé à l’âge de six ans. Un jour de fête, la maîtresse avait recouvert d’un drap noir les fenêtres pour leur faire découvrir un très vieux dessin animé : Blanche-Neige et les sept nains. Valérie était déjà à l’époque une petite fille impressionnable. Lorsqu’elle vit la jeune héroïne, entourée par de sombres arbres qui tendaient leurs branches pour s’accrocher à sa robe avec au milieu de leur tronc une bouche et des yeux effrayants, Valérie s’enfuit en hurlant dans tout le village. « Ils vont la tuer, ils vont la tuer. » Même le garde champêtre ne réussit pas à la calmer et il dut la ramener à sa mère. Depuis elle regardait avec un air soupçonneux le moindre bosquet. Heureusement aujourd’hui, il y avait sa voisine grande et bâtie comme un homme avec elle.

retraitGinette se tenait les mains sur les hanches et observait sa compagne. Il n’y avait personne autour d’elles. C’était le bon moment pour se permettre une petite privauté. Elle allait passer sa main sur les hanches de Valérie lorsqu’un détail l’arrêta.

retrait— Valérie, as-tu remarqué ? On n’entend plus les enfants.

retrait— Mon Dieu ! Tu as raison. Vite, dépêchons-nous. Ils nous ont distancées. J’ai peur, Ginette. Des fois que...

retrait— Des fois que quoi ?

retrait— Imagine. Il y a peut-être un prédateur derrière chaque arbre.

— Pauvre petite. Le premier qui se présente, je lui écrabouille la tête contre ce rocher. Ou plutôt non, je prends le premier par les jambes et j’assomme ses congénères avec . Non, encore mieux...

retrait— Arrête Ginette, j’ai vraiment peur. Allez, sortons de cet endroit.

retraitAu moment où les deux femmes allaient se mettre en route, trois silhouettes jaillirent de derrière les rochers en poussant des cris de mort. Valérie sursauta, se figea un bref instant puis elle se tourna brusquement pour défendre chèrement sa vie. Mais en pivotant, le corps, son bras gauche, projeté vers l’arrière, atteignit la tête de l’un des agresseurs. Celui-ci tomba sur le sol à moitié assommé. C’était Jean-Michel.
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retrait — Oh, Michou ! J’ai tué mon Michou. Chéri, non, non. Réveille-toi. Je t’en prie.

retrait Valérie s’était jetée à terre et enlaçait son garçon en l’étouffant sous les baisers. Le garçon réussit tant bien que mal à se sortir de ce trop-plein d’amour maternel . Il se frotta la mâchoire à l’endroit où le poing de sa mère l’avait atteint. Puis après s’être levé, la regardant avec beaucoup de sérieux, les dents serrées, il lui dit du ton le plus grave que puisse prendre une voix d’enfant : « Ne m’appelle plus jamais Michou devant mes copains, non jamais. » Et il partit d’un pas calme et assuré en direction du restaurant. Philippe et Antoine le suivirent sans se permettre aucune remarque, mais leur face hilare démontrait que Valérie venait de leur donner une arme à utiliser en cas de besoin.

retraitValérie n’en revenait pas. Elle avait presque assommé son petit garçon. Elle le regardait s’éloigner avec ses deux copains puis reportait incrédule ses yeux sur son poing. Comment avait-elle pu... ? Lorsqu’elle sortit de son hébétude, elle réalisa que les trois garçons avaient disparu. Mais où était Ginette ? Elle aussi s’était évaporée. Ce ne fut que lorsque Valérie eut atteint les limites des arbres qu’elle put retrouver sa voisine. Ginette était assise sur un tronc d’arbre et à la voir pliée en deux, essayant de retrouver son souffle, la jeune fille comprit que son amie s’était enfuie avant même que le combat n’eût lieu. Valérie, le sourire en coin, s’approcha de Ginette et lui tapota l’épaule.

retrait— Alors qu’est-ce que tu disais ? Tu vas prendre le premier par les pieds et assommer les autres avec . Non, mieux que cela, tu vas les écrabouiller contre le rocher.

retrait— Bon, bon, d’accord, j’ai un peu paniqué. Mais que veux-tu ? Je ne suis pas dans mon élément ici. Pas d’asphalte, pas de trucs rectilignes. Tout est croche et vert . Et en plus, je suis toute nue. As-tu déjà vu un soldat partir au combat les fesses à l’air ? J’ai besoin de cuir pour être moi-même. J’ai besoin de ma casquette, de mes chaînes sur ma veste. Tiens, si j’avais eu mon fouet, tu aurais vu la vraie Ginette. Là dans ce camp de tous nus je ne suis pas moi-même. Bon d’accord, arrête de rire sinon...

retrait— Sinon tu vas m’écrabouiller la tête contre... Ah zut, pas de rocher. Allez ma chère Ginette, non je devrais dire, ma faible Ginette, lève toi. Le restaurant n’est pas loin. Juste à traverser cette prairie, je crois. Au moins, nous ne sommes plus entourées de prédateurs sexuels, à moins qu’ils se cachent dans les hautes herbes. Oh, parlant de prédateurs, en voilà un qui arrive.

retraitGinette, curieuse, mais aussi un peu inquiète se leva et dirigea son regard vers le fond de la prairie.

retrait— C’est qui celui-là ? Il n’a pas l’air trop dangereux. Je me demande pourquoi il court vers nous, en agitant les bras en l’air.

retrait— C’est normal, il a dû nous reconnaître. C’est pour nous faire signe qu’il agite ses bras.
retrait— Il n’y a pas que les bras qui s’agitent chez lui. Regarde-lui le paquet. Il n’a vraiment pas de pudeur.

retrait— Ginette, franchement ! Nous sommes dans un camping naturiste. C’est normal que son truc soit... Oh, regarde, il n’est plus tout seul. Des femmes courent après lui, pour le rattraper sans doute.

retrait -Son harem peut-être ? Il n’est plus très jeune. Heureux homme ! J’aimerais cela voir des femmes courir après moi.

retrait— Ginette, elles ne sont plus très jeunes, elles non plus.

retrait— Ouais, tu as raison. Je préfère les petites jeunes comme toi Valérie. Ah ! Je sais qui c’est : le petit vieux d’hier au soir . Tu sais...

retrait— Oui, celui qui a été subjugué par ta voix. Avec l’oncle, cela te fait deux admirateurs dans ce camp. Tu vas devoir te recycler, ma vieille .

retrait— Pour ton oncle, je ne dis pas, mais lui, j’aurais l’impression de jouer aux castagnettes avec ses os.

retrait— Parle plus bas. Il va t’entendre. Bonjour monsieur ! Vous nous cherchiez ?

retrait— Bonjour jeune fille. Oui, j’allais vers votre bungalow. Je voulais inviter votre mère à notre partie quotidienne de pétanque. Bonjour Madame. Vous savez, ma chère, que vous avez envoûté toutes mes amies. Ah ! Justement les voilà. Laissez-moi vous les présenter.

retraitGinette eut bien du mal à cacher son exaspération. Mais il était difficile d’être méchante quand on est toute nue. Elle regarda Valérie. C’est vrai qu’elle aurait pu être sa fille tant par son aspect physique que par la différence d’âge. Tiens ! Tiens ! Cela pouvait être pratique ce lien de parenté. Il permettrait de petits gestes d’affection en public. Elle s’approcha de la jeune fille, enlaça ses épaules et sourit au groupe devant elle.

retrait— Ma fille s’appelle Valérie. Moi, c’est Ginette. J’ai aussi un fils un peu plus jeune que ma grande fille.

retrait— Oui, nous savons. Il vous a précédé il y a peu. Il était avec les enfants de madame de Mongeau. Je ne sais pas ce qu’il avait, mais il se tenait le visage. Il a dû faire une chute, je suppose, mais ne vous inquiétez pas, ma chère madame. Cela n’avait pas l’air trop grave. Je sais que les mères s’inquiètent toujours pour leurs enfants, encore plus quand c’est un garçon.

retrait— Oh, n’ayez pas peur. Je ne m’inquiète pas. En fait, j’étais là lorsque c’est arrivé. C’est sa sœur qui lui a envoyé un coup de poing dans la mâchoire. Une petite dispute entre frère et sœur, vous savez ce que c’est.

retraitLe vieux monsieur regarda alternativement Ginette, Valérie et toutes les dames de son groupe. Puis s’approchant de Valérie, il lui pinça la joue.

retrait— Eh bien jeune fille ! Qu’est-ce que ce sera lorsque tu auras atteint la grandeur de ta mère ? Les garçons auront peur de toi.

retraitGinette jouissait de la situation. Elle sentait que Valérie bouillait intérieurement, mais à cause de sa timidité, elle n’osait pas intervenir. Ginette lui tapota l’épaule de la main tout en répondant au monsieur.

retrait— Oh, vous savez. Ma fille m’a encore dit l’autre jour qu’elle ne se marierait jamais. Elle veut rester avec sa vieille mère toute sa vie.

retrait— C’est beau l’amour d’une fille pour sa mère, ma chère madame. Bon, revenons-en à nos moutons. La partie de pétanque, nous nous la faisons ?

retrait— C’est que ma fille et moi, nous allions déjeuner. Je ne suis bonne à rien sans déjeuner. (Ginette pensait surtout à son déjeuner habituel : deux ou trois verres de pineau.) Mais soyez sûr que je retiens votre invitation. Après le déjeuner, nous irons jouer avec vous. Allez ! Bonne partie, Messieurs, dames.

retraitLe vieux monsieur les regarda s’éloigner, Ginette toujours enlaçant de son bras les épaules de Valérie. Dès qu’elles furent hors de vue, la jeune fille éclata.

retrait— Mais es-tu folle ? À quoi as-tu pensé ?

retrait— J’avais tellement envie de toucher tes adorables épaules, de jouer avec tes cheveux. Il m’a donné toute une bonne raison en te prenant pour ma fille. Tu sais, Valérie, j’aimerais cela être ta maman.

retrait— Une maman perverse tu veux dire. Je te retourne ton truc de complexe d’Œdipe. Une mère et sa fille ne feraient pas les... les... enfin... tu sais ce que je veux dire.... sous la douche. Qu’est ce que tu vas faire lorsqu’il va découvrir que la jeune fille que tu caressais de façon supposément innocente n’était que ta voisine et la véritable mère de ton supposé fils ? Ne sois pas inquiète. Jean-Michel, lui s’il apprend cela, il va te faire une crise comme ce n’est pas possible. Ou plutôt je devrais dire, il va nous faire...

retrait— Demain soir, nous serons partis. Je n’ai pas l’intention de faire une carrière de mère à poil tout le reste de ma vie. Tiens, on arrive au restau.

retrait— Si je peux te donner un conseil vite fait bien fait. Dégage ton bras de mon épaule avant que mon fils ne s’en aperçoive.

retrait— Oups, tu as raison ma grande fille chérie.
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Re: Histoire de Roger : Le monde à l'envers

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LE MONDE A L’ENVERS
de
Roger Schaëffer
CHAPITRE 9

retrait Les deux voisines avaient donc repris un air de respectabilité. La salle était pleine. Ginette put constater qu’elle n’avait pas à avoir honte de son corps. Beaucoup de femmes de son âge déjeunaient. Plusieurs étaient accompagnées de jeunes enfants et certaines témoignaient par leur silhouette du nombre de grossesses qu’elles avaient eu. Son statut de célibataire avait préservé d’une certaine manière son apparence « même si l’alcool et le manque de légumes verts n’arrangeaient pas les choses », dixit son médecin. Les hommes, eux les regardaient avec indifférence, leurs yeux fixés sur ceux des nouvelles venues. Les regards se croisaient, sans qu‘il y ait ce mouvement de haut en bas qui était une caractéristique bien masculine dans le monde habillé. Ginette comparait ce geste de la tête chez les mâles à la barre lumineuse des photocopieuses au bureau. Ceux-ci dans le monde ordinaire scannaient les femmes pour en enregistrer l’image dans un coin de leur cerveau et pour le comparer à leurs autres souvenirs. Ici rien de tel. Ginette fronça les sourcils. Était-elle déçue par cette indifférence ? Cette attitude, celle de considérer le corps des femmes comme un objet, l’avait toujours révoltée. Même sans être féministe, elle avait signé toutes les pétitions qui dénonçaient cette attitude de prédateur chez les hommes. Aujourd’hui, c’était le contraire. Elle aurait aimé un peu plus de curiosité de leur part. « Étrange ! Suis-je en train de virer de bord ? » pensa-t-elle.

retraitSi les deux femmes s’étaient échangé leurs impressions à ce moment, elles auraient constaté que leurs pensées naviguaient sur les mêmes eaux : Valérie s’étonnait-elle aussi du regard indifférent des hommes. Mais elle, cela la réconfortait. Ses mains et ses bras qui avaient eu tendance à se porter à l’avant de sa poitrine se détendirent pour reprendre tranquillement leur position sur le côté du corps. Elle était beaucoup moins nerveuse que la veille au soir. Elle sourit même à une petite fille qui la regardait entrer puis elle chercha des yeux Jean-Michel.

retraitIl s’était assis à la table d’Adeline de Mongeau. Son fils à son entrée la fixa avec des yeux sévères, tout en caressant l’endroit où le poing de sa mère l’avait atteint. Valérie sentit peser sur ses épaules une tonne de culpabilité. Pourtant elle était bien consciente que Jean-Michel avait sa part de responsabilité. Les trois garçons s’étaient cachés pour les surprendre. C’était un accident. Son garçon, elle en était sûre, lui en voulait plus pour le « Michou » qu’elle avait malencontreusement échappé devant ses copains que pour le coup de poing. Valérie avait écorné la virilité de son garçon. « Quand je pense qu’il se blottissait contre elle comme un bébé, il n’y a pas si longtemps . Je vais devoir m‘y faire. » La jeune fille laissa ses pensées partir dans un sens inhabituel. Si elle avait eu un mari comme toute mère de famille qui se respecte, son instinct l’aurait amené tout naturellement à désirer un nouveau bébé. Mais ce n’était pas le cas.

retraitSoudain, son regard fut attiré par Adeline de Mongeau. Celle-ci agitait la main dans sa direction. Elle lui faisait signe de venir prendre place à sa table. Valérie se dit qu’en liant connaissance avec la mère de Philippe et Antoine, son fils lui en voudrait moins. Elle fit un pas vers la table, mais elle fut arrêtée dans son élan par la main autoritaire de Ginette qui s‘accrochait à son bras.

retrait— Ma chérie, regarde, notre table, celle d’hier au soir nous attend. Nous serons très bien là-bas.

retrait— Mais, mais... La mère de... Elle nous invite à sa table.

retrait— Non ma chérie. Nous avons une table là-bas.

retraitValérie se laissa conduire par Ginette, toujours accrochée à son bras. La jeune fille fronçait les sourcils. Il y avait quelque chose qu’elle n’aimait pas dans l’attitude de sa voisine. Elle allait s’asseoir pour mieux expliquer à Ginette que... lorsque tel un TGV Paris-Londres, la cuisinière antillaise, comment s’appelait-elle, ah oui ! Marie-Josèphe... lorsque Marie-Josèphe l’arrêta dans son geste.

retrait— Non, non, ma petite demoiselle, on ne s’assoit pas, non, on ne s’assoit pas.
Valérie avait les jambes à moitié pliées, prêtes à poser son arrière-train sur la chaise et elle regardait stupéfaite la grosse cuisinière noire qui lui enserrait le bras pour l’empêcher de continuer.

retrait— La table est réservée sans doute ?

retrait— Non, jeune fille. La table n’est pas réservée, mais on ne s’assoit pas. Votre maman devrait le savoir.

retraitGinette était estomaquée. Pour la seconde fois, on la prenait pour la mère de Valérie. Puis elle se rappela que la Marie-Josèphe avait été, la veille au soir, la première à se tromper.

retrait— Que devrais-je savoir que... ma fille ne sait pas ?

retraitEn posant la question, Ginette jeta un clin d’œil ironique à Valérie. Marie-Josèphe poussa un grand soupir avant de reprendre son explication.

retrait— Ce que vous devriez savoir madame, c’est que l’on ne s’assoit pas...

retrait— Oui, j’ai compris : on ne s’assoit pas, mais pour l’amour, pourquoi on ne s’assoit pas ?

retraitMarie-Josèphe repoussa un grand soupir.

retrait— Si vous me laissiez finir ma phrase, vous le sauriez. On ne s’assoit pas sans mettre une serviette sur la chaise. Même un enfant sait cela.

retraitComme un ressort, Valérie se redressa droite comme un piquet et regarda son fils. Elle se rappelait que Jean-Michel le lui avait dit la première fois qu’ils étaient allés à la piscine alors qu’il avait six ans. Mais en levant la tête pour regarder son fils, elle vit que toute la salle avait le regard tourné vers elles. Elle vira au rouge. Quelle honte !

retrait— Tenez madame, tenez jeune fille. Deux serviettes pour vous asseoir. Allez, mon mari va venir pour prendre la commande. Moi, je retourne à mes fourneaux. Ici, je suis l’esclave de service.

retraitGinette et Valérie regardèrent les grosses fesses de la cuisinière disparaître derrière le comptoir en même temps que son mari en sortait. En voyant Ginette, il accourut vers leur table.

retrait— Eh bien la madame ! Que désire-t-elle la petite madame ? Un bon café, j’en suis sûr. Un bon café devrait vous réveiller. Ah, c’est sûr qu’un bon whisky comme mon Kornog derrière la cravate, ça vous requinque son homme, excusez ma petite madame, je devrais dire, ça vous requinque sa madame. Mais le matin (ses yeux firent le tour de la salle), les autres ne comprendraient pas. Alors, vous savez ce que l’on va faire ? (et là, il fit un clin d’œil à Ginette en lui donnant un coup de coude sur le bras). Je vais mettre un peu de gnole dans le café, juste un peu (un deuxième clin d’œil). Disons moitié-moitié. Vous m’en direz des nouvelles . C’est du pur breton ça aussi, ma petite madame. Bon et puis, votre grande jeune fille (il regarda Valérie et en voyant sa poitrine, il rougit et leva les yeux vers le plafond), un chocolat chaud peut-être ?

retraitGinette, voyant que la jeune fille avait les yeux baissés et cherchait en croisant les bras sur le rebord de la table à cacher ses seins, répondit pour elle d’un hochement de la tête. L’homme avait à peine regagné l’arrière de son comptoir que Valérie éclata.

retrait— Ginette, tu m’as appelée ma chérie tout à l’heure. Devant tout le monde.

retrait— Hein ! Moi je t’ai appelé... ma chérie .

retrait— Oui en entrant dans le restaurant. Devant le tout le monde. Qu’est-ce qu’ils vont penser les gens ?

retrait— Mais ma chér... Euh Valérie. Ils n’ont sûrement pas entendu et de toute façon c’est normal qu’une mère appelle sa fille ma chérie. Il n’y a pas que les... les... comme nous qui...

retrait— Comme toi, tu veux dire.

retrait— Oui, si tu veux. Les gens comme moi qui se donnent de petits mots doux. D’ailleurs, ton oncle te le dit souvent et tu trouves cela naturel. Non ? Allez, ne fais pas cette tête-là. Tu sais, si je t’ai appelé ma chér... Enfin comme cela, c’était pour faire la leçon à Adeline de Mongeau.

retrait— Hein ! Pourquoi cela ?

retrait— Tu ne t’en es pas aperçu peut-être, mais la Mongeau, elle en pince pour toi.

retrait— Ben, voyons donc. Elle a un mari, elle est mère de deux enfants, ça a l‘air d‘ailleurs d‘une famille très comme il faut. Elle n’a pas du tout l’air d’une...

retrait— D’une grosse lesbienne qui s’habille en cuir comme moi.

retrait— Oui, non, excuse-moi Ginette si cela te vexe, mais c’est un peu vrai, non ?

retrait— Eh bien, j’ai de petites nouvelles pour toi. Ta grande bourgeoise snob se fait des petites jeunes. Elle a une nouvelle bonne chaque année qui, paraît-il, ne transpire pas en poussant le balai.

retrait— Comment ?

retrait— Ton oncle.

retrait— L’oncle Marcel t’a dit cela. Eh bien, dis donc. Il a l’air pas mal au courant. Tiens en parlant du loup...
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roger
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Re: Histoire de Roger : Le monde à l'envers

Message par roger »

retrait Ginette en regardant Marcel entrer se mit à rire. L’expression prenait vraiment tout son sens ici dans un camp naturiste. Puis elle eut un coup de chaleur en pensant à ce qu’elle avait fait durant la nuit. Comme il approchait, le patron apportait le café de Ginette. Marcel, croyant que Yannick le lui apportait, s’empara de la tasse.

retrait— Merci Yannick ! Alors les filles, on s’habitue au paradis terrestre ? Fais attention, ma chérie, de ne pas trop t’exposer au soleil. Les peaux de rousses sont fragiles. Et vous, ma chère... Ou plutôt, et toi ma chère Ginette ? Passée une bonne nuit. Je n’ai pas trop bougé dans mon sommeil ? Mes ronflements ne t’ont pas trop dérangée ?

retraitEn prononçant ces mots, l’oncle leva la tasse, fit un clin d’œil à Ginette, prit une gorgée... Qu’il recracha avec une grimace de dégoût.

retrait— Ouache ! C’est quoi cette cochonnerie ? Ce n’est pas du café, ça ?

retraitIl se retourna vers le bar, mais son ami Yannick avait disparu. Ginette, en lui faisant signe du doigt, lui répondit :

retrait— Mon café, la tasse était pour moi. Avec une petite touche bretonne.

retrait— De la gnole ? Eh bien, je vais devoir remonter les pendules à la prochaine réunion des A.A. Ce n’est plus cinq ans d’abstinence que je vais pouvoir annoncer...
retrait— Tut, tut ! Tu n’as pas bu d’alcool. Tu l’as recraché immédiatement. Comme nous le disons, nous les catholiques, ne soyons pas plus catholiques que le pape ou dans ton cas « ne soyons pas plus abstinents que Bill et Robert ». C’est d’ailleurs un bon test. Tes papilles ne supportent plus le goût de l’alcool.

retrait— Tu connais Bill et Robert, les fondateurs des A.A., Ginette ? Aurais-tu... ?

retrait— Oui Marcel. J’y suis allé, mais je n’ai pas tenu huit jours. C’était un groupe pour femmes et je crois que les filles y allaient plus pour draguer que pour cheminer dans les douze étapes. Enfin, c’est un peu comme cela que j’ai vu la chose.

retraitL’oncle posa sa main sur celle de Ginette. Celle-ci frémit.

retrait— Tu sais Ginette. Une fin de semaine, c’est un peu court, mais nous pourrions créer un groupe A.A. pour naturistes.

retrait— Ton ami Yannick ne serait pas très content de perdre des clients. Il a l’air d’apprécier ma clientèle.

retraitValérie se mit à rire doucement.

retrait— Et de trois !

retrait Ginette et Marcel se retournèrent. Mais la jeune fille n’en dit pas plus. Elle posa un doigt sur ses lèvres en voyant le dénommé Yannick lui apporter une tasse de chocolat chaud.

retrait— Tiens, ma nièce s’est mise au chocolat chaud. À moins que, comme le café arrosé, le chocolat ne soit pas destiné à la bonne personne. Où est mon neveu préféré, enfin, préféré quand je ne veux pas l’étrangler ?

retrait— Il est avec ses copains là-bas à l’autre table.

retrait— Ma pauvre Ginette. Notre Jean-Michel ne vous a pas en odeur de sainteté.

retraitL’oncle Marcel voulait ainsi faire allusion à l’odeur d’ambre du peignoir, mais personne ne releva le trait d’humour.

retrait— Mon oncle, cette fois, il ne s’agit pas de Ginette, mais de moi. Je l’ai appelé Michou devant ses copains.

retraitValérie raconta leur traversée du boisé et l’épisode du coup de poing. Marcel regardait toujours son neveu.

retrait— Tiens, je vois que notre Michou a reçu son chocolat. Yannick a donc fait une erreur. Attends, je vais lui dire.

retrait— Non, non. Je vais le boire ce chocolat. Demande plutôt à Ginette pourquoi j’ai eu le droit à un chocolat chaud. Allez, Ginette, dis-lui.

retrait— Valérie a raison. C’est de ma faute. Ton breton et son épouse Marie-Josèphe nous prennent pour mère et fille. Je ne suis pas trop sûre que tu ne sois pas le père dans cette histoire farfelue. Je m’excuse. J’aurais dû leur dire, mais... bon, d’accord . Je vais tout t’avouer. Au début, j’ai trouvé drôle la méprise, un peu vexant aussi à cause qu’elle soulignait la différence d’âge et puis j’ai aimé cela. Pour une fois que je suis mère ! Les femmes célibataires, surtout rendues à cinquante ans, ne sont pas toujours bienvenues.

retrait— Comme les hommes Ginette, comme les hommes. Et Jean-Michel, il est quoi dans tout cela, ton petit-fils ? Je suis un peu mélangé dans ton arbre généalogique.

retraitGinette fit une grimace, tout en fronçant les sourcils. Elle regardait le fils de Valérie puis se retourna vers Marcel avec un sourire moqueur .

retrait— Pour lui, je ne suis pas sûr. Il pourrait bien être mon fils selon certains, pour d’autres, ce serait mon petit-fils. Quand penses-tu, Marcel ? Hein ?

retrait— Ce que j’en pense ? Tu vas nous créer des problèmes. Dans les camps naturistes, à cause de leur réputation à sauvegarder, les règlements sont sévères. Les administrateurs aiment bien savoir à qui ils ont affaire.

retrait— Voyons Marcel, c’est juste une blague. Ton copain Yannick et son épouse ont ouvert le bal. C’est eux, et pas moi qui sommes à l’origine de la méprise.

retrait— Et ton fils ou ton petit-fils selon le cas, s’il apprend cela, lui, il ne prendra pas cela pour une plaisanterie.

retrait— Bon d’accord. Je vais leur dire que la maman n’est qu’une grosse lesbienne sur son retour d’âge, que la fifille n’est qu’une maman monoparentale et que le Marcel a perdu son sens de l’humour. J‘aurais bien aimé jouer au papa et à la maman comme quand j‘étais une petite fille, mais finalement nous sommes trois célibataires. C’est le monde à l’envers.

retraitValérie écoutait distraitement Ginette. Elle était plongée dans la contemplation de son garçon quand soudain la porte du restaurant s’ouvrit sur un autre problème pour son amie.

retrait— Oh, oh ! Ma chère, tu as oublié qu’il n’y a pas seulement ici que ta généalogie biscornue est à la mode. Regarde qui entre. Ton vieux monsieur de la chorale avec son harem.

retrait— Oh non ! Je l’avais oublié celui-là. Marcel, tu vas me tuer.

retrait— Comment cela ?

retrait— Eh bien, avec lui aussi, j’ai joué un rôle de maman. Mais là encore, tu ne vas pas me croire, c’est le monsieur qui... Bon, d’accord, arrête de me fusiller du regard, je vais arranger cela. Attendez-moi.
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Re: Histoire de Roger : Le monde à l'envers

Message par roger »

LE MONDE A L’ENVERS
de
Roger Schaëffer
CHAPITRE 10

retrait Ginette se leva en se tenant à la table. Elle poussa un grand soupir, jeta un dernier petit regard gêné à Marcel et Valérie, enfin elle but les dernières gouttes de son café. La mixture du dénommé Yannick devrait lui donner du courage. Depuis la veille, depuis qu’elle s’était déguisée en madame respectable, en enfilant une robe à fleurs, Ginette avait pris un tic : chaque fois qu’elle se levait, elle passait le plat de la main sur sa robe pour la déplisser. Aujourd’hui, sa main ne rencontra que le bas de son ventre. C’est vrai, elle était nue. Elle rougit, mais en même temps, cet oubli prouvait qu‘elle s‘habituait à cette... tenue ou plutôt ce manque de tenue. Cela n’allait pas être facile. Ginette ne se sentait vraiment elle-même que vêtue d’un pantalon ou de cuir. S’accrochant une dernière fois à la table, elle déglutit puis quitta ses amis comme le bateau quitte le port. Les premiers pas ne furent pas trop difficiles. Être nue au milieu de gens nus n’était pas si difficile, contrairement à la boîte de nuit où Louise l’avait effeuillée dans sa jeunesse. Elle passa au milieu des tables sans qu’elle soit le moins du monde remarquée. Il s’agissait de familles ordinaires avec un papa, une maman et de très beaux enfants rieurs, exactement comme dans tous les restaurants de la planète avec un seul petit détail : ils étaient nus. Dans sa jeunesse, lorsqu’elle avait postulé pour son premier emploi, quelqu’un lui avait donné un conseil : lors de ton entrevue, si tu veux ne pas être stressée, imagine ton employeur tout nu. Cela avait bien marché même qu’elle avait manqué d’éclater de rire, car il s’agissait d’un petit monsieur rondouillard. Ici le problème, c’était que le vieux monsieur était déjà nu. Pas moyen d’utiliser cette méthode. A moins de l’utiliser à l’envers. Imaginons qu’il soit habillé... tiens, en clown par exemple. Non, ce n’était pas vraisemblable. Ce paquet d’os ferait pleurer les enfants plutôt que rire. « Allez, ma Ginette, quand il faut y aller, il faut y aller » pensa-t-elle en jetant un regard apeuré à Marcel et Valérie qui la regardaient s’éloigner. Ils souriaient tous les deux et Ginette ne fut pas sûre que ce soit pour lui donner confiance. Marcel avait un petit sourire en coin qui dénotait plutôt le doute ironique.

retraitEn passant devant la table d’Adeline de Mongeau, elle regarda du coin de l’œil le « petit monstre à roulettes ». Il parlait en riant à ses deux copains. Il avait l’air d’avoir oublié le coup de poing de Valérie. Mieux même, il regarda passer Ginette avec indifférence. La « de Mongeau », elle, était plus circonspecte. Ginette devinait que sa nouvelle ennemie se posait des questions sur elle. Cela lui redonna courage. Elle se devait de remettre les pendules à l’heure à propos de sa soi-disant maternité spontanée auprès du vieil homme. Justement, ce dernier venait d’apercevoir Ginette et s’en approchait avec célérité.

retrait— Ma chère madame, j’ai une grande nouvelle à vous annoncer.

retrait— C’est que moi aussi, j’ai quelque chose à préciser avec vous. Ma fille, voyez-vous, ce n’est pas...

retrait — Votre fille. Eh bien, ma chère Ginette je le savais.

retrait — Hein ! Comment cela ? Vous saviez ?

retrait — Il est impensable qu’une aussi belle personne comme vous avec votre stature et avec votre voix si... si... si bien charpentée, chère madame ait pu engendré une si fragile personne. Elle est petite, rousse et sa voix... si fragile, tout le contraire de vous. Et je vous dirai plus sous le secret de la confidence. Le coup de poing qu’elle a asséné à votre fils montre bien qu’elle n’a pas votre caractère. Vous transpirez la douceur, l’émotion même. Ah, je vous dis que dans le monde actuel, les familles reconstituées posent de nouveaux défis.

retrait — C’est que je crois que vous n’avez pas compris. J’allais vous dire...

retrait — Non, non, madame. Ne cherchez pas à excuser votre belle-fille. Je comprends bien tout cela, mais revenons à la grande nouvelle . Imaginez...

retrait — C’est que...

retrait — Imaginez que nous allons chanter ce soir. Oui, l’animateur du camp a inclus notre formation dans le spectacle de ce soir. Tous les samedis, il organise un concours d’amateurs ici même dans le restaurant.

retrait — Mais je voulais vous dire. À propos de ma fille...

retrait — Votre belle-fille, vous voulez dire, mais attendez, laissez-moi finir. À mon grand dépit, nous n’avons jamais gagné. Je suis sûr et certain qu’avec votre voix, nous aurions toutes les chances de remporter la mise ce soir. Oh, madame, dites oui, par pitié. Ne laissez pas une si belle voix ignorée du public.

retrait — Mais il n’est pas question que je chante. Je n’ai jamais chanté d’ailleurs. Je me vois mal me produire en public et en plus sans rien sur moi. Ce serait le monde à l’envers, voyons.

retrait — Oh, je serais tellement déçu si vous ne chantiez pas avec nous ce soir. Nous aurions toutes les chances avec vous de gagner. Je ne sais pas si vous connaissez madame de Mongeau
retrait — Si je connais la « de Mongeau », euh ! Je veux dire madame de Mongeau...
retrait Ginette plissa les yeux, serra les dents et jeta un regard de hyène vers son ennemie. Depuis que la grande bourgeoise hypocrite s’était moquée d’elle en insinuant qu‘elle était la grand-mère de Valérie et de son fils, Ginette gardait un chien de sa chienne en réserve. Mais elle préféra ne pas épiloguer sur la question . Elle écouta avec plus d’attention le vieil homme.

retrait — Ah ! Vous la connaissez donc ! Eh bien, elle et ses enfants produisent un spectacle charmant certes, mais dont le succès est dû à la beauté de madame de Mongeau, à la beauté des enfants, à la beauté des costumes...

retrait — Nous pouvons porter des costumes ?

retrait — Oui et non. Ce sont des plumes et de la peinture corporelle. Madame de Mongeau paie un maquilleur professionnel pour la circonstance. Ce n’est pas très juste pour les autres concurrents. À part cela, leur spectacle ne brille pas par le talent. Alors que vous et votre voix vous seriez comme dit le fabuliste « le phénix des hôtes de ce bois. » Allez, madame, dites oui et je serai le plus heureux des hommes.

retrait Songeuse, Ginette examina le vieil homme qui avait pris une attitude suppliante. Habillée de cuir, elle n’aurait eu que mépris pour cette demi-portion. Elle se serait imaginé l’homme dominant son épouse alors qu’il n’avait que la peau et les os. Dans l’état de nudité où ils étaient tous les deux, Ginette se sentit démunie et elle eut pitié de lui. Elle regarda Adeline de Mongeau. À son arrivée au camp, Ginette avait fantasmé sur la beauté et la prestance de la femme, mais très vite, après les réflexions blessantes de celle-ci, elle était devenue une ennemie. Ginette n’hésita pas. Elle se retourna vers le vieil homme.

retrait — Eh bien, soit. Je chanterai ce soir. Mais par contre, je dois vous faire un aveu.

retrait — Oui ?

retrait — Je n’ai jamais chanté de ma vie. Hier, dans la voiture, j’ai bien fredonné « Oh U, Oh U, Oh Ursule... » Non, je m’en doutais. À voir votre figure, cela ne fait pas partie de votre répertoire.

retrait Le vieux monsieur avec évidence ne connaissait pas Ursule. Il préféra ne pas s’y attarder et reprit un sourire engageant.

retrait — J’ai en réserve une petite perle pour vous et pour votre voix de contre-alto. Vous connaissez Bach ?

retrait — Euh oui ? Pas personnellement. Il est mort, je crois ?

Le vieux monsieur la regarda avec un doute dans les yeux. Il sentit qu’il y avait du chemin à parcourir avant ce soir. Mais il ne se découragea pas. Il se dirigea vers la table où ses vieilles amies l’attendaient et sortit d’un porte-documents une partition. C’était un assez gros recueil. Ginette eut des doutes.

retrait — Vous voulez que nous passions à travers toutes ces pages. Le public va s’endormir, je crois.

retrait — Non n’ayez crainte. Ce sont les cantates de Bach, enfin quelques-unes. Nous ne chanterons que le Stabat Mater. Votre voix va faire sensation.

retrait — Le stabat quoi ?

retrait — Cette cantate narre la douleur de la mère de Jésus au pied de la croix. Oh vous qui êtes mère, vous saurez y mettre toute l’émotion voulue.

retrait — Justement parlant de mère, je voulais vous avouer...

retrait — Tenez, voilà la partition de la cantate.

retrait — C’est quoi tous ces petits points noirs sur les lignes ?

retrait — Ce sont des notes. Si je comprends, vous n’avez vraiment jamais chanté ? Vous n’avez jamais fait de chant choral ?

retrait — Mon cher monsieur, pour vous dire la vérité toute nue et ici nous sommes dans la tenue pour la mieux exprimer, il n’y a pas que le chant choral que je n’ai jamais fait. Par exemple, les enfants...

retrait — Oh oui ! Très bonne idée les enfants ! Lorsque vous l’étiez, n’y a-t-il pas un chant qui vous a marquée ? Nous pourrions revoir ce chant. Il est vrai que le stabat mater en une journée, c’est plutôt difficile à mémoriser même pour une professionnelle. Allez ! rappelez-vous.

retraitGinette chercha dans sa mémoire les chansons de son enfance. Il y avait bien eu « Malbrough s’en va en guerre ». La petite fille qui jouait le rôle de « madame à sa tour monte » était si jolie. Ginette avait exigé d’être le page (beau page, oh mon beau page), mais il ne se passait rien entre madame et lui. Pas même un petit bisou. Alors elle implora l’instituteur d’être monsieur de Malbrough. Elle n’avait pas lu les paroles de la chanson jusqu’à la fin : le pauvre homme (Malbrough pas l’instituteur) était mort et elle passa le spectacle allongé dans une boîte en carton qui représentait un cercueil. Ginette regarda le vieux monsieur. Il ne devait pas penser à ce genre de représentations avec accessoires. Ah oui ! il y avait une chanson dont elle connaissait les paroles et qui lui revenait sans cesse dans ses soûleries mémorables : « L’artillerie de Metz », mais c’était une chanson paillarde et malgré la nudité du monsieur et de ses compagnes, il était invraisemblable qu’ils entonnent de telles paroles ce soir, surtout devant des enfants. C‘était ennuyeux parce que Ginette n‘avait besoin que de quelques verres, enfin disons deux bouteilles de pineau pour se mettre en train. Où avait-elle appris « l’artilleur “. C’était la journée où elle avait voulu grimper sur la statue équestre d’Henri IV, toute nue avec sa coiffe de novice. Mon Dieu ! Le couvent !

retrait — Je sais ! Je sais ce que je pourrais chanter. Quand j’étais... (elle regarda le vieux monsieur avec doute, pas très sûre de lui raconter sa vie antérieure) enfin dans une autre vie, j’ai adoré un chant. Il me faisait pleurer tellement j’étais émue. Nous le chantions une fois par année, à minuit la veille de Noël.

retrait — Minuit Chrétien ! Vous connaissez Minuit Chrétien. Mais ce serait parfait. Mes compagnes et moi, nous avons chanté des chants de Noël à Montalivet... Les spectateurs n’en revenaient pas.

retrait — À Montalivet ? En été ? Tout nu ? Les spectateurs n’en revenaient pas ? Je veux bien vous croire.

retrait — Ça a été un succès. Croyez-moi. D’ailleurs, il est question de réitérer l’expérience l’été prochain à l’île du Levant. Ce serait formidable si vous veniez avec nous. En attendant, nous répéterons après déjeuner. Soyez au chalet d’accueil, disons dans une demi-heure. Nous vous attendrons avec impatience.

retraitLe vieux monsieur se pencha vers les membres de son chœur pour leur annoncer la bonne nouvelle : il avait recruté, il en était sûr, l’élément qui allait leur faire gagner le concours de ce soir. Ginette, de son côté, en était moins sûre. Au couvent, après plusieurs tentatives, elle en avait conclu qu’elle n’était pas très douée pour la chorale. La sœur qui dirigeait le chœur avait plusieurs fois dû interrompre le chant, car l’une des membres faussait. Lorsque Ginette avait compris que c’était elle la fautive, plus aucun son ne sortit de sa bouche : elle bougeait les lèvres en silence. Ce soir, ce n’était pas gagné. Elle se tourna vers la table de la ‘de Mongeau’ : celle-ci la regardait avec un rictus d‘ironie. Ginette prit ce geste comme un défi. ‘Ah, tu ris ! Eh bien, je ne sais pas comment je vais y arriver, mais ce soir, je chanterai et tu ravaleras ton petit sourire dans ta gorge’ pensa-t-elle en retournant vers la table de ses amis.
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