Histoire de Roger : Le monde à l'envers

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LE MONDE A L’ENVERS
de
Roger Schaëffer
CHAPITRE 14

retrait Elle marchait sur l’accotement de l’allée. Par endroits, des arbres jetaient leur ombre et Valérie avait l’impression dans ces moments-là qu’elle était protégée. Mais le soleil envahissait la majeure partie du chemin et alors, elle marchait plus vite pour se rendre à la prochaine zone d’ombre.

retraitSur la droite, elle allait devoir passer devant le restaurant puis la piscine, devant aussi les terrains de volley-ball et de pétanques et ceci en plein après-midi, au moment où les occupants du camping se réunissaient pour y jouer. Sur la gauche, une longue rangée de bungalows, plus spacieux que ceux loués par son oncle étaient occupés par des personnes âgées ; elles y passaient tout l’été. La jeune fille les avait rencontrées dans le restaurant en compagnie de Luc.

retraitLes vieilles dames s’étaient installées sur leur galerie pour profiter du soleil automnal. Certaines surveillaient d’un œil distrait toute une volée de jeunes enfants qui jouaient sur le bord de l’allée. À son approche, une petite fille se détacha du groupe et lança un cri joyeux en l’apercevant : c’était celle du restaurant, celle qui lui avait souri et que la jeune fille en retour avait embrassée. L’enfant courut dans sa direction et se planta devant elle, les mains sur les hanches, le menton haut, bien décidée à ne pas la laisser passer.

retrait— Bonjour Madame. Tu vas te baigner ?

retraitLa jeune fille était déconcertée par la question de l’enfant. Elle rougit fortement.

retrait— Non ! Pourquoi dis-tu cela ?

retrait— Parce que... parce que tu as ta serviette avec toi.

retrait— Non, j’ai ma serviette parce que... parce que...

retraitValérie ne trouvait pas de raisons autres que celle qui était de cacher ce qu’elle avait fait peu de temps avant . Elle chercha à détourner l’attention de l’enfant.

retrait— Comment t’appelles-tu ? Moi, c’est Valérie.

retrait— Je m’appelle Camille. Mais je suis une fille, tu sais ? Il y a des garçons qui s’appellent Camille, mais moi je suis une fille. Tu me crois ?

retraitValérie sourit devant la gentille innocence de la petite Camille. Elle était nue et l’on ne pouvait nier qu’elle était une petite fille. Mais cette dernière tenait à son idée première.

retrait— Alors ? Je peux aller avec toi à la piscine ?

retrait— Non ma chérie, je ne peux pas. J’allais chez moi, enfin à mon bungalow pour .. Pour...

retraitValérie réalisa que ce qui était étrange dans un camp naturiste, c’était tout le contraire du monde ordinaire . L’étrange ici, c’était de dire « je vais m’habiller. » C’était le monde à l’envers. Mais la petite Camille ne lui laissa pas l’occasion de réfléchir plus loin. Elle tenait à son idée première.

retrait— Si je te fais un câlin, tu vas venir avec moi à la piscine, non ?

retraitPuis la petite fille se rapprocha de Valérie et entourant de ses bras les cuisses de la jeune fille, elle posa sa tête juste à l’endroit que la serviette cachait, son pubis. Tout en jetant un coup d’œil affolé vers le groupe de personnes âgées Valérie chercha à détacher l’enfant, mais cette dernière s’accrochait aux cuisses de la jeune fille. Les autres enfants s’étaient rapprochés et regardaient la scène.

retraitValérie se figea ; l’agitation de tout ce petit monde agglutiné autour d’elle pour l’enserrer eux aussi de leurs petits bras et surtout la joie de la petite fille qui criait à tue-tête « Je te tiens, je te tiens » attira l’attention des femmes assises sur les galeries. Plusieurs lui lancèrent un signe de la main pour la saluer. Alors que Valérie lâchait d’une main la serviette qu’elle tenait anxieusement devant elle pour répondre au salut des vieilles dames, l’enfant en profita pour s’y agripper et pour la lui arracher. Devant la réussite de son plan, la petite fille éclata de rire et brandit le bout de tissu comme si elle tenait un drapeau au-dessus de sa tête puis partit se réfugier sur la galerie où se tenaient les vieilles dames. Tous les enfants la suivirent en riant de ce nouveau jeu.

retraitParmi les spectatrices de la scène, Valérie reconnut la vieille dame que Luc avait appelée Lucille. Elle s’approcha inquiète des galeries pour récupérer sa serviette. Lucille esquissa un sourire sardonique qui laissait deviner que son esprit travaillait pour trouver une de ces petites phrases assassines dont elle semblait, selon Luc, coutumière.

retrait— Mais si ce n’est pas la nouvelle petite amie de notre beau Luc ! Où est-il celui-là ? Vous aurait-il déjà délaissé, le méchant garçon ? Il est vrai que notre étalon a l’embarras du choix. Il suffit de voir le nombre d’adolescentes qui courent vers la piscine chaque fois que notre adonis est de service comme sauveteur.

retraitLes autres femmes regardaient avec un mélange de tristesse ce venin qui sortait de la bouche de leur compagne. Mais Lucille n’avait pas fini.

retrait— Si nous étions dans un camping textile, je dirais que votre fiancé change de conquêtes comme de chemises.

retraitValérie était toute retournée par les propos de Lucille. De grosses larmes lui remplissaient les yeux. Les enfants qui riaient jusqu’alors sentaient instinctivement que l’objet de leur taquinerie n’était plus en mesure de jouer avec eux. Une des vieilles dames crut bon d’intervenir. Elle devait être la grand-mère de la petite Camille puisque cette dernière s’était réfugiée sur les genoux de celle-ci.

retrait— Mais voyons donc, Lucille. Qu’est-ce que ça veut dire ce déballage ? Tu ne vois pas que tu es en train de faire de la peine à notre amie. Comment peux-tu parler de fiancés alors que nous ne les avons vus qu’une fois ensemble au restaurant ? Franchement ! Des fois je ne te comprends pas.

retraitUne autre vieille dame se mit de la partie.

retrait— Peut-être, ma chère Lucille, es-tu jalouse ? Je me souviens que tu as beaucoup insisté pour que Luc te donne des cours de natation alors que la règle veut que ce soit les garçons avec les garçons et les filles avec les filles.

retraitLucille fusilla du regard la dernière intervenante puis elle se leva, prit sa serviette posée sur la chaise et descendit les deux marches du bungalow le visage figé dans un rictus d’amertume. Elle ne daigna pas répondre et s’éloigna ulcérée.
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retrait Tous les visages se tournèrent vers Valérie. La grand-mère de Camille se leva pour accueillir la jeune fille.

retrait— Excusez-la. Vieillir, ce n’est pas facile pour certaines d’entre nous. Puisque nous voilà avec un fauteuil de libre, pourquoi ne viendriez-vous pas vous asseoir un instant avec nous ? Nous sommes âgées, mais pas toutes acariâtres comme notre pauvre Lucille. On dirait que l’âge l’a rendue amère. Et toi, ma petite crapaudine (elle s’adressait à sa petite fille) voudrais-tu bien rendre la serviette à notre amie ? Ce n’est pas des manières cela de taquiner les personnes que tu ne connais pas. Excusez-la, mademoiselle. À cet âge-là, surtout sur un terrain naturiste comme ici, les enfants sont... comment pourrait-on dire ? Naturels. Oui voilà le mot. La nudité, le manque de vêtements qui sont souvent comme des uniformes ou des cartes de visite dans des endroits textiles, permet d’élever ici les enfants dans une innocence première. Ah si tous les enfants étaient comme les nôtres, je crois que nous aurions moins de problèmes. Allez, venez vous asseoir que l’on fasse connaissance un peu.

retraitValérie ne bougea pas. Elle s’était rapprochée de la rambarde de la galerie, mais n’était pas prête à franchir les deux marches qui la séparaient du groupe de vieilles dames. La petite fille, intimidée par le discours de sa grand-mère avait posé la serviette sur la rampe et était revenue se blottir entre les jambes de la vieille dame. Valérie la remercia du regard et se prépara à repartir.

retrait— Je ne peux pas rester. Je vous remercie, mais je dois...

retraitElle allait dire « me rhabiller », mais le mot ne voulut pas sortir. Une autre femme du groupe lui évita de répondre. Elle toussota pour s’éclaircir la gorge et s’adressa à Valérie.

retrait— Je ne sais pas si l’on vous a demandé votre nom .

retraitLa petite Camille crut bon d’intervenir.

retrait— Elle s’appelle Valérie et c’est mon amie. Hein, Valérie tu es mon amie ? Et on va aller à la piscine aussi.

retraitLa jeune fille sourit à l’enfant pour noter son accord à ce début d’amitié. Mais la dame insista pour reprendre son discours au milieu des rires de tout le groupe.

retrait— Eh bien, ma chère Valérie, puisque telle est votre nom, toutes les personnes ici présentes font partie d’un club naturiste peu connu, mais très dynamique, car il est sous la férule de notre présidente. (Elle désigna de la main la grand-mère de Camille qui approuva d’un hochement de tête.) Comment s’appelle-t-il déjà ? Maudite mémoire ! Ah, oui ! L’association naturiste de Lutèce. J’ai tellement l’habitude de dire « Le club » pour ne pas choquer mes connaissances textiles que je ne me souvenais plus du nom .

retraitValérie se demandait bien ce que son interlocutrice voulait lui dire. Elle aurait voulu s’en aller maintenant qu’elle avait récupéré sa serviette, mais le débit continuel de paroles l’en empêchait. Heureusement, la grand-mère de la petite Camille lui vint en aide.

retrait— Mais ma pauvre Constance, tu saoules notre petite Valérie avec ton discours. Qu’est-ce que tu veux lui dire avec ton club ?

retraitPuis ne laissant pas à l’autre le soin de s’expliquer, elle se retourna vers la jeune fille pour répondre par elle-même.

retrait— L’association est un tout petit club fondé par mon défunt mari, il y a bien des années. Mon dieu, oui, bien des années. Nous n’avons pas de terrain, mais nous utilisons les terrains et les activités des autres clubs. Enfin, c’est à peu près cela notre club. Constance, c’est cela que tu voulais expliquer à notre amie ? Non ?

retrait— Oui, bien sûr. Si tu me laissais finir, je l’aurais dit. Qu’est-ce je voulais dire ? Ah, oui. Ce que je voulais dire, c’est que nous avons toutes sortes d’activités. Par exemple, nous nous réunissons pour prendre le thé. (Elle fronça les sourcils). Mais ce n’est pas ça que je voulais dire. Pourquoi je vous parle de notre club ? Ah, Flavie, tu m’as fait perdre le fil de mon idée.

retraitValérie supposa que Flavie était le prénom de la grand-mère de Camille.

retrait— Ma chère Constance, voulais-tu lui parler de notre chorale ? Valérie, saviez-vous que nous avions un groupe de chanteurs ?

retrait— Oui je sais. J’ai ma voisine qui est supposée chanter ce soir avec eux. Je suis venue avec elle et mon oncle dans sa voiture.

retraitLa jeune fille sentit un froid passer dans le groupe des vieilles dames. La nouvelle de l’état éthylique de Ginette avait dû déjà se répandre dans le fameux club. Ce fut Flavie, la grand-mère de Camille qui lui confirma ses soupçons.

retrait— J’ai bien peur, ma pauvre petite, que votre voisine ne puisse participer à la chorale ce soir. Je suis bien désolée de vous l’apprendre. Les boissons euphorisantes sont interdites sur le terrain en dehors du restaurant ainsi d’ailleurs que leurs effets physiques. Notre chef de chorale, monsieur Loupiot, voulait mettre au programme de ce soir un chant de Noël, je crois, mais votre amie a entonné devant la directrice du camp qui passait là par hasard un tout autre chant, je ne sais plus lequel, mais aux dires de monsieur Loupiot, il se rangeait dans la catégorie des chansons paillardes .

retraitUne des petites vieilles qui se tenait sur une autre galerie leva timidement la main, un sourire malin sur les lèvres et les yeux égrillards tint à préciser la chose.

retrait— C’était « L’artilleur de Metz ». Quand L’artilleur de Metz arrive en garnison. Toutes les femmes de Metz se foutent le doigt dans...

retrait— Jeanine. D’accord, on a compris. Il y a des enfants ici. Et cette pauvre jeune fille qui n’a sans doute pas la moindre idée de ce que c’est une chanson paillarde. Voyons donc, Jeanine, un peu de tenue.

retraitEn disant cela, Flavie serra sa petite fille sur sa poitrine comme pour la protéger d’un éventuel artilleur. Mais on sentait bien qu’elle appréciait se faire rappeler les paroles un peu vulgaires de la chanson. Tout en gardant les yeux sévères qu’elle avait envoyés à la prénommée Jeannine et une esquisse de sourire sur les lèvres, elle se retourna vers Valérie.

retrait— Disons que les mots n’étaient pas en conformité avec la philosophie naturiste, pas plus qu’avec les règlements d’ici d‘ailleurs. C’est le moins qu’on puisse dire. Son attitude extravagante n’a pas été du goût de la directrice du camping. Celle-ci est donc allée signifier à votre oncle le non-renouvellement de son séjour. J’en suis désolée.

retraitLâchant la serviette qu’elle avait récupérée sur la rampe de la galerie, Valérie porta ses deux mains autour de son visage, reproduisant encore une fois le célèbre tableau de Munch. Les vieilles dames figèrent en voyant la réaction de la jeune fille. Elles n’étaient pas au courant que la directrice était déjà en route vers l’oncle Marcel pour lui annoncer la forfaiture de Valérie. Pourtant l’une des vieilles dames ne semblait pas affectée par l’attitude de la jeune fille. C’était Constance. Les sourcils froncés, les yeux tournés vers le haut, elle cherchait dans sa mémoire pourquoi elle avait tant voulu parler de l’association naturiste de Lutèce à la jeune fille.
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Excusez-moi si il y a des fautes ce soir, mais tout Paris résonne (non il ne raisonne pas :biggrin: ) des coups de klaxons et des cris de joie. Nous venons de vivre la finale de la coupe du monde de soccer

retrait Puis soudain, les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, elle poussa un cri de joie qui fit sursauter toutes ses compagnes. Flavie manqua de lâcher la petite Camille de surprise.

retrait— Ah oui ! Je sais, je sais !

retrait— Tu sais quoi ? Pour l’amour du Bon Dieu, j’ai manqué de laisser tomber ma petite fille.

retrait— Oui, oui. Je sais pourquoi je voulais parler du club à... Misère, je ne me souviens plus de votre prénom.

retrait— Valérie, mais dépêche-toi de nous dire ce que tu voulais dire avant de l’oublier encore une fois.

retrait— Flavie. Tu as parlé de Chant de Noël. C’est cela que je voulais dire. Je voulais...

retrait— Tu ne veux pas que la pauvre petite embarque dans la chorale. Voyons donc, ce n’est pas sérieux. De toute façon, si son oncle est renvoyé...

retrait— Mais non. Laisse-moi finir. Tu ne me laisses jamais finir. C’est comme cela que j’oublie ce que je voulais dire. Ce n’est pas du chant que je veux parler, mais de Noël. Tous les ans, nous organisons un réveillon pour le temps des fêtes. L’année dernière, nous avons fait une crèche vivante. Vous vous souvenez ?

retraitToutes les femmes s’extasièrent en même temps. Tout le monde voulut exprimer un souvenir de ce moment-là. Une grosse dame qui n’avait pas encore ouvert la bouche commença.

retrait— Ah oui, ah oui. Quand nous sommes arrivés à la ferme de notre ami Germain, mon mari qui pourtant ne boit pas (elle regarda Valérie comme si elle l’accusait du défaut de Ginette) s’est retrouvé dans le fossé. Il a fallu le tracteur pour ressortir la voiture.

retrait— Moi, ce que j’ai trouvé drôle, c’était le bœuf et l’âne.

retrait— C’est vrai. Germain n’avait pas de bœuf. Alors on a pris une de ses vaches.

retrait— Oui, oui. Et pour l’âne, c’est son vieux cheval qui a fait l’âne. Il s’appelait Télévision, je me souviens. C’est drôle un cheval appelé Télévision.

retraitLa petite Camille voulut-elle aussi intervenir.

retrait— Moi j’ai fait un ange.

retrait— Oui ma chérie. Tu as très bien fait ça.

retrait— Moi, j’aurais voulu faire le petit Jésus. Pourquoi, je ne pouvais pas faire le petit Jésus ? C’est pas juste.

retrait— Mais on te l’a déjà expliqué mille fois. Le petit Jésus, il faut que ce soit un petit garçon. Toi, tu es une petite fille. Ce n’est pas possible.

retrait— Pourtant Élodie qui est à la maternelle avec moi, elle l’a faite le petit Jésus.

retrait— Oui, je sais. Tu nous l’as déjà dit, mais Élodie, elle a fait le petit Jésus à l’église de sa paroisse. Elle avait une robe . Alors on ne voyait pas que c’était une petite fille. C’était une crèche vivante textile.

retrait— C’est pas juste. Moi je veux être une textile, na.

retraitTout le monde se mit à rire. Même Valérie esquissa un sourire. La grand-mère fit une réflexion qui prolongea la bonne humeur du groupe.

retrait— Nous avons là une future féministe. Je crains que l’Église ait une ennemie de plus quand elle va grandir.

retraitToutes les femmes acquiescèrent, mais certaines qui n’étaient pas encore intervenues insistèrent pour le faire.

retrait— Parlant du petit Jésus, vous souvenez-vous du petit Clément ? Comme il était mignon.

retrait— Moi, je me souviens surtout quand on l’a installé dans le berceau. Je ne sais pas si c’est la paille ou la douceur de la couverture que l’on avait mise en dessous, mais tout d’un coup, il s’est mis à rire et puis... Il a fait pipi.

retrait— Oh oui, un grand jet. Je me demande même s’il n’a pas arrosé Germain qui faisait Saint-Joseph. On en a assez ri. Son petit pénis était tout raide. Et il riait, il riait. Il était content pour sûr. C’était trop drôle.
retraitLa seule qui ne semblait pas rire, c’était Camille. Elle s’écarta de sa grand-mère, croisa ses bras, le visage en colère et faisant face au groupe elle déclara.

retrait— Eh bien ! Moi, si j’avais fait le petit Jésus, j’aurais pas fait pipi. Et mon pénis, il aurait pas été raide parce que je suis une fille. Na.

retraitEt sur ces belles paroles, elle descendit les marches de la galerie, suivie par tous les autres enfants en direction des balançoires. Sa grand-mère se retourna vers Constance pour lui signifier d’un regard que l’on ne savait toujours pas où elle voulait en venir avec son histoire d’association naturiste, de Noël, de crèche vivante et en quoi tout cela concernait leur nouvelle connaissance. La vieille dame ne semblait pas comprendre le message. Elle partit sur une tout autre question .

retrait— Je ne savais pas que les petits garçons pouvaient avoir leur truc tout raide comme cela. Si mon mari avait pu...

retrait— Constance ! Veux-tu conclure au lieu de partir dans des conjectures sur les possibilités ou non de ton mari ?

retrait— Oh oui, excusez-moi. Ce que je voulais dire, c’est que l’année dernière, Myriam faisait la Sainte Vierge. Vous vous souvenez ? On ne peut pas dire, mais la pauvre fille n’était peut-être pas la bonne personne (plusieurs vieilles dames hochèrent la tête). D’abord, elle avait déjà trois de ses enfants qui l’entouraient dans la crèche et surtout elle en avait un autre bien avancé en route. Quand on l’avait approché pour faire la sainte vierge, son mari nous avait dit. « Elle a un polichinelle dans le tiroir. » Sur le coup, je n’avais pas saisi, je ne connais pas tous les termes techniques, n’ayant jamais eu d’enfants. (Flavie fronça un instant les sourcils craignant que Constance dévie encore une fois sur les possibilités de son mari, mais ce ne fut pas le cas). Nous étions en septembre, mais rendue à Noël, elle avait le ventre bien rond, un beau gros ventre de femme enceinte . Je crois bien qu‘elle en était à son septième ou huitième mois. Par chance qu’elle n’a pas accouché cette journée-là. On aurait eu deux petits Jésus pour le prix d’un . Mais on ne pouvait rien faire d’autre. Les autres jeunes filles ne voulaient pas se faire filmer en vidéo et elle, elle était tellement fière de faire la Sainte Vierge.
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retraitValérie n’en pouvait plus. Elle aurait tellement voulu s’en aller rejoindre son oncle Marcel et s’excuser pour le mal qu’elle avait fait, surtout que maintenant elle savait que Ginette avait amplifié la faute. Quel désastre ! Et cette pauvre vieille dame qui voulait sans doute lui dire quelque chose de gentil, mais qu’elle n’arrivait pas dire. De son côté, Flavie était découragée. Sa tête était penchée sur sa poitrine et s’agitait de gauche à droite.

retrait— Constance, une dernière fois. Pourrais-tu aboutir quelque part avec ton discours ? Je suis exténuée par ton flot de paroles et notre petite amie aussi, j’en suis sûre.

retraitElle jeta un coup d’œil compatissant vers la jeune fille avant de tourner un regard fatigué vers sa compagne de galerie.

retrait— Oui, oui, je m’en viens. Voilà notre amie, mon dieu, comment vous appelez-vous ? Ah oui, Valérie. Vous vous appelez Valérie. Eh bien ! je trouve que vous seriez la personne idéale pour faire la Sainte Vierge dans notre spectacle de fin d‘année.

retrait« Moi, la vierge Marie ! » pensa horrifiée Valérie, « Ce n’est pas possible. » Elle se rappelait trop bien, petite fille, avoir écouté le sermon d’un pasteur de Genève. Il était venu à Mobrac pour « démystifier », disait-il, « les erreurs du papisme ». Pour ce pasteur, prier la vierge Marie, c’était comme adorer une déesse, une hérésie affligeante qui datait du 4e siècle. Dans ces temps-là, les Gaulois adoraient encore la déesse-mère et les Romains, eux avaient une multitude de déesses dans leur panthéon. Les théologiens avaient détourné leur culte vers celui de la mère du Christ. Elle s’en souvenait très bien de ce sermon. C’était l’époque où elle avait déclaré vouloir devenir elle-même pasteure, ce qui avait rempli d‘orgueil sa pauvre mère . Quel changement lorsque quelques années plus tard, la pauvre femme découvrit que « sa fille s’était livrée au stupre et à la fornication », comme elle lui avait dit alors . La jeune fille n’en revenait tout simplement pas. Elle était bien la dernière à se voir exposée dans une crèche vivante et toute nue à part cela. « Non, franchement... Cela aurait été le monde à l’envers ». Elle leva l’index comme pour réclamer le droit à la parole. Pour une fois, elle se sentait la force de refuser de façon catégorique, mais Constance n’entendait pas se faire dire non. Elle se fit suppliante, les lèvres boudeuses, les mains jointes comme si elle priait la future mère du petit Jésus. On aurait dit un enfant qui réclame une part de dessert supplémentaire. Mais comme le visage de Valérie ne donnait aucun signe d’acceptation, elle ajouta.

retrait— Vous savez : tout en vous respire la grâce, la fragilité. Votre corps de jeune adolescente (c’était vrai qu’à 26 ans, elle en paraissait treize, la poitrine en plus). Vous avez le corps que nous n’avons plus, hélas. Un corps pur et virginal. Allez, Valérie, dites oui.

retrait« Moi ! Un corps pur et virginal ». Valérie n’en revenait tout simplement pas. Son corps mentait, son corps était un tissu de mensonges et d‘hypocrisie. Les vêtements cachaient bien souvent les défauts physiques et parfois moraux des gens. Mais ici, elle était nue et son corps mentait. Que voulait dire alors l’expression « la vérité toute nue » ? Si ces pauvres vieilles avaient su ce qu’elle venait de faire là-bas derrière le chalet d’accueil, elles n’en seraient pas revenues. « Mon dieu, comment pouvait-elle être physiquement cette petite adolescente si pure et avoir eu un comportement moralement indéfendable ? » Les yeux exorbités, elle partit en courant, laissant le groupe de femmes totalement abasourdies par sa réaction.
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CHAPITRE 15

retrait Elle partit pressant le pas en direction des bungalows. Devant le restaurant, elle croisa Marie-Josèphe, son mari et Erwan qui chargeaient leur camionnette. Elle ne voulait pas s’arrêter, mais la cuisinière insista en l’accrochant par le bras.

retrait— Finalement, nous nous en allons. Je n’aurai pas la force pour le spectacle de ce soir. Je crois que je vais crier des bêtises à l’autre (elle voulait dire la directrice) au lieu de chanter. Pour le punch, elle n’aura qu’à le faire elle-même, son punch.

retrait Puis elle attrapa la jeune fille à bras le corps et la souleva de terre pour mieux l’embrasser. Valérie en était toute retournée. La dernière fois que sa poitrine avait touchée la poitrine d’une autre personne, c’était derrière le chalet à peine une heure auparavant. Le contact des deux peaux avait provoqué cette fois-là une réaction explosive et trouble. Cela avait été la même chose la fameuse nuit avec Ginette. Et là, elle ressentait au contraire une sensation de bien-être, de réconfort. On aurait dit que son corps comprenait que cette fois-ci, il s’agissait d’un geste amical, d’une saine embrassade comme deux amies pouvaient le faire et non d’une étreinte amoureuse. Après elle se retourna pour constater qu’Erwan était nu lui aussi. Il avait dû le faire tout naturellement à cause du soleil de l’après-midi. Il n’eut aucune gêne à enlacer la jeune fille et à l’embrasser sur les deux joues. Il souhaita bonne chance à Valérie. Ce fut Yannick, le mari, qui sembla le plus gêné. Il était pourtant vêtu, en train de charger la camionnette, mais hésita à s’approcher de la jeune fille. Tout en ajustant une corde autour d’une boîte contenant des ustensiles de cuisine. Il regarda la jeune fille et touchant de son index sa casquette, il lui souhaita une bonne fin de vacances. Mais il sentit qu’il devait faire mieux que ça. Il lâcha la corde et s’approcha de Valérie. Mais il ne l’embrassa pas. Il préféra lui tendre la main.

retrait— Je suis désolé pour votre... voisine, je crois. C’est de ma faute. Je n’aurais pas dû. Excusez-moi. À cause de cela, vous ne pourrez plus... Venir. Désolé.

retrait— Ce n’est pas bien grave. Je ne crois pas que je serais revenue de toute façon. Le naturisme... C’est bien, mais je crois que je suis trop gênée pour cela. Ce n’est pas pour moi. Mais c’est plutôt pour mon oncle Marcel. Il va être déçu.

retraitPour Valérie, la déception de son oncle allait être d’autant plus grande que le cuisinier ne savait pas que la jeune fille avait aussi sa part de la faute. Yannick lui tenait toujours la main. Il ne s’en rendait pas compte. Ce fut Marie-Josèphe qui mit fin au geste.

retrait— De toute façon, votre oncle a bien d’autres endroits où passer ses vacances. Allez ! Ne vous en faites pas pour cela. Sinon, il a nos coordonnés. J’en suis sûr que l’on se reverra un de ces jours. On se fera une petite fête. C’est bien décevant que cela se termine ainsi, mais n’ayez pas peur, on se reverra.

retraitValérie pensa à donner à la cuisinière ses propres coordonnées. Elle eut le réflexe de toucher ses hanches pour y chercher un papier et un stylo dans d’hypothétiques poches. Mais c’était vrai. Elle était nue.

retrait— Je dirai à l’oncle de vous donner mon adresse. J’aimerais cela vous revoir, Marie-Josèphe. J’ai un besoin de leçons de cuisine. Et toi aussi, Erwan, j’en suis sûr que mon Jean-Michel serait content de te connaître. Allez ! Au revoir !

retraitPuis elle sauta sur les joues de la cuisinière pour l’embrasser une dernière fois et elle partit en direction des terrains de jeux.
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retrait La piscine était déserte. Elle avait pensé y voir son fils et elle fut soulagée de constater qu’il n’y était pas. C’était mieux ainsi. Sans doute, répétait-il la fameuse danse avec ses deux amis et leur mère .

retraitArrivée à la prairie, elle ralentit le rythme, à cause de la pente. Elle passa devant les terrains de pétanque. Là aussi, elle pensa y trouver Ginette puisque la chorale tout entière s’y tenait le plus souvent, mais après y avoir réfléchi, il était invraisemblable que sa voisine puisse être encore avec ces gens-là. Son « artilleur de Metz » l’avait exclue de la formation. Où pouvait-elle bien être ? Avait-elle rejoint le bungalow elle aussi ? C’était vraisemblablement le meilleur endroit pour reprendre ses esprits après tout l’alcool qu’elle avait ingurgité. Pourtant Valérie aurait préféré être seule avec son oncle. Il y a dix ans, à Marseille, lorsqu’elle avait avoué à son oncle Marcel « avoir fauté », cette confession seule à seul avec son oncle l’avait soulagée. Chez les catholiques, on appelait cette façon de faire la confession auriculaire puisqu’elle passait par l’oreille d’un prêtre. Dans l’Église réformée à Mobrac, la cérémonie du pardon avait lieu une fois par an, devant tous les fidèles . Chacun se recueillait et pensait à toutes ses fautes de l’année. Le contact se faisait cette fois directement entre chaque fidèle et Dieu sans l’entremise du pasteur. Celui-ci après un moment de silence, lisait un passage de l’évangile et c’était tout . Pourtant Valérie avait ressenti un plus grand soulagement de passer par l’oreille compatissante de son oncle. Il lui semblait avoir ressenti un plus grand apaisement en faisant cela ainsi. Mais cette fois-ci, Ginette serait sans doute là, avec sa part de péché et elle se demandait si la confession allait avoir la même puissance de rédemption.

retraitToute à sa pensée, elle ne s’aperçut pas qu’elle passait devant les terrains de pétanque, même qu’elle cogna le bout de son pied à la poutrelle de bois qui servait de limite. Elle leva la tête pour découvrir monsieur Loupiot, le chef de chorale qui venait tranquillement vers elle. Il la salua en esquissant un petit sourire timide.

retrait— Vous avez su pour votre amie ?

retrait— Oui monsieur, je suis bien désolé pour vous. C’est vrai qu’elle avait toute une voix. Malheureusement, elle s’est laissé aller un peu trop.

retrait— Oh, ce n’est pas de votre faute. Je suppose que lorsque l’on a ce défaut, il est difficile de s’en passer. Et puis, le cuisinier n’a pas arrangé l’affaire.

retraitValérie se prépara à continuer son chemin. Elle leva la tête pour le saluer.

retrait— Je vous souhaite bonne chance pour ce soir. Sans Ginette, vous allez sûrement avoir des votes. J’en suis sûr que les dames de l’association naturiste de Lutèce vont voter pour vous. Et comme Marie-Josèphe a décidé de ne pas concourir, je vais reporter mon vote sur votre chorale. Vous allez voir. Cela va bien aller.

retraitLe vieux monsieur toussota avant de parler.

retrait— C’est que nous non plus, nous ne chanterons pas ce soir.

retrait— Comment cela ?

retrait— Eh bien, la directrice a déclaré qu’elle me soupçonnait d’avoir encouragé votre amie Ginette à boire pour chasser le trac. Ce qui est totalement faux, je peux vous l’affirmer.

retrait— Je vous crois. Mais pourquoi ne pas chanter ? Sans Ginette ?

retrait— Les membres de la chorale et moi-même nous avons notre orgueil. Puisque cette madame croit de telles choses, nous avons décidé, mes amies et moi, de nous passer de ce concours. De toute façon, nous aurons d’autres occasions de nous produire. Nous sommes présentement à finaliser un projet de tournée sur la Côte d’Azur dans les principaux terrains naturistes de la région. La tournée se terminera à l’île du Levant. Il faudra venir nous écouter chanter avec votre oncle... Et votre amie Ginette si elle le veut.

retrait— Je vis à Paris et je ne crois pas que mon oncle nous invite avant longtemps chez lui à Marseille. Je vous remercie tout de même.

retrait— Laissez-moi votre nom et votre adresse à Paris. Je vous enverrai un C.D. ; mes amies et moi, nous avons l’intention d’enregistrer les chants de Noël.

retrait— Je suis désolé, mais je n’ai pas de papier ni de stylo sur moi.

retrait— Oui, c’est l’un des inconvénients du naturisme, le manque de poches. L’association naturiste de Lutèce a un site internet. Il vous suffira de faire une recherche sur Google pour le trouver.

retrait— Oui, merci monsieur Loupiot. Je n’y manquerai pas.

retraitPuis Valérie repartit vers le bungalow avec un poids supplémentaire sur la conscience. C’était vrai qu’elle n’était pas la cause directe de la démission de la chorale, mais si elle n’avait pas « connu bibliquement » sa voisine, l’oncle Marcel n’aurait pas fait connaissance de Ginette et proposé à celle-ci de les conduire au camp : la chorale aurait alors chanté ses chants de Noël comme à l’habitude. Valérie avait le sens de la culpabilité ancré très profondément en elle. Alors qu’elle allait atteindre le haut de la prairie, l’idée que le renvoi de la cuisinière était de sa faute effleura également son esprit, mais cette fois elle ne réussit pas à trouver le lien entre elle et les démêlés du couple. Comme lui avait dit le pasteur à Mobrac : « Tu ne peux pas porter tous les péchés du monde sur tes épaules. » C’était vrai, mais elle essayait tout de même.
Puis tout d’un coup, elle s’arrêta net, non pas à cause d’une nouvelle pensée culpabilisante, mais devant elle, alors qu’elle atteignait le sommet de la prairie, elle vit un spectacle capable de la jeter à terre : Ginette était assise sur un tronc d’arbre à l’orée de la forêt, le même tronc sur lequel elle s’était assise le matin même pour reprendre sa respiration tandis que la jeune fille, toujours dans le boisé, manquait d’assommer son petit garçon.

retraitEn fait, il n’y avait rien d’extraordinaire à ce que sa voisine soit assise à ce même endroit. Après avoir démontré son talent vocal en chantant devant la directrice sa chanson paillarde comme la qualifiaient si bien les vieilles dames et après s‘être fait signifier son non-respect des règlements, elle avait dû grimper péniblement la prairie et trouvant le tronc accueillant, elle s’y était assise pour y cuver son trop-plein d’alcool. Non, cela était tout à fait normal.

retraitCe qui l’était moins, c’était le jeune garçon assis sur les genoux de Ginette, lui enserrant les épaules avec sa tête enfouie dans son cou. À première vue, Valérie ne reconnaissait pas l’enfant et étant donné le peu de compatibilité d’humeur entre sa voisine et les enfants... La jeune fille avait très vite senti que Ginette ne pouvait pas supporter son fils et celui-ci en retour... « Mon Dieu ! Mais c’est lui, c’est Jean-Michel. C’est mon Michou qui est assis sur les genoux de Ginette. » Elle ne comprenait rien à ce qu’elle voyait. Les deux ennemis se serraient l’un contre l’autre comme si leur vie en dépendait.
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roger
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retrait Plus elle s’approchait de l’étrange couple, plus Valérie se posait des questions. Pourquoi étaient-ils tous les deux mouillés des pieds à la tête. Avaient-ils pris une douche ensemble ? Mais ce qui était le plus extraordinaire, c’était l’aspect de son fils. Il était bariolé de toutes sortes de taches de couleurs sur le corps, comme si quelqu’un lui avait lancé des pots de peinture. Valérie se souvenait avoir, à son travail, sous-titré un documentaire sur la nouvelle mode du « paint-ball ». Il s’agissait pour chaque participant d’envoyer sur ses adversaires au moyen d’un fusil spécial des cartouches remplies de peinture. Les taches sur le corps de l’ennemi prouvaient que celui-ci avait été touché. « Mon dieu, mon pauvre Michou, lui qui n’aime pas perdre, je crois que cette fois-ci, il a été submergé par le nombre. » Si chaque couleur indiquait la provenance d’un seul ennemi, la variété des teintes prouvait que son fils avait été attaqué par toute une armée d’opposants. C’était pourtant bizarre : personne ne lui avait parlé d’un terrain de paint-ball sur le camping. Ce qu’elle ne comprenait pas non plus, c’était pourquoi il se trouvait assis sur les genoux de sa pire ennemie. Ne l’avait-il pas surnommé « la vieille bique » le matin même et là, il était dans ses bras, la tête enfouie dans le creux de son épaule et en s’approchant elle vit qu’il hoquetait en versant des larmes. Non, ce n’était pas normal, surtout qu’ils étaient nus tous les deux. Même si à l’ordinaire, il n’y avait aucune gêne entre lui et sa mère, Jean-Michel évitait de plus en plus en vieillissant les contacts physiques avec elle dans la salle de bain. Et là, il enlaçait Ginette à bras le corps comme si son avenir en dépendait. C’était le monde à l’envers.

retraitValérie s’approcha encore plus. Elle aurait pu les toucher. À voir l’eau qui s’était écoulée à leurs pieds, il était évident que quelque chose d’extraordinaire leur était arrivé. La jeune fille aurait presque eu envie de détendre l’atmosphère en demandant si la mare d’eau accumulée était le résultat des larmes de « son petit garçon d’amour », mais les transformations physiques et l’âge de son fils étaient devenus un obstacle à l’humour. Il aimait encore rire des autres, mais était sensible à sa propre personne. Elle préféra toussoter pour attirer son attention. Mais il ne bougea pas. Il continuait à sangloter dans les bras de Ginette. Cette dernière leva les yeux au ciel pour mieux exprimer la fatalité.

retraitLa jeune fille était confuse. Quel geste devait-elle poser ? Ce qui était sûr, c’était de ne pas oublier que son Jean-Michel ne voulait plus être appelé Michou, plus particulièrement dans un tel moment. Elle avança la main et la posa tranquillement sur l’épaule du garçon. Sur le coup, il n’y eut aucune réaction. Sans doute trop plein de son malheur, il ne réalisait pas qu’une autre personne s’était approchée d’eux. Valérie toussota de nouveau. Il détourna la tête et lorsqu’il réalisa que sa mère était derrière lui, il repoussa violemment Ginette et s’accrocha aux épaules de Valérie. Celle-ci manqua de tomber à la renverse tellement la secousse avait été forte. Son fils à dix ans n’était pas loin d’atteindre sa grandeur et son poids. Elle eut toutes les peines du monde à le supporter. La douleur silencieuse du garçon se transforma en un cri déchirant l’air.

retrait— Maman, maman, oh, maman, je veux qu’on s’en aille. Maman, maman ! Dis oui, je veux qu’on s’en aille. Elle est d’accord. Je veux qu’on s’en aille. Dis oui, je t’en supplie.

retraitLe « elle » désignait vraisemblablement Ginette puisque celle-ci était la conductrice de leur moyen de locomotion. Valérie la regarda avec un regard de doute. Mais sa voisine hocha la tête pour signifier son accord. Il est vrai que Ginette, après la petite sortie paillarde devant la directrice ne pouvait qu’être d’accord pour un départ. Et Valérie avait elle aussi une bonne raison pour s’en aller. Mais pourquoi Jean-Michel insistait-il lui aussi pour partir. Que s’était-il passé ?

retrait— Je veux bien mon chéri, mais pourrais-tu me dire qui t’a mis dans un tel état ? La peinture par exemple...

retraitEn jetant un coup d’œil par-dessus l’épaule de son fils, elle remarqua que le corps de Ginette en était lui aussi recouvert. En fait, c’était plutôt le ventre, les bras et la poitrine de celle-ci qui en étaient maculés, contrairement au garçon qui lui en avait sur tous les bords. Sans doute qu’en se collant à Ginette, il en avait étalé sur elle. Elle s’écarta légèrement de son fils pour constater qu’elle en était elle-même maintenant couverte. Elle attendit avec impatience les explications, mais Jean-Michel en avait trop sur le cœur pour s’attarder à un point de détail aussi superficiel que son aspect bariolé et sa propension à en partager avec toutes celles qui l‘approchaient. Il préféra crier sa douleur en retournant se blottir dans les bras de sa mère .

retrait— Ils m’ont traité de bâtard, maman. Ils m’ont traité de bâtard.

retrait— Hein ! Quoi ? Qui a osé ? Qui sont les ils ?

retraitValérie était toute troublée. Pour la première fois, quelqu’un osait s’attaquer à la réputation de son garçon. Qui avait osé rappeler le manque de père à son petit chéri ? En dix ans, elle n’avait jamais eu à expliquer à Jean-Michel la raison de cette absence. C’est vrai qu’après son accouchement la sage-femme qui l’avait aidé s’était fait un devoir de l’intégrer à un groupe populaire où le monde, plus ou moins bohème ne s’en faisait pas trop avec la définition stricte de ce qu’était une famille. Au contraire, que ce soit à la coopérative alimentaire, à la friperie ou même à la garderie populaire, tous les hommes pouvaient un jour ou l’autre servir de papa à l’un des enfants présents. Jamais Jean-Michel ne s’était senti abandonné lorsqu’il s’endormait chez l’une des amies de la jeune fille pour se réveiller le lendemain chez une autre . Elle ne comprenait pas que l’on pouvait avoir injurié son Michou adoré. Elle voulait savoir.

retraitL’enfant, sans lâcher le cou de sa mère, tourna les épaules et indiqua du bras gauche la direction où se trouvait Ginette.

retrait— Hein ! Toi ? Tu as...

retrait— Non, non, ma toute belle . Pas moi. Là en bas. Ne nous mélangeons pas.

retraitGinette, comme si elle prenait le relais du geste de l’enfant indiqua en envoyant son pouce par dessus son épaule que ce qu’il voulait indiquer, c’était un peu plus loin. Tout en tenant toujours son fils, les sourcils froncés, la jeune fille approcha du tronc où s’était rassise sa voisine et découvrit la pente qui longeait le boisé sur le côté nord. En fait, si elle n’avait pas été troublée par le coup de poing qu’elle avait asséné à son fils le matin même, elle aurait vu en sortant du boisé sur le côté droit que la prairie redescendait en pente douce vers un petit lac. Mais cet après-midi, le lac était désert, elle ne vit rien de bien particulier. Ni la surface de l’eau ni les rives du lac n’étaient occupées par qui que ce soit. Valérie jeta un regard d’incompréhension à sa voisine. Sans même se retourner pour vérifier, celle-ci se leva et s’approcha de la jeune fille.

retrait— Non, non ma chérie. C’est sûr que les fameux ils de ton garçon ont disparu depuis belle lurette. Ils étaient plutôt fâchés par ce qui s’était passé, leur mère aussi d’ailleurs.

retrait— Comment cela ? Tu veux dire que ce sont les enfants de Mongeau qui ont traité mon petit garçon de...

retrait— De bâtard, oui maman, ils m’ont traité de bâtard.

retrait— Mais je ne comprends rien à rien. Est-ce que vous allez m’expliquer une fois pour toutes ce qui s’est vraiment passé ?
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retrait Ginette comprit qu’il lui fallait intervenir mieux que ça. Elle se leva péniblement de sur son tronc et tout en regardant le sol en agitant la tête de droite à gauche, elle s’approcha de la mère et du fils. Elle posa une main sur l’épaule de Jean-Michel pour s’adresser à lui.

retrait— Ah là là ! Franchement mon garçon, tu as des croûtes à manger avant de devenir écrivain. J’espère que tu as un autre projet de vie dans ta besace parce que raconter des histoires, ce n’est pas ta spécialité. Si j‘étais toi, je deviendrais cuisinier. Tu es bien meilleur dans les mélanges de sauces . Voyons donc ! On ne commence pas une histoire par le milieu. Allez, raconte à ta mère comment tout cela a commencé. Par exemple, qu’est-ce que vous avez fait, toi et tes supposés copains ce matin ? Tu sais, juste après m’avoir traité de vieille bique ?

retraitJean-Michel regarda étonné leur voisine. Il ne se souvenait absolument pas de l’avoir traité de vieille bique.

retrait— Oui, oui, de vieille bique ! Allez ! Dis à ta mère où vous êtes allés, toi et tes fameux copains Philippe et Antoine.

retrait— Eh bien, nous sommes partis à leur caravane motorisée. Tu verrais cela, maman, on dirait une vraie maison sur roues...

retraitLe garçon avait presque oublié son chagrin juste à l’évocation du luxueux camping-car des de Mongeau, mais Ginette veillait.

retrait— Non, non mon garçon, ne rentre pas dans les détails. Dis-nous comment étaient tes petits copains .

retrait— Eh bien, ils ont commencé par me taquiner parce que vous m’appeliez Michou. Ils rajoutaient même « lette ». Cela faisait Michouillette. Tout le long du chemin, ils chantonnaient cela en prenant des airs de fille. Je n’ai pas vraiment aimé cela. Maman, pourrais-tu ne plus m’appeler comme cela, enfin Michou, je veux dire ?

retraitValérie serra un peu plus fort son fils. Lui il tourna la tête vers la voisine.

retrait— Et vous non plus !

retrait— Ne t’en fais pas pour cela. Ce matin, cela m’a échappé. J’étais un peu... Disons fatigué.

retrait— Vous étiez saoule, oui, comme une bourrique, lui cria le garçon. Et comme dit le pasteur à Mobrac, l‘alcool rend l‘homme semblable à la bête. Hein, maman, qu‘il dit cela, le pasteur ?

retraitValérie rougit tout en hochant la tête. Elle se souvenait elle aussi de ce commentaire sur le passage de la bible où Noé prend un petit coup, mais, ne connaissant pas Ginette à cette époque, elle avait reporté cette remarque sur elle-même, sur le fameux soir du bal où pour se donner du courage, elle avait bu plus que de nature et où dans la ruelle... Mais Ginette reprit la conversation en contrôle.

retrait— Non, non, mon grand, quand ce sera à mon tour de raconter l’histoire, je le ferai moi-même. Parlant de pasteur, revenons-en à tes moutons. Allez, continue avec tes copains.

retrait— Rendus à la caravane, leur mère et le maquilleur nous attendaient. On est passé chacun notre tour pour se faire peindre un animal...

retrait— Ah, c’est donc cela toutes ses taches. Mais comment se fait-il...?, essaya de réagir Valérie.

retrait— Non, non ma chérie (la chérie en question fusilla du regard Ginette en lui indiquant son fils, mais celui-ci ne sembla pas relever ce détail). Laisse ton garçon continuer sinon on n’en finira jamais avec cette histoire. Allez, mon garçon, vas-y !

retrait— Quand mon tour est arrivé, la mère de Philippe et Antoine m’a dit que ça coûtait cher le maquillage et elle se demandait si toi, tu ne pourrais pas payer...

retrait— Hein ! Payer pour cela ! s’écria Valérie.

retrait— Non, non, laisse faire ma chérie (deuxième fusillade du regard par la jeune fille). Je suppose qu’elle pensait à une certaine forme particulière de paiement. Allez, continue-toi.

retrait— Là, elle m’a posé toutes sortes de questions. C’est quoi, tu faisais dans la vie ? Est-ce qu’elle (il désigna Ginette d’un signe de tête) vivait avec nous ? Et puis si Marcel était vraiment notre oncle ? Moi, je ne savais pas quoi répondre des fois. Alors je m’agitais sur le tabouret. Là, la mère a dit que je devais avoir le ver solitaire pour me tortiller comme cela. Philippe et Antoine se sont mis à rire. Puis nous sommes partis au lac parce que nous allions nous servir du ponton sur le lac comme d’une scène pour apprendre les différentes figures de la danse. Pendant tout le chemin, ils chantonnaient « Michouillette a le ver solitaire ». Cela m’a énervé pas mal.

retrait« Je te comprends mon chéri », lui souffla dans l’oreille sa mère tout en le serrant fort dans ses bras, ce qui eut pour effet de beurrer un peu plus de peintures sur la poitrine de la jeune fille.

retrait— On a commencé à apprendre les différentes figures du numéro, mais je n’étais pas capable de suivre le rythme des fois et puis je me trompais souvent de côté. Alors je frappais dans Antoine ou dans Philippe. Là, leur mère a commencé à me crier après. Plus ça allait et plus je me trompais. Finalement, on a fait une pause et là Philippe m’a demandé si je savais nager. Je lui ai dit oui parce que j’avais appris à faire la planche avec l’oncle Marcel, tu te souviens, mais eux ils disaient que ce n’était pas de la nage. Alors là, j’ai...

retraitGinette s’approcha et posa sa main sur l’épaule du garçon.

retrait— Bon, là, arrête un moment ton histoire parce que c’est à mon tour d’entrer en scène.
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roger
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retrait _Valérie, j’ai vu d’ici que tu t’étais arrêtée au terrain de pétanque. Je suppose que le paquet d’os...

retrait— Tu veux parler de monsieur Pouliot, je suppose.

retrait— Oui, monsieur Pouliot. C’est vrai que des fois, je suis un peu insultante avec ma façon de surnommer les gens, mais tu avoueras, le bonhomme, il aurait besoin d’un peu de gras. Ce n’est pas comme ton oncle Marcel, lui...

retrait— Ginette, dois-je te rappeler qu’il y a des oreilles chastes et que tu débordes de ton histoire, toi aussi.

retrait— Oui, bon. Excuse-moi. Je continue. Tu as donc appris pour « Mon artilleur de Metz ». Mais j’ai fait cela pour toi.

retrait— Hein, comment cela ?

retrait— La directrice du camping a commencé à nous dire que toi et Luc vous étiez allés derrière le chalet d’accueil. Là, j’ai compris ce qui s‘était passé (elle mit un doigt sur la bouche en regardant le fils de Valérie, celle-ci la remercia d’un regard). Alors pour couper court à toute cette histoire, j’ai entonné l’artilleur de Metz. La chorale et monsieur Pouliot en particulier n’ont donc pas su la fin de l’histoire. Mais moi, j’ai signé mon arrêt de mort, ce qui n‘était pas bien grave puisque je ne me vois pas finir ma vie dans un camp naturiste.

retrait— Mais Ginette, je ne vois pas ce que Jean-Michel...

retrait— Attends ma chérie (Valérie fronça les sourcils), je n’ai pas fini. J’ai suivi la directrice qui se dirigeait vers ici. Moi, bien sûr, un peu chaudasse, enfin saoule pour dire la vérité, je l’ai suivi en entonnant la suite de l’Artilleur.

retraitLà, Jean-Michel qui commençait à s’impatienter de ne plus être le personnage de l’histoire intervint.

retrait— Tu me les apprendras les paroles de ta chanson ?

retrait— Euh, oui, mais plus tard, dans quelques années. Quand ta mère ne me fusillera plus du regard. Pas tout de suite en tout cas. Bon, où j’en suis ? Ah oui ! donc on arrive ici. La directrice va pénétrer dans le bois pour se rendre à notre bungalow où elle espère rencontrer votre oncle quand tout d’un coup on entend des cris provenant du lac. Jean-Michel vient de pousser à l’eau un des petits monstres à la de Mongeau.

retrait— C’était Philippe. Il m’a répété que je ne savais pas nager. Alors je me suis énervé et je lui ai dit « Si je ne sais pas, tu va peut-être me le montrer. » Et là, je l’ai poussé à l’eau.

retrait— Quand nous sommes arrivés sur la rive, la bataille générale était entamée. La de Mongeau criait au meurtre alors même que son... Comment tu l’appelles ? Ah oui, Philippe, il était déjà revenu à la rive. C’est vrai qu’elle criait surtout à cause du maquillage qui venait de se retrouver dans le lac. Elle ne savait pas que quelques secondes plus tard, c’est tout son spectacle bling-bling qui allait se retrouver à l’eau ! L’autre petit monstre se battait avec Jean-Michel, essayant de le pousser à l’eau. Il a fini par réussir.

retrait— Il m’a fait un croc en jambe. C’est pour cela que je suis tombé à l’eau, mais comme je le tenais par les poignets, il est tombé à l’eau en même temps. Là, j’ai paniqué parce que l’oncle n’était pas là et puis l’eau est froide. Alors...

retrait— Alors tu as commencé à boire la tasse et ton petit copain, il n’a rien fait pour t’aider. Au contraire, il essayait de te caler en poussant ta tête vers le fond. Finalement, j’ai dû intervenir.

retraitValérie qui écoutait le récit avec les yeux exorbités à cause du danger couru par son petit garçon poussa un cri de surprise.

retrait— Hein, toi, Ginette, tu es allée sauver mon Jean-Michel ? Je ne savais pas que tu pouvais nager ?

retrait— Moi, nager. Voyons donc. Je nage comme une pierre. Tu sais bien que je déteste l’eau, mais je ne pouvais pas laisser le fils d’une si charmante voisine se noyer dans même pas un mètre d’eau. Tu sais, le ponton était sur le bord de la rive. Il n’y avait pas de quoi se noyer sauf pour ceux qui ne savent pas faire la planche. Hein, mon garçon ? Une vieille bique, cela peut servir des fois.

retraitJean-Michel rougit sous les couches de peinture.

retrait— Je m’excuse de vous avoir appelé vieille bique. Je ne le ferai plus. J’essaierai en tout cas.

retrait— Merci pour l’effort ! Et maintenant les enfants qu’allons-nous faire ? Au moins, ce bain forcé m’a dessoulée. Pour la directrice que faisons-nous ? J’ai bien peur qu’elle ne soit en train de faire son rapport à votre oncle. Il ne nous reste plus qu’à traverser cette forêt...

retrait— Ce boisé Ginette.

retrait— Oui Valérie, il ne nous reste plus qu’à traverser ce boisé comme tu dis. Au moins, les ennemis sont de notre côté cette fois-ci. (Ginette regarda le garçon avec un petit air ironique). La grande sœur ne sera pas obligée d’assommer son petit frère. Pour votre oncle, je me demande comment il est quand il est fâché. Est-ce qu’il va nous recevoir avec une brique et un fanal ? Je pencherais plutôt qu’il doit avoir le pardon facile. Il a plutôt l’air d’un homme doux. D’ailleurs la nuit dernière...

retrait— Ginette. Tu oublies les oreilles fragiles.

retraitValérie indiqua d’un signe de tête son fils qui marchait à quelques pas devant elles. Il ne semblait pas avoir entendu. Pourtant au bout d’un moment, il s’arrêta net et se retournant :

retrait— Ginette ! Est-ce que vous allez vous marier avec l’oncle Marcel ?

retrait— Hein ! Pourquoi dis-tu ça ?

retrait— Et bien, quand un homme et une femme partagent la même couche (Jean-Michel aimait employer des termes bibliques) c’est qu’ils sont mari et femme. Non ? Et hier au soir, c’est ce que vous avez fait.

retrait— Oui enfin (les deux femmes eurent la même pensée anxieuse : avait-il entendu quelque chose durant la nuit ?), si l’on veut, mais cette fois-ci, c’était un cas spécial. C’était parce qu’un jeune garçon de ma connaissance a insisté pour dormir avec sa mère . Non ?

retraitLe jeune garçon en question fit la moue puis après avoir lâché un « ouais » dubitatif, il repartit au pas de course vers le bungalow. Mais une autre question l’arrêta une fois encore.

retrait— Maman ! C’est quoi un bâtard ?

retrait— Hein ! Tu ne le sais pas. Pourtant tout à l’heure, cela avait de t’avoir fait de la peine d’être traité de bâtard. Eh bien un bâtard, c’est... C’est... (Mon dieu, comment allait-elle s’en tirer sans faire de peine à son petit chéri d’amour) Le sais-tu, toi, Ginette, c’est quoi un bâtard ?

retrait— Bien sûr que je le sais. J’en achète un tous les matins chez le boulanger. C’est le pain entre la baguette et le pain d’un kilo. Non ?

retraitValérie était époustouflée par la réponse. Elle regardait le visage imperturbable de Ginette et l’air préoccupé de son fils. Ce dernier ne semblait pas satisfait par la réponse, il fronçait les sourcils, mais finalement il classa sa question dans les réponses non résolues... pour l’instant. Puis il repartit presque à la course.

retraitLes deux femmes essayèrent de suivre le rythme, Valérie remplie d’appréhension et Ginette marmonnant un « Moi me marier avec l’oncle Marcel, ce serait le monde à l’envers. »
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LE MONDE A L’ENVERS
de
Roger Schaëffer
CHAPITRE 16
retrait Valérie regarda son fils prendre le pas de charge. Pourquoi était-il si pressé d’atteindre le bungalow ? Avait-il hérité comme elle de ce trouble envahissant de culpabilité qui pourrissait la vie de la jeune fille ? À le voir s’avancer au milieu des arbres avec autant de célérité, il était indéniable qu’il avait hâte de rejoindre l’oncle Marcel. Avoir poussé à l’eau les petits de Mongeau n’était pourtant pas si grave que cela, surtout après les insultes proférées par les deux garçons, mais la ruine des maquillages, elle au contraire, avait multiplié l’importance de la faute. Comment allait réagir la mère des garçons ? Allait-elle se plaindre auprès de l’oncle pour obtenir une compensation financière ou plutôt proposer à Valérie un marché qui comportait un certain paiement en nature comme l‘avait suggéré Ginette. La jeune fille fit la grimace. Elle ne se voyait pas poser de tels gestes à froid, surtout avec une femme aussi BCBG. Si elle avait accepté les avances de Ginette, c’était à cause de la situation particulière du moment. L’état de panique ce soir là, le vin aussi avaient endormi ses défenses. Elle esquissa un demi-sourire en jetant un œil à sa compagne. Ginette était loin d’être une beauté fatale. Elle avait dépassé la cinquantaine, l’abus d’alcool, le manque d’exercice lui avait formé un corps de « madame ». Mais c’est justement ce qui la rendait sympathique et abordable. Madame de Mongeau, à force de régimes, de sessions au gym, de maquillages et sans doute de chirurgie esthétique s’était sculpté un corps parfait, mais précisément antinaturel. C’était étrange tout de même que ce genre de personnalité physique représentât le naturisme pour la plupart des gens alors que la nature même ne sculptait pas les corps avec autant de perfection. Les humains étaient comme l’art du jardinage. Il y avait les jardins à la française taillés au cordeau et les jardins à l’anglaise qui suivaient les principes insouciants et désordonnés de la grande Nature. Ginette comme les vieilles dames de l’association naturiste de Lutèce qu’elle avait rencontrées plus tôt représentait le côté « jardin anglais » du naturisme. Tout en pensant à sa voisine, Valérie se réjouit de l’avoir à ses côtés. La traversée du boisé ne lui était pas plus facile au retour qu’à l’aller. Son fils avait disparu derrière les grandes roches qui longeaient le sentier. « Où était-il rendu ? »
retraitSa voisine Ginette avait sa petite idée sur la question . Elle suivait aussi des yeux le fils de Valérie. N’ayant pas les mêmes liens affectifs avec le garçon, c’était un euphémisme de prétendre le contraire, elle l’imaginait rendu à l’endroit où il s’était caché le matin même. Sans doute se préparait-il à leur sauter dessus dès leur passage près des rochers. Il avait dû totalement oublier, ne l’ayant pas compris, le terme péjoratif que les deux autres « petites pestes » lui avaient lancé et il se préparait à rejouer à sa mère et à elle le même tour du matin. Ses doutes furent confirmés lorsqu’elle aperçut la silhouette claire et les taches de peintures grimper entre les grosses roches qui occultaient le sentier à cet endroit du boisé. « Ah non ! Il ne va pas nous refaire le même numéro, ce petit monstre. Non, non », pensa-t-elle. Puis mettant un doigt devant ses lèvres pour prévenir sa compagne, elle pénétra dans les fourrés et contourna sur la droite la cachette du garçon. Valérie, surprise de voir sa voisine disparaître dans les buissons, s’arrêta net sur le sentier. Ginette, après avoir franchi les fourrés grimpa sur deux ou trois rochers et observa le garçon. Il était resté au sol, mais le corps entouré par plusieurs blocs, il observait le sentier proche. « Il nous attend au tournant, le petit retors ! Mais cette fois-ci, c’est lui qui va en avoir pour son argent. » Elle grimpa sur le rocher opposé et attendit. Dès qu’elle entendit le craquement des premières feuilles d’automne sur le sentier, sans doute provoqué par les pas de Valérie, elle prit son élan et sauta en lançant un cri de mort.
retraitMais le résultat ne fut pas celui auquel elle s’attendait. À terre, aucune trace de Valérie, mais au contraire la directrice la regardait avec des yeux de panique, tandis que la jeune fille, restée à l’endroit où elle l’avait laissée, se demandait bien quelle folie sa voisine avait pu bien inventer. Jean-Michel était resté bien caché derrière son rocher tout en se posant la même question que sa mère.
retraitGinette regarda alternativement la directrice du camping toujours au sol et Valérie qui s’approchait prudemment de la scène.
retrait— Je croyais qu’il... Ton fils... Je croyais qu’il voulait sauter quand nous...
retraitPuis elle se précipita vers la dame qui refusa son aide. Furieuse, celle-ci se releva d’un coup de rein puis levant le menton très haut pour paraître plus grande, elle toisa du regard la pauvre Ginette qui restait pantoise devant la scène qu’elle avait provoquée. Tout en s’essuyant les fesses recouvertes par la poussière du sentier, la directrice s’en alla en marmonnant. Au moment de croiser Valérie, elle s’adressa à elle.
retrait— Si vous pouviez raconter à votre oncle ce qui vient de se passer, cela m’éviterait d‘avoir à le rajouter à votre dossier.
retraitEt elle disparut vers la prairie en criant pour que Ginette l‘entende : « D’autant plus que je doute de l‘état mental de votre amie... L‘alcool sans doute « .
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