de
Roger Schaëffer
retrait Elle marchait sur l’accotement de l’allée. Par endroits, des arbres jetaient leur ombre et Valérie avait l’impression dans ces moments-là qu’elle était protégée. Mais le soleil envahissait la majeure partie du chemin et alors, elle marchait plus vite pour se rendre à la prochaine zone d’ombre.
retraitSur la droite, elle allait devoir passer devant le restaurant puis la piscine, devant aussi les terrains de volley-ball et de pétanques et ceci en plein après-midi, au moment où les occupants du camping se réunissaient pour y jouer. Sur la gauche, une longue rangée de bungalows, plus spacieux que ceux loués par son oncle étaient occupés par des personnes âgées ; elles y passaient tout l’été. La jeune fille les avait rencontrées dans le restaurant en compagnie de Luc.
retraitLes vieilles dames s’étaient installées sur leur galerie pour profiter du soleil automnal. Certaines surveillaient d’un œil distrait toute une volée de jeunes enfants qui jouaient sur le bord de l’allée. À son approche, une petite fille se détacha du groupe et lança un cri joyeux en l’apercevant : c’était celle du restaurant, celle qui lui avait souri et que la jeune fille en retour avait embrassée. L’enfant courut dans sa direction et se planta devant elle, les mains sur les hanches, le menton haut, bien décidée à ne pas la laisser passer.
retrait— Bonjour Madame. Tu vas te baigner ?
retraitLa jeune fille était déconcertée par la question de l’enfant. Elle rougit fortement.
retrait— Non ! Pourquoi dis-tu cela ?
retrait— Parce que... parce que tu as ta serviette avec toi.
retrait— Non, j’ai ma serviette parce que... parce que...
retraitValérie ne trouvait pas de raisons autres que celle qui était de cacher ce qu’elle avait fait peu de temps avant . Elle chercha à détourner l’attention de l’enfant.
retrait— Comment t’appelles-tu ? Moi, c’est Valérie.
retrait— Je m’appelle Camille. Mais je suis une fille, tu sais ? Il y a des garçons qui s’appellent Camille, mais moi je suis une fille. Tu me crois ?
retraitValérie sourit devant la gentille innocence de la petite Camille. Elle était nue et l’on ne pouvait nier qu’elle était une petite fille. Mais cette dernière tenait à son idée première.
retrait— Alors ? Je peux aller avec toi à la piscine ?
retrait— Non ma chérie, je ne peux pas. J’allais chez moi, enfin à mon bungalow pour .. Pour...
retraitValérie réalisa que ce qui était étrange dans un camp naturiste, c’était tout le contraire du monde ordinaire . L’étrange ici, c’était de dire « je vais m’habiller. » C’était le monde à l’envers. Mais la petite Camille ne lui laissa pas l’occasion de réfléchir plus loin. Elle tenait à son idée première.
retrait— Si je te fais un câlin, tu vas venir avec moi à la piscine, non ?
retraitPuis la petite fille se rapprocha de Valérie et entourant de ses bras les cuisses de la jeune fille, elle posa sa tête juste à l’endroit que la serviette cachait, son pubis. Tout en jetant un coup d’œil affolé vers le groupe de personnes âgées Valérie chercha à détacher l’enfant, mais cette dernière s’accrochait aux cuisses de la jeune fille. Les autres enfants s’étaient rapprochés et regardaient la scène.
retraitValérie se figea ; l’agitation de tout ce petit monde agglutiné autour d’elle pour l’enserrer eux aussi de leurs petits bras et surtout la joie de la petite fille qui criait à tue-tête « Je te tiens, je te tiens » attira l’attention des femmes assises sur les galeries. Plusieurs lui lancèrent un signe de la main pour la saluer. Alors que Valérie lâchait d’une main la serviette qu’elle tenait anxieusement devant elle pour répondre au salut des vieilles dames, l’enfant en profita pour s’y agripper et pour la lui arracher. Devant la réussite de son plan, la petite fille éclata de rire et brandit le bout de tissu comme si elle tenait un drapeau au-dessus de sa tête puis partit se réfugier sur la galerie où se tenaient les vieilles dames. Tous les enfants la suivirent en riant de ce nouveau jeu.
retraitParmi les spectatrices de la scène, Valérie reconnut la vieille dame que Luc avait appelée Lucille. Elle s’approcha inquiète des galeries pour récupérer sa serviette. Lucille esquissa un sourire sardonique qui laissait deviner que son esprit travaillait pour trouver une de ces petites phrases assassines dont elle semblait, selon Luc, coutumière.
retrait— Mais si ce n’est pas la nouvelle petite amie de notre beau Luc ! Où est-il celui-là ? Vous aurait-il déjà délaissé, le méchant garçon ? Il est vrai que notre étalon a l’embarras du choix. Il suffit de voir le nombre d’adolescentes qui courent vers la piscine chaque fois que notre adonis est de service comme sauveteur.
retraitLes autres femmes regardaient avec un mélange de tristesse ce venin qui sortait de la bouche de leur compagne. Mais Lucille n’avait pas fini.
retrait— Si nous étions dans un camping textile, je dirais que votre fiancé change de conquêtes comme de chemises.
retraitValérie était toute retournée par les propos de Lucille. De grosses larmes lui remplissaient les yeux. Les enfants qui riaient jusqu’alors sentaient instinctivement que l’objet de leur taquinerie n’était plus en mesure de jouer avec eux. Une des vieilles dames crut bon d’intervenir. Elle devait être la grand-mère de la petite Camille puisque cette dernière s’était réfugiée sur les genoux de celle-ci.
retrait— Mais voyons donc, Lucille. Qu’est-ce que ça veut dire ce déballage ? Tu ne vois pas que tu es en train de faire de la peine à notre amie. Comment peux-tu parler de fiancés alors que nous ne les avons vus qu’une fois ensemble au restaurant ? Franchement ! Des fois je ne te comprends pas.
retraitUne autre vieille dame se mit de la partie.
retrait— Peut-être, ma chère Lucille, es-tu jalouse ? Je me souviens que tu as beaucoup insisté pour que Luc te donne des cours de natation alors que la règle veut que ce soit les garçons avec les garçons et les filles avec les filles.
retraitLucille fusilla du regard la dernière intervenante puis elle se leva, prit sa serviette posée sur la chaise et descendit les deux marches du bungalow le visage figé dans un rictus d’amertume. Elle ne daigna pas répondre et s’éloigna ulcérée.