Histoire de Roger : Le monde à l'envers

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roger
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retrait Jean-Michel en profita pour sortir de sa cachette. Ginette le regarda s’éloigner dans la direction opposée de la directrice, vers les bungalows. Valérie se dépêcha pour rejoindre son fils tandis que sa voisine les suivait à distance.
retrait— Tu ne voulais pas... Faire peur à la directrice, je suppose. Et à nous... Non plus, je pense.
retraitJean-Michel regarda sa mère avec des yeux sévères, mais ne répondit pas. Il se dirigea vers les bungalows avec encore plus de rapidité qu’auparavant. « Une vraie folle, la voisine », pensa-t-il, « à quel jeu, elle joue la vieille bique ? » Il ne comprenait pas le pourquoi de sa réaction. « Pourquoi avait-elle sauté sur la directrice alors que lui, justement s’était mis à l’abri pour ne pas avoir à l’affronter ? Il savait bien que la gérante du camping était allée jusqu’aux bungalows pour parler de l’incident du lac à l’oncle Marcel. Il ne voulait pas la rencontrer de nouveau. Pas parce qu’il se sentait coupable d’avoir jeté à l’eau les deux garçons, comme le pensait sa mère. Non ! Jean-Michel s’était caché au milieu des rochers parce qu’il avait peur, tout simplement peur. C’était difficile d’avouer cela pour un garçon de dix ans. Mais lorsque les deux autres étaient sortis du lac, la peinture dégoulinant sur leur corps et des algues vertes qui s’accrochaient à eux, la première chose qu’ils dirent à Jean-Michel, les dents serrées et les yeux vengeurs, ce fut : « Vous allez voir, quand notre père va savoir cela, toi et ta mère, vous allez y goûter. »
retraitRendu sur le chemin menant vers les bungalows, Jean-Michel tremblait non pas de froid, dû à son plongeon dans le lac, mais plutôt de peur. Il fallait bien qu’il se rende à l’évidence. Eux avaient un père, mais lui, pour la première fois, il réalisait le manque de sa vie. « Je n’ai pas de père, » pensa-t-il tout tremblant . Jusqu’à aujourd’hui, cela ne l’avait aucunement affecté. Sa mère était là pour le protéger et il se disait que lorsqu’il grandirait, ce serait à son tour de la protéger. Pourtant il se sentait grand et puissant depuis qu’il jouait à son jeu vidéo. Dans Four Crime, il tuait des dizaines d’ennemis et à chaque niveau, il prenait de la puissance. Quand il serait au dernier niveau, personne ne pourrait plus le battre. Mais Four Crime était un jeu vidéo. Ce n’était pas la vraie vie, comme le répétait l’instituteur lorsque les enfants lui parlaient de leurs loisirs favoris. Mais soudain, la pensée de l’école lui rappela un souvenir. Il était dans les petites classes du primaire. Sa mère lui avait acheté à Noël un blouson en cuir. Un grand de dernière année avait voulu le taxer. Cela s’était passé alors qu’ils revenaient de l’école, juste devant les portes du Centre Commercial Charras. Ses copains s’étaient éloignés de lui et il s’était retrouvé entouré par des grands . Le moins gros de la bande, Jean-Michel avait appris plus tard qu’il passait un test pour entrer dans la bande, lui avait parlé de son blouson et combien il aimerait en avoir un pareil . Jean-Michel avait tout de suite compris que le sien allait se retrouver sur le dos du garçon. Normalement, il aurait dû obtempérer. C’était ce que les autres amis de sa classe faisaient. Plusieurs fois dans l’année, il avait dû partager son lunch de midi avec l’un ou l’autre de ses copains parce que la bande des grands avait taxé l’argent du repas de son camarade. Mais cette journée-là, Jean-Michel avait une bonne raison de refuser. D’abord, il était très fier de son cadeau de Noël, même si sa mère l’avait acheté dans une friperie et que la fermeture éclair ne fonctionnait pas très bien. Mais le plus important, la vraie cause de son désir de refus c’est qu’à la sortie de l‘école, une fille de sa classe lui avait glissé, toute rougissante, dans la poche de sa veste une feuille de papier et il se demandait bien ce qu’il y avait d’écrit sur cette feuille. Les filles ne l’intéressaient pas plus que cela, mais les plus grands semblaient trouver cela amusant. Peut-être que Jocelyne lui proposait d’être son amoureuse. Non, il n’était pas question qu’il donne son veston de cuir et d’ailleurs le taxeur n’était pas si gros que cela. Si Jean-Michel en venait aux coups, les autres de la bande ne s’en mêleraient pas. Il en était presque sûr... Mais pas certain. Il se raffermit sur ses jambes, serra ses poings dans les poches de son veston. Toucher au morceau de papier lui donnait du courage. Puis il se racla la gorge et sans trop y croire, il répéta, en baissant de plusieurs octaves sa voix, une phrase qu’il avait entendue dans une télésérie américaine : « Hey man, c’est quoi ton problème ? » Le garçon décontenancé le regarda. Il n’avait pas pensé que Jean-Michel puisse refuser. Il regarda d’un œil interrogateur les autres de la bande, mais ceux-ci ne bougèrent pas. C’était à lui de se débrouiller. Il sauta à la gorge de Jean-Michel, mais ce dernier avait eu le temps de se mettre en position de Ninja comme il l’avait vu souvent au cinéma dans ses films préférés. Ce qu’il n’avait pas prévu et qu’il n’avait jamais vu au Kung-fu, c’est que le genou gauche de sa jambe avancée vienne frapper l’entrecuisse de son adversaire. Celui-ci recula en criant de douleur. Jean-Michel, enhardi par son avantage sauta à son tour au visage de son adversaire. Ce dernier s’écroula à terre et la bataille allait se continuer sur le trottoir sans l’intervention d’une main solide qui vint séparer les deux garçons. Jean-Michel s’était retourné pour voir celui qui mettait fin à la bagarre. Il s’agissait de Manu, le président de la coopérative d’épicerie, un grand bonhomme aux épaules larges qui passait par hasard dans le coin. Il avait reconnu le fils de Valérie et s’était fait un devoir d’intervenir. Il passa un savon à tout le monde sur les dangers des bagarres et menaça la bande des grands si elle s’avisait de taxer les plus petits. Jean-Michel se rappelait qu’à partir de ce moment, il ne fut plus question de taxage, tout au moins pour les enfants de la coopérative.
retraitDepuis, Jean-Michel se sentait invincible, car il se savait sous la protection de Manu. Tout en avançant sur le chemin qui le menait vers les bungalows, il pensait avec réconfort à « la bande à Manu » comme on appelait les enfants qui suivaient un cours de cuisine avec lui. Même si la cuisine végétarienne n’était pas mangeable, Jean-Michel se faisait un devoir d’y participer. C’était un passeport contre le taxage. Mais le garçon s’arrêta un moment ; il fronça les sourcils ; une sombre pensée vint anéantir son bel optimisme. On était loin de Paris, de son quartier, de la coopérative et donc de Manu. Le père de Philippe ou Antoine, un habitué du camping naturiste, pouvait surgir d’un moment à l’autre. Manu ne savait même pas où se trouvait ce terrain. La panique reprit l’esprit du garçon. Il hâta son pas. Au moins, l’Oncle Marcel pourrait intervenir. Il n’était sûrement pas aussi fort que Manu et de toute façon Jean-Michel avait des doutes que son oncle puisse le défendre. Il était vieux et plus porté sur les discours, les sermons, l’ironie et le sarcasme que sur la bagarre. Le père des deux garçons était-il un genre Manu ou un genre Marcel ? Le plus urgent, c’était de partir. La vieille bique serait de son côté pour cela. Elle ne semblait pas avoir apprécié de se promener « à poil » et comme Valérie était toujours du bord de son fils, il n’aurait pas de difficulté à convaincre l’oncle de fuir au plus vite.
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roger
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retrait Il traversa au pas de course les derniers mètres qui le séparaient des bungalows. Sa mère le suivait à quelques mètres de là. Lorsqu’ils contournèrent les premiers chalets, Marcel sortait de l’un d’entre eux en portant les sacs de Ginette. La voiture avait été amenée face à la porte et il en chargeait le coffre arrière. Chacun se regarda un instant avec des yeux interrogateurs même si l’on devinait un début de sourire sur le visage de l’oncle. Devant l’air coupable de Valérie qui suivait de près son fils, son sourire se fit plus présent.
retrait— Je vois que je n’ai pas à vous expliquer mon soudain besoin de charger la voiture. Je suppose que nous allons voir bientôt arriver notre conductrice.
retraitValérie se retourna. Ginette apparaissait à l’orée du petit bois. Elle vint se placer au côté de Jean-Michel et de sa voisine. Même si son sentiment de culpabilité ne semblait pas la déranger, elle avait tout de même une impression que d’être nue augmentait la faute. Si elle avait été dans la tête de la jeune fille, une lectrice assidue de la Bible, elle aurait pu répéter avec elle les paroles de la Genèse : « Leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus ». Mais Marcel n’était pas un dieu vengeur et sadique. Il préféra rire de la déconvenue de ses invités. Il regarda son neveu. Celui-ci, tout à sa peur de voir le père de ses deux anciens amis apparaître préféra prendre ses précautions. Il ouvrit la portière de la voiture et s’enferma à double tour. Ginette, elle, partit en direction des douches communes au quartier des bungalows.
retrait— Bon, moi, avant de rejoindre la civilisation textile, je vais aller prendre une bonne douche bien chaude. Toute cette peinture que m’a laissée ton fils, ce n’est pas vraiment mon style de maquillage. Viens-tu, Valérie ?
retraitEn invitant sa voisine, Ginette avait un petit espoir de rejouer la scène de la douche qui avait tant fait jouir les deux femmes, quelques jours auparavant. Mais c’était sans compter l’instinct maternel de la jeune fille. Celle-ci supplia son fils à travers les vitres de la voiture de les accompagner.
retrait— Mon chéri, tu ne peux pas retourner à Paris avec toute cette peinture sur toi. Voyons donc ! Ouvre ta porte. Viens prendre une douche. Allez, baisse la clenche de la porte.
retraitMais le garçon n’entendait rien de cette oreille. Il était persuadé que le père de Philippe et Antoine apparaîtrait d’un instant à l’autre à l’orée du petit bois avec des intentions belliqueuses et comme le sourire narquois de l’oncle n’augurait rien de bon quant à sa capacité de défendre son neveu, Jean-Michel préféra rester à l’abri de la voiture. Il se rappelait que dans son jeu vidéo « Four Crime », cela prenait un bazooka pour attaquer un char d’assaut. La voiture de la vieille bique était un semblant de char et l’ennemi, appartenant à la génération prévidéo n’aura sans doute pas pensé à se procurer un bazooka. Le garçon se sentait plus en sécurité dans la voiture qu’au côté de ses aidants naturels.
retraitMais un élément nouveau vint changer les plans des deux femmes. Ginette, toute à sa jouissance de partager un pommeau de douche avec sa petite voisine, s’aperçut qu’aucun filet d’eau ne sortit de celui-ci. Elle essaya la douche à côté, mais elle en eut le même résultat. Elle tourna les robinets des cinq douches pour découvrir que l’eau avait été coupée. Ce fut Marcel qui lui en donna les raisons.
retrait— Comme le camp ferme demain pour l’hiver, la directrice a commencé à couper l’eau des douches communautaires. Il va falloir utiliser celles du pavillon d‘accueil. Ce sont les seules qui restent ouvertes. Leurs tuyaux sont protégés du gel.
retrait— Allons bon. Je vais devoir conduire la voiture à poil.
retrait— Jusqu’à l’accueil, ma chère Ginette. Ensuite, nous pourrons retrouver la fameuse civilisation textile.
retraitL’oncle Marcel invita son neveu à ouvrir les portes du véhicule, ce que celui-ci fit avec prudence en jetant un œil inquiet vers l’orée du bois.
retraitGinette, tout en s’installant dans le siège du chauffeur, se mit à rire bruyamment.
retrait— Personne n’a pensé apporter un appareil photo ? Quelle scène ! Nous quatre, barbouillés de peinture, à poil, assis dans une voiture ! C’est une photo que j’encadrerais bien chez moi, ça, non ?
retraitMais l’oncle Marcel ne la laissa pas jouir plus longtemps par la pensée de l’effet d’une telle photo. Il transféra plutôt la jouissance mentale de Ginette à un plan physique en posant inconsciemment sa main sur la cuisse nue de la conductrice.
retrait— Ma très chère amie, je vais vous décevoir. Il y a un règlement très répandu dans les camps naturistes. Pas d’appareils photo sans la permission expresse de la direction.
retraitGinette leva les yeux au ciel. Cette expression du visage concernait aussi bien la main posée sur sa cuisse que sa réponse à l’explication de l’oncle.
retrait— Pas de photos, pas d’alcool, pas de gestes inconvenants (Ginette jeta un œil sur la main de l’oncle). C’est incroyable le nombre d’interdictions que vous avez chez les naturistes alors qu’à l’extérieur de ce camp, il n’y a qu’un seul règlement que vous ne suivez justement pas, c’est celui de se promener à poil. C’est vraiment le monde à l’envers ici.
retraitPuis elle actionna le démarrage de la voiture. Mais cette dernière eut de la misère à répondre au désir de la conductrice. Le moteur toussa et crachota avant de s’éteindre.
retraitLes trois passagers regardèrent avec angoisse le tableau de bord comme s’il allait leur donner l’explication de cette panne. Ginette frappa rageusement le volant.
retrait— Vous voyez. Cette voiture est comme moi. Elle est allergique à la campagne, aux arbres, à l’humidité. Ce qu’elle nous crache ici, c’est tout son dédain pour cette verdure. Elle est comme moi, une vraie Parisienne.
retrait« Vous pourriez réessayer peut-être, très chère », lui suggéra l’oncle Marcel, tout en retirant sa main qu’il avait distraitement posée sur la cuisse de Ginette.
retrait— Mais oui, je vais réessayer. Qu’est-ce que vous croyez ? Que j’ai l’intention de passer le reste de ma vie dans cette prairie ? (Elle tourna la clé de contact) Tiens, regardez. Là voilà partie, la petite . Elle aussi, elle a hâte de retrouver son milieu naturel, la grande ville, les rues de Paris avec leur pollution. Ici, elle étouffe. Il y a trop d’oxygène. Allez, vas-y Titine, retourne vers ta place de stationnement en sous-sol de l’immeuble. C’est là ta vraie nature. Hein, qu’elle roule comme une vraie jument vers son écurie, la mignonne .
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roger
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retrait Mais l’enthousiasme de Ginette ne sembla pas faire assez d’effet à la voiture, car sur le chemin en pente qui contournait le bois par la prairie, elle se remit à tousser. Il y eut même un arrêt brusque du moteur puis il repartit. La conductrice passait de l’espoir à l’abattement, les passagers aussi. Jean-Michel regarda avec angoisse la surface du lac, croyant y voir sortir le monstre paternel, toujours influencé par ses jeux vidéo. Marcel fronçait les sourcils en cherchant la cause du problème. Valérie, elle, toute à sa culpabilité, limitait ses gestes et même sa respiration pour ne pas provoquer la voiture. Dans la pente descendante qui menait vers la piscine et le restaurant, le moteur sembla prendre du mieux. Tout en longeant les terrains de pétanque, l’espoir revenait. Le moteur ne toussait plus. Les passagers se détendaient. On imaginait déjà l’arrivée à Paris. Mais là, ce fut la catastrophe. Une silhouette sauta à travers le chemin. De surprise, Ginette appuya brusquement sur le frein. Le moteur de la voiture en profita pour cracher son dernier souffle. Il s’éteignit. Devant la voiture, le chef de chorale agitait ses bras squelettiques tandis que sur le bas-côté toutes les vieilles dames souriaient aux passagers de la voiture. L’homme contourna la voiture et vint frapper à la vitre de la conductrice.
retrait— Vous vous en allez. Je pensais que même si le spectacle n’avait pas lieu, nous aurions pu avoir le plaisir de vous voir jusqu’à demain.
retraitGinette ne pipait mot . Elle respirait avec force, tout en se demandant si elle ne devait pas baisser la vitre de sa porte pour enfoncer un coup de poing dans la figure de cet imbécile. Mais ce fut l’oncle Marcel qui prit les choses en main. Il descendit de la voiture et invita sa nièce et son neveu à faire de même. Jean-Michel, enhardi par le nombre de gens qui entouraient la voiture, le fit tout en jetant prudemment un œil autour de lui.
retrait— Attendez, Ginette. Nous allons pousser. Avec nos amis (l‘oncle Marcel eut une pensée de doute en regardant l‘âge canonique des membres de la chorale, mais il préféra ne pas l‘exprimer), nous pourrons, je l’espère, faire redémarrer le moteur. Sinon, je regarderai les bougies. Il doit y avoir de l’humidité dessus. Allez, les amis, aidez-nous à pousser. Il y a encore une petite pente. Cela devrait suffire.
retraitMais rien n’y fit. On arriva à la surface plane du chemin sans pouvoir faire repartir la voiture. Il était impossible de la faire redémarrer. Marcel découragé se rassit à côté de Ginette avant de lui proposer d’examiner les bougies. Comme le contact était mis, il jeta un œil distrait sur le tableau de bord. Il ferma les yeux de découragement. L’explication de la panne s’y trouvait. Sans même rouvrir les yeux, il soupira.
retrait— Ginette, ma belle Ginette, avez-vous pensé à vérifier le niveau de votre réservoir d’essence ?
retrait— Ah, mon Dieu ? C’est la cata. L’autre soir (elle regarda Valérie, car c’était ce soir-là), je devais sortir en boîte et en profiter pour remplir mon réservoir. Ah, mon Dieu ! Ah, je suis désolé. J’ai vraiment oublié. Je ne suis pas sortie (elle jeta encore un œil sur sa passagère, la cause de son oubli). Mais nous sommes coincés ici. Qu’allons-nous faire ? Je n’ai même pas de bidon d’essence dans mon coffre. Nous pourrions vider un ou deux Pineaux... J’irais moi-même à pied à la prochaine station d’essence avec les bouteilles vides .
retraitElle regarda ses amis, mais aucun ne sembla apprécier la blague. Marcel crut bon de prendre les choses en main.
retrait— Non, ce n’est pas la peine. L’un ou l’autre des occupants du camp doit avoir un jerrycan. Sinon, je demanderais à Yannick ou à Luc de siphonner un peu d’essence dans leur réservoir. Allez, les amis, du courage, nous allons pousser la voiture jusqu’au restaurant.

retraitL’espoir s’accrut en voyant arriver de l’aide : Yannick, Marie-Josèphe et Erwan s’avançaient vers la voiture en panne. La cuisinière écarta ses bras pour enlacer Marcel.
retrait— Nous allions aux bungalows pour vous dire au revoir. Que faites-vous ici ?
retraitMarcel lui donna l’explication tout en fusillant du regard Ginette, toujours installé au volant de sa voiture. Yannick se mit à rire.
retrait— Ah, je comprends ton amie, mon cher Marcel. J’ai moi-même ce genre de distractions.
retraitCe fut au tour de Marie-Josèphe de jeter un œil meurtrier à son mari. Elle en avait long à dire sur les distractions alcooliques de celui-ci, mais elle préféra ne pas épiloguer là-dessus pour ne pas mettre mal à l’aise Ginette. Cette dernière, faisant partie des personnes bien charpentées du groupe, fut invitée à descendre de sa voiture pour la pousser en compagnie de Marcel, de Marie-Josèphe et de son fils Erwan. L’oncle invita son neveu, le plus léger à prendre le volant, ce qu’il fit avec grand plaisir. Il avait déjà conduit des voitures dans certains jeux vidéo et comme cette fois-ci, il ne s’agissait que de tenir la voiture dans le milieu du chemin, cela se ferait sans danger. Les autres personnes, Valérie et les membres de la chorale, se contentèrent d’encourager les pousseurs. Yannick eut presque envie de suggérer à ceux-ci un petit coup de gnole pour leur donner du pep, mais il connaissait assez le caractère de son épouse pour se taire. Par contre une idée lui vint à l’esprit et il toussota pour attirer l’attention et l’exprimer, mais son épouse, Marie-Josèphe, lui interdit d’aller plus avant par un « Toi là... » et un poing serré dans sa direction. Il préféra ne rien dire.
retraitLes deux cents mètres qui les séparaient du restaurant furent les plus pénibles. Il s’agissait d’un faux plat . Mais la déception fut grande pour l’oncle Marcel lorsqu’il constata que la camionnette de Yannick ne se trouvait plus devant la bâtisse.
retrait— Mais où est votre véhicule ?
retraitLa question de l’oncle s’adressait à la cuisinière qui poussait à côté de lui, mais ce fut Yannick qui lui répondit tout en regardant d‘un œil craintif son épouse.
retrait— C’est ce que je voulais dire. Nous sommes à l’accueil. Et si... Je pouvais vous suggérer une idée. Au lieu de pousser votre voiture vers là-bas...
retrait— Ce serait que tu recules la tienne jusqu’ici, sombre idiot. Pourquoi ne nous l’as-tu pas dit plus tôt ?
retraitL’intervention de Marie-Josèphe provoqua les rires de tout le monde. Il fut décidé que Marcel attendrait Yannick au restaurant et que tous les autres iraient jusqu’à l’accueil. Ginette, Valérie et Jean-Michel pourraient ainsi prendre une douche pour se débarrasser des fameuses taches de peinture. La chorale tout entière décida de suivre le mouvement en se dirigeant elle aussi vers l’accueil. Le minibus qu’ils avaient loué s’y trouvait stationné. En passant devant les bungalows des saisonniers, ils engagèrent le club naturiste de Lutèce à suivre leur exemple. Flavie opina de la tête.
retrait— Vous avez bien raison. Pourquoi passer la nuit ici alors que nous pourrions dormir confortablement chez nous ? De toute façon, puisque le spectacle n’aura pas lieu, autant s’en aller. Mes bagages sont déjà dans la voiture. Où est ma petite fille ? Camille, allez, viens-t’en. Constance, si tu veux profiter du covoiturage comme à l’aller, il va falloir te dépêcher.
retraitToutes les vieilles dames du club naturiste de Lutèce semblaient avoir préparé leur départ. Elles suivirent leur présidente vers l’entrée du camp où se trouvaient les voitures des saisonniers . Jean-Michel qui jusque là avait été au volant ne fut pas très heureux de devoir marcher sur le chemin de graviers. Il était non seulement nu, mais s’était aussi débarrassé de ses chaussures en enlevant ses vêtements. Il supplia sa mère de le prendre sur son dos. Valérie n’avait jamais rien refusé à son fils. Elle accepta, mais ils ne purent faire deux mètres. Le fameux « Michou » avait grandi et grossi ; sa mère, toute fluette, ne pouvait le porter. Il descendit tout en regardant la voisine. Ginette comprit le message et se dit qu’elle devait faire un effort de rapprochement avec le garçon si elle voulait établir de solides relations avec sa petite voisine dans le futur . Jean-Michel fit donc le reste du trajet sur son dos.
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LE MONDE A L’ENVERS
de
Roger Schaëffer
CHAPITRE 17
retraitArrivée à l’entrée, force fut de constater qu’une partie de la peinture s’était transférée sur le dos de Ginette aussi bien que sur celui de Valérie. Comme elles avaient pris toutes les deux le garçon dans leur bras auparavant, elles en avaient sur tout leur corps. Ginette ne put que philosopher sur ce désagrément
retrait— Au moins l’un des avantages du naturisme, c’est que nous ne serons pas obligées de changer de vêtements ni d‘en laver. Allez, vous deux, entrons dans le chalet d’accueil. Les douches sont supposées en fonction selon votre oncle Marcel.
retraitMais à peine avait-elle fini sa phrase qu’elle s’arrêta sur le seuil du chalet : la directrice se tenait en arrière de la porte.
retraitElle observait d’un œil circonspect tout le va-et-vient des véhicules qui se préparaient à sortir du stationnement. Les voitures se tenaient sur deux files devant le portail encore fermé. Luc, le maître-nageur était en première position pour sortir et après avoir salué plusieurs des membres, il se préparait à ouvrir la porte quand soudainement la cloche de l’entrée se mit en branle. Toutes les personnes présentes se figèrent dans la position où elles se trouvaient. Celles qui s’enlaçaient pour un dernier au revoir suspendirent leurs embrassades. Plusieurs qui allaient entrer dans leur voiture restèrent un pied en dehors et l’autre en dedans. Enfin, les plus pressés étouffèrent le moteur de leur véhicule en tournant la clé de contact. Qui sonnait à l’entrée ?
retraitLuc interrogea du regard la directrice qui lui fit un signe d’ouvrir le portail tout en se dirigeant vers lui. Comme à peu près tout le monde était habillé, il n’y avait pas de risque à ouvrir. Seuls Ginette, Valérie et Jean-Michel attendaient pour se doucher. Profitant du mouvement de la directrice vers le portail, Jean-Michel monta les trois marches qui le séparaient de la porte. Ginette et Valérie, curieuses, regardaient en direction du portail. Ce fut Luc qui après avoir entrouvert le grand battant annonça par un large sourire le visiteur tout en laissant la place à la directrice.
retrait— C’est monsieur de Mongeau.
retraitJean-Michel était déjà à l’intérieur du chalet, mais comme la porte était encore ouverte pour laisser passer sa mère et Ginette, il entendit le nom prononcé. « Le père de... », pensa-t-il . Il figea. Son premier mouvement fut de reculer puis de sortir pour aller se réfugier dans la voiture de la voisine, mais le véhicule était encore au restaurant. La peur se répandit dans tout son être. Il était nu, sans aucune protection. Les deux femmes ne pouvaient rien et l’oncle Marcel était lui aussi retenu par la panne d’essence. Philippe et Antoine avaient bien dit : « Tu vas voir, quand notre père va savoir cela, toi et ta mère, vous allez y goûter. » Dans un instant, ce père si terrible allait être là et le garçon ne pouvait rien imaginer de pire que de se retrouver devant le monstre qu‘il imaginait semblable à ceux de ses jeux vidéo. Il jeta un coup d’œil par la vitre, mais le danger était encore caché par le lourd battant du portail. Il trembla encore plus lorsqu’il entendit l’aboiement sourd d’un gros chien qui devait être avec l’homme.
retraitLa directrice s’était avancée dans l’entrebâillement, car les voitures qui voulaient sortir s’étaient trop avancées. Celle de Luc en particulier gênait l’ouverture. L’homme avait tout de même une vision du groupe important de personnes qui se préparait à quitter le camp : il voulut donc savoir la raison de ce brusque départ d’une grande partie des campeurs. On entendait la voix claire et haut perchée de la directrice sans percevoir la voix sans doute plus sourde de l’homme. Il interrogeait la directrice sur ce qu‘il voyait. Celle-ci, très fière des décisions qu’elle avait prises, les lui décrivait avec force détails sans oublier de citer les règlements enfreints. Comme Luc se tenait en arrière, elle insista sur la conduite inconvenante du jeune homme et de la jeune parente de l’oncle Marcel. Valérie entendant parler d’elle se réfugia à l’intérieur du chalet près de son fils. Puis il fut sans doute question de la fête, car la directrice annonça son annulation devant l’attitude de l’organisateur de la fête, Luc. Il fut question aussi de l’état alcoolique de l’un des membres de la chorale. Ginette comprit qu’il s’agissait d’elle et alla rejoindre sa petite voisine à l’intérieur du chalet. Mais il fut surtout question de la ruine du maquillage de l’un des plus beaux numéros de la soirée. Philippe et Antoine suivis de madame de Mongeau avançaient au milieu des voitures pour accueillir leur père. Ils avaient pris leur douche et les taches de peinture avaient disparu de leur corps, ce qui n’était pas le cas pour Jean-Michel. La preuve de sa culpabilité s’étalait sur lui. Il se serra plus près de Ginette et de sa mère . Lorsque la longue liste de récriminations de la directrice fut terminée, monsieur de Mongeau l’écarta d’autorité et pénétra sur le terrain de l’entrée, à la grande surprise de Jean-Michel qui avait imaginé un tout autre personnage.
retraitMonsieur de Mongeau était un tout petit homme d’environ un mètre soixante qui paraissait plus large que haut. Sa figure rose et poupine lui aurait donné l’air d’un enfant s’il n’avait été si gros et surtout presque entièrement chauve. Il arborait un large sourire qu’il distribuait à la forte assemblée des campeurs.
retrait— Eh bien ! Eh bien ! Que se passe-t-il ici ? Vous aviez l’intention de raccourcir votre séjour d’une journée. C’est demain soir la fermeture du terrain. Je voulais justement vous faire une surprise. Pour épargner notre cuisinière Marie-Josèphe et son mari Yannick, j’ai commandé pour demain midi un buffet. Vous n’allez pas partir sans y participer. Mon médecin m’a mis à la diète. Je ne voudrais pas me retrouver à manger tous ses plats .
retraitMais son sourire disparut lorsqu’il se retourna vers la directrice.
retrait— Et vous, mademoiselle, vous avez décidé de congédier notre maître-nageur pour une broutille, bien de son âge. Croyez-vous que l’on trouve des maîtres-nageurs à tous les coins de rue ? Savez-vous tout ce que j’ai dû faire pour persuader notre beau Luc de prendre un congé sabbatique à la ville de Paris pour l’été et là, vous me sabotez mes efforts. Non, non, mon cher Luc, je vous veux pour l’année prochaine et soyez sûr que j’ajouterai un petit supplément pour vous faire oublier ce désagrément. Je suis sûr que la jeune fille en question était trop jolie pour que vous laissiez passer une telle occasion.
retraitValérie, toujours à l’abri à l’intérieur du chalet d’accueil, eut une bouffée de chaleur qui la fit rougir comme seules les rousses savent le faire. À peu près toutes les vieilles dames du club naturiste de Lutèce regardaient affectueusement en direction de la porte où elle se cachait. La jeune fille serra les épaules de son fils, tellement elle ressentait de l’émotion. Le discours de monsieur de Mongeau lui rappela encore une fois le geste qu’elle avait posé et le regard amoureux que Luc lança à travers les vitres du chalet lui donna un secret espoir que ce n’était que le début d’une possible liaison. Elle pensa à la piscine naturiste de Paris et elle se promit secrètement de proposer à Jean-Michel de l’y emmener à la première occasion. De son côté, son fils regardait avec les yeux grands ouverts le monstre annoncé qui n’était pas plus grand que lui. Les menaces de Philippe et Antoine étaient des vantardises. Leur père n’avait rien de bien terrible. Jean-Michel sourit de soulagement aux deux femmes et embrassa sa mère. Celle-ci se demanda ce qui pouvait avoir provoqué un tel élan d’affection. Il se tourna vers Ginette, mais n’alla pas jusqu’à l’embrasser elle aussi. La voisine crut bon de reprendre le contrôle.
retrait— Bon, les enfants, allons prendre cette douche. Si nous voulons retrouver la civilisation, il va bien falloir s’en débarrasser de cette peinture.
retraitMais Jean-Michel arrêta le mouvement des deux femmes.
retrait— Attendez, le nabot n’a pas fini son discours.
retrait— Mon chéri, ne sois pas méchant, tu n’es pas plus grand que lui.
retrait— Oui, mais moi, c’est normal vu mon âge. Quand je pense que Philippe et Antoine ont essayé de... attendez, le voilà qu’il continue à parler.
retrait— Bon, mes amis, il ne faudrait pas se quitter ainsi. Nous avons toujours eu un petit spectacle la dernière journée du camp. Luc, j’en suis sûr que vous avez des idées. Improvisez-nous quelque chose. Ah ! Voici mon épouse. Très chère, vous allez bien nous présenter un ravissant petit numéro avec nos deux garçons comme vous le faites tous les ans. Non ?
retrait— Ce serait avec grand plaisir, mais à cause d’un petit délinquant pour ne pas dire un petit voyou, nous avons perdu le magnifique maquillage que vos deux charmants enfants avaient prévu de porter pour le spectacle. Vous savez bien, la peinture sur le corps qui m’a coûté les yeux de la tête.
retrait— Oui, je sais puisque c’est moi qui paie finalement la facture. Eh bien, pour une fois, vous danserez sans votre peinture. Ce sera plus naturel. Allez, les amis, voyez avec notre ami Luc. Proposez-lui des numéros. Je veux ma fête ce soir. Et puis, replacez vos véhicules dans le stationnement. J’aimerais bien entrer le mien pour y assister à cette fête.
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roger
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Re: Histoire de Roger : Le monde à l'envers

Message par roger »

retrait L’étrange petit bonhomme ressortit pour s’installer dans son véhicule tandis que Luc était assailli par toutes les vieilles dames du club naturiste de Lutèce. Chacune avait son idée pour la soirée. Mais le jeune homme avait quelque chose de plus pressé à faire. Il se pressa vers le chalet d’accueil. Ginette était en train de régler la température de l’eau tandis que Valérie et Jean-Michel se préparaient à l’accompagner. Il leur cria.
retrait — Non, non, ne prenez pas votre douche tout de suite. J’ai une idée de numéro. Puisque ce maquillage a coûté si cher aux de Mongeau, autant en amortir les frais dans le spectacle de ce soir. Nous allons rire.
retrait Il leur expliqua les détails et tous les trois furent très heureux d’avoir une petite vengeance sur la mère si snob et ses deux enfants. Il demanda à Ginette qui, en raison de son travail d’assistante sociale, avait l’habitude de faire des recherches sur l’internet de lui fournir les paroles et les partitions de quelques chansons qu’ils désiraient leur faire chanter. Mais Luc n’était pas seul à être entré dans le chalet. Il avait été suivi par une des vieilles dames du club de Lutèce, Constance. Elle s’approcha de Valérie avec timidité et lui tapota l’avant-bras.
retrait — Ma chère petite, excusez-moi, mais je ne me souviens plus de votre nom. Avec l’âge, j’ai des absences. Vous vous souvenez de moi ? Non ? Constance. Je me demandais si vous ne voudriez pas faire la Sainte Vierge ce soir dans le spectacle. Nous pourrions reprendre la crèche vivante que nous avions à Noël l’année dernière, mais cette fois-ci avec une... (elle allait dire vierge, mais en voyant le fils de Valérie à côté de sa mère, elle se reprit) vraie belle jeune fille. Qu’est-ce que vous en pensez ?
retrait Valérie ahurie la regarda sans savoir comment refuser. Elle n’avait pas l’habitude de dire non. Pourtant l’idée était tellement absurde. Elle regarda Luc en espérant que celui-ci saurait comment refuser l’idée de la vieille dame sans la froisser et c’est ce qu’il fit.
retrait — Ma chère Constance, votre idée est géniale. C’est vrai que Valérie a le physique de l’emploi (il eut un sourire ironique en direction de la jeune fille), mais nous sommes en automne. Faire naître le petit Jésus en septembre, c’est vraiment tôt. Vous ne trouvez pas ?
retrait — Oui, c’est vrai, mais...
retrait — Et puis Constance, nous n’avons pas ici dans le camp ni le bœuf ni l’âne. Ce sont des pièces essentielles à la crèche, vous ne trouvez pas ? Ce serait le monde à l’envers sans ces braves bêtes pour réchauffer le petit Jésus. Non ?
retrait La vieille dame opina tristement de la tête. Luc la prit dans ses bras et l’embrassa sur les deux joues.
retrait — Tenez, je vous promets d’y penser et à Noël vous aurez votre Sainte Vierge avec le bœuf et l’âne. Si je ne trouve personne pour Saint-Joseph, je le ferai moi-même. Vous êtes d’accord, Constance. Et vous, Valérie, le rôle de la Sainte Vierge, vous vous y voyez ?
retrait La jeune fille n’osa pas contredire Luc en apportant les arguments théologiques de son Église, mais il serait toujours temps de le faire d’ici à Noël. Elle regarda son nouvel ami sortir en tenant par la taille la vieille dame qui semblait bien déçue que son idée ne fasse pas l’unanimité. Le jeune homme se retourna avant de refermer la porte.
retrait— Allez, je vous laisse avec votre amie Ginette et votre fils. Essayez de répéter une ou deux fois avant ce soir. Je vous envoie Erwan puisqu’il sera dans le numéro.
retraitEn attendant le fils de Marie-Josèphe, Ginette se renseigna sur l’ordinateur et imprima à l’attention de Luc les chansons demandées. Valérie et Jean-Michel regardèrent par la fenêtre les groupes se former sans doute dans l’intention de présenter un numéro. On sentait dans l’air une certaine fébrilité. Les membres de la chorale regardèrent un instant en direction du chalet. Avait-il l’intention de redonner une seconde chance à leur contre-alto ? Bientôt les gens vidèrent l’endroit pour se rendre vers les bungalows ou peut-être vers le restaurant. Il ne resta plus que Luc et monsieur de Mongeau, discutant des détails matériels du spectacle. Jean-Michel toussota pour attirer l’attention de sa mère .
retrait— Finalement, il a l’air sympa, le père de Philippe et Antoine. C’est drôle, je ne le voyais pas du tout comme cela.
retraitLe garçon venait de découvrir qu’il ne fallait pas porter de jugements sur les gens en se basant sur les ouï-dire et encore moins sur son expérience des jeux vidéo. Valérie en écoutant les paroles de son fils était bien d’accord avec lui. Elle s’était imaginé le monsieur à l’image de sa femme. En fait, il n’y avait aucun rapport entre les deux personnes. Madame de Mongeau avait sans doute épousé le compte en banque du monsieur plutôt que la personne.
retraitÀ l’arrivée d’Erwan, on se mit au travail. Ginette dirigeait les opérations . Jean-Michel embarquait avec enthousiasme dans le numéro. Il appréciait de plus en plus le caractère extraverti de la voisine. Erwan, lui n’y avait qu’un rôle passif et il se sentait plutôt gêné de devoir interagir avec des presque inconnus. Valérie enfin hésitait, se trompait de sens dans les pas et paniquait en pensant que dans moins de deux heures elle monterait sur la scène dans son habit de naissance. Elle savait que des femmes se produisaient ainsi dans certains quartiers chauds de Paris, mais elle n’avait jamais vu de tels spectacles, son caractère religieux l’en empêchant. Les spectateurs allaient-ils faire le lien ? Elle heurta sa voisine en se trompant de côté . Mais Ginette ne s’en formalisa pas. Au contraire ! Cela rajoutait un aspect comique à la chorégraphie. Lorsque le numéro fut au point, on s’attaqua aux éléments de décor. Ils en étaient rendus aux derniers préparatifs, lorsqu’apparut à la porte du chalet, la silhouette squelettique de monsieur Loupiot.
retraitLe chef de chorale paraissait encore plus maigre habillé que nu. Le col de son polo était bien trop grand pour son cou de poulet et il soulignait l’énorme pomme d’Adam du monsieur. Les épaules étaient si maigres que l’on avait l’impression qu’il avait oublié d’ôter le cintre du vêtement. Ginette le regardait tout en pensant qu’il avait meilleure allure dans sa tenue de naturiste.
retrait— Bonjour, mon ami. Je suppose que vous venez me relancer pour faire partie de votre chorale. Mais c’est trop tard ; je suis déjà engagé dans un numéro.
retrait— Mais vous pouvez participer à plus d’un numéro. Nous avons tellement besoin d’une voix comme la vôtre.
retrait— Oui, mais sans stimulant, je crains que...
retrait— Non, non. N’ayez aucune crainte. Connaissant votre point faible, j’ai tout prévu. Regardez.
retraitMonsieur Loupiot ricana en sortant de la poche de son pantalon une flasque qui devait contenir l’élixir capable de transformer Ginette en une superbe diva. Puis tout en jetant un œil suspicieux autour de lui, il la replaça dans sa cachette.
retrait— Nous ne la sortirons qu’au dernier moment. Alors ?
retrait— Eh bien, vous avez là un bon argument, mon cher ami. Mais il faudra que votre numéro passe après le nôtre pour ne pas trop perturber le spectacle.
retrait— Pas de problèmes. Je m’en vais avant que vous ne changiez d’idée. Ah si vous saviez comme vous me faites plaisir.
retraitEt il s’en alla en se frottant les mains. Jean-Michel regarda la voisine avec un petit sourire ironique dans la figure.
retrait— J’ai l’impression que le monsieur est amoureux de vous. Non ?retrait[color]Ginette fit un mouvement vers le garçon et se préparait à l’étrangler lorsque la porte s’ouvrit sur l’oncle Marcel qui avait entendu la réflexion de son neveu.
retrait— Tu ne saurais si bien dire mon ami. Notre Ginette est un bourreau des cœurs. Elle ensorcelle tous ceux qui se trouvent sur son passage. Mais je ne suis pas venu pour jouer les agences matrimoniales . La voiture a assez d’essence pour retourner à Paris. Enfin, j’espère. Avez-vous l’intention d’embarquer avec vos peintures de guerre ?
retrait— Comment ? Tu ne sais pas pour le spectacle.
retrait— Oui, je sais. C’était une blague. J’ai rencontré Luc et monsieur de Mongeau. D’ailleurs, je suis venu avec Marie-Josèphe. Elle voulait proposer à Valérie un numéro pour ce soir.
retraitLa cuisinière poussa sans ménagement l’oncle pour pénétrer dans le chalet.
retrait— En effet. Luc m’a convaincu. Nous utiliserons la ceinture de bananes pour le début, mais il a une surprise qui fera rire tout le monde. Allez ! Soyez sûr que votre pudeur sera protégée.
retraitLa jeune fille ne savait pas trop quoi répondre. De toute façon, elle devait monter sur scène pour le numéro avec Ginette et les deux garçons. Dire non lui était impossible et son expression favorite : « je ne dis pas oui » ne fonctionnait vraiment pas. Elle respira un grand coup et prononça les paroles que la cuisinière attendait.
retrait— Bon, d’accord. Pourquoi pas ?
retraitPuis, se tournant vers son fils, elle enveloppa de son bras les épaules du garçon, tout en lui souriant puis elle prit sa voisine par la taille et déclara.
retrait— On fait un drôle de trio tout de même. Nous en sommes à notre première expérience de nudité et nous voilà embarqués tous les trois dans un spectacle sur scène. C’est vraiment le monde à l’envers.
retraitMais les surprises ne s’arrêtaient pas là. Le camp naturiste était en effervescence. Alors que les précédentes années, les numéros se limitaient à des performances très travaillées durant tout l‘été, aujourd’hui tout le monde improvisait son numéro et cherchait à recruter les meilleurs éléments pour le réaliser. Même les enfants s’étaient mis de la partie. Alors que Valérie, Ginette et les deux garçons cheminaient vers le restaurant, une petite troupe menée par Camille leur bloqua le chemin. La petite fille procéda à la même tactique que précédemment : elle prit les jambes de Valérie pour lui faire entendre sa demande.
retrait— Dis, est-ce que tu veux bien chanter avec nous ce soir ?
retrait— Mais ma chérie, je vais déjà chanter dans deux numéros et je ne connais pas de chansons enfantines.
retrait— Ce n’est pas vrai. Toutes les mamans connaissent des chansons. Allez, dis oui.
retrait Valérie était gênée parce que c’était vrai qu’elle n’avait jamais chanté à Jean-Michel des comptines et sa mère à elle était trop versée dans la bible pour avoir chanté à sa fille autre chose que des psaumes. Ce fut Ginette qui trouva la solution .
retrait — Moi, j’en connais une : « Marlborough s’en va en guerre. » La connaissez-vous les enfants ?
retrait Toute la petite bande cria des oui retentissants. Camille lâcha Valérie pour se jeter dans les jambes de la voisine. L’enfant s’agrippa à la main de Ginette et tout en jetant un coup d’œil sévère à Valérie, elle déclara à sa nouvelle amie : « Toi, tu es une vraie maman . » Valérie n’en revenait tout simplement pas. « Ginette, dans le rôle de maman ! »
retrait — Tu vas chanter avec les enfants ? Tu n’as pas peur de bifurquer vers l’artilleur de Metz en plein spectacle.
retrait — Pas de crainte, ma chérie. Tant que je n’aurai pas pris mon petit remontant, je saurai me tenir. Allez, les enfants. On va aller faire une petite répétition. À tout à l’heure, ma chérie. Je vais jouer les mamans pour la première fois de ma vie.
retrait Et elle partit vers la prairie entourée d’une nuée d’enfants. Erwan qui n’avait pas encore dit un mot puisque son rôle était muet invita Jean-Michel à aller faire un tour à la piscine, mais celui-ci ne pouvait pas se baigner puisqu’il était recouvert de peintures, nécessaire selon Luc au numéro. En voyant Philippe et Antoine près du restaurant, il accepta tout de même de l’accompagner. Valérie se retrouva seule. Elle décida, puisqu’il lui restait une heure avant le spectacle de se renseigner sur son rôle dans le numéro de Marie-Josèphe. La cuisinière discutait avec Luc. Celui-ci vint vers elle. Il allait la toucher au bras, mais il se retint et recula même d’un pas.
retrait — Alors pas trop énervé Valérie ?
retrait — Non, pas énervé. Dans mon cas, le mot énervé serait un euphémisme. Ce serait plutôt de la panique chez moi. J’ai peur de mettre à mal votre belle organisation. Ce n’est sûrement pas avec moi que notre « Joséphine Baker » va remporter le premier prix .
retrait Luc revint vers elle et tapota son avant-bras pour la rassurer.
retrait — Si cela peut te tranquilliser, j’ai parlé à monsieur de Mongeau. Il n’y aura pas de prix comme les autres années. Ce soir, nous aurons une fête en famille. Chacun fera son numéro sans penser à autre chose qu’à se faire plaisir à soi-même d‘abord et aux autres ensuite. Allez ! Je vais te laisser avec ta partenaire. Hé ! Marie-Josèphe, peux-tu expliquer à notre amie votre numéro ?
retrait Il restait un peu plus d’une heure avant le début du spectacle, mais le temps parut filer plus vite aux yeux des participants. C’était l’anarchie totale autour de la scène. Chacun voulait sa répétition et l’on ne savait plus qui était qui dans le numéro. Heureusement, Luc et monsieur de Mongeau revinrent bien vite mettre de l’ordre. Le jeune homme décida que les artistes se placeraient dans les coulisses à la file indienne au pied des marches de la scène selon l‘ordre d‘apparition des numéros. Mais il fallut bien admettre que la quantité de monde dépassait la capacité des lieux. L’arrière-scène était remplie d’artistes alors que ce qui représentait la salle de spectacle était vide de spectateurs. Il n’y en avait que quatre : madame de Mongeau, qui malgré sa nudité, prenait des attitudes paternalistes de grande dame, ses deux fils qui s’excitaient mutuellement en attendant de voir les numéros pour mieux les siffler et la directrice du camp enfin qui gardait sur son visage un rictus de mépris profond pour l‘anarchie du moment. Elle ne décolérait pas de s’être fait réprimander par le mari de madame de Mongeau alors que celui-ci n’était même pas dans le conseil d’administration du camp. Mais il lui fut dur d’admettre tout de même que sans lui et son argent, elle n’aurait pas de salaire. Elle se rapprocha de madame de Mongeau en se disant qu’elle était la seule personne sensée au milieu de ces hystériques. Elle avait bien besoin de se justifier.
retrait— Vous savez bien que je n’ai fait qu’appliquer les règlements. Ce jeune homme et cette fille, arrivée de nulle part qui font des choses que la... (elle allait dire nature, mais comprit que le mot n’était pas dans les circonstances le bon) que la morale réprouve. Et puis l’autre, là qui boit. Ah, je ne l’aurais pas cru de monsieur Loupiot, un homme si bien de sa personne, engager une... (elle aurait voulu dire lesbienne, mais elle avait entendu des rumeurs sur madame de Mongeau) vous savez quoi et qui nous chante des paillardises. Et l’autre là, le cuisinier, un verre n’attend pas l’autre, on connaît la réputation des Bretons, n’est-ce pas, marié à une personne de couleur en plus, franchement, qu’est-ce que l’on peut attendre d’un monde pareil. Elle a bien essayé de vous attirer des ennuis avec son négrillon de fils. Mais heureusement, je vous ai soutenu, moi madame, j’ai un droit de vote. C’est grâce à moi que vous...
retraitOui, oui, je le sais ma chère . Mais que voulez-vous, le monde est ainsi fait...
ppppp— Savez-vous madame. Je vais vous le dire : le monde est à l’envers.
Dernière modification par roger le 28 juil. 2018, 00:49, modifié 5 fois.
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Arkayn
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Re: Histoire de Roger : Le monde à l'envers

Message par Arkayn »

J'ai vu ton problème, Roger.

Tu as juste oublié le / dans [color] ce qui donnerait [/color]. Là, tu n'aurais plus de soucis.
La vitesse de la lumière étant supérieure à celle du son, certains brillent en société... jusqu'à ce qu'ils l'ouvrent !
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roger
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Re: Histoire de Roger : Le monde à l'envers

Message par roger »

Merci Arkain, c'est exactement cela. Il manquait ce petit signe et tout était chamboulé. Je pense avoir corrigé tout sauf un endroit où il y a encore un petit espace blanc, mais cela ne se voit pas trop. Amiel a corrigé toutes les autres erreurs. Merci beaucoup Amiel. C'était un travail de moine que tu as fait là. Hier au soir, j'étais très en colère car j'avais eu une grosse journée et l'orage a éclaté au-dessus de Paris. Ce matin il fait plus frais. Je serais bientôt de retour à Montréal. J'ai bien hâte.
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roger
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Re: Histoire de Roger : Le monde à l'envers

Message par roger »

LE MONDE A L’ENVERS
de
Roger Schaëffer
CHAPITRE 18

retrait La directrice ne put continuer ses récriminations. Luc était monté sur scène.

retrait— Bon, les amis, comme je l’ai dit tantôt. Il s’agit ce soir d’une fête familiale et communautaire. Chacun va présenter un numéro ou presque (il regarda madame de Mongeau et comprit qu’elle ne monterait pas sur scène ce soir). Je vais donc vous demander de retourner vous asseoir. Nous vous appellerons chacun à votre tour. Allez, que la fête commence.

retraitIl alla s’asseoir au piano et joua, accompagné par l’accordéon de Yannick, un morceau qui ressemblait aux airs que l’on jouait habituellement dans les cirques. Il ne fallait pas être trop grand mélomane pour apprécier cette adaptation. Le manque de cuivres donnait une drôle d’allure au morceau, mais comme il venait de le dire, c’était une fête familiale. Pendant ce temps, les artistes se transformaient en spectateurs en allant s’installer à l’avant de la scène. Jean-Michel prudent préféra se tenir debout près du rideau rouge. Ginette prit place auprès de Philippe et Antoine dans les premières rangées de la salle. Elle avait une invitation à leur faire.

retrait— Dites donc les enfants, cela ne vous plairait pas de venir chanter avec nous ? Vous connaissez sûrement « Marlborough s’en va en guerre », non ?

retraitÀ voir la tête qu’ils firent, cela ne devait pas être dans leur projet. « À quoi tu penses, vieille folle ? On n’est pas des bébés, » semblait vouloir dire leurs yeux ahuris. Pourtant, ils n’eurent pas le choix lorsque Luc, arrêtant de jouer annonça :

retrait— Bon, comme premier numéro, nous avons une toute nouvelle formation chorale, menée par la petite fille de mon amie Flavie. Je veux parler de Camille. Allez, Camille, invite tous les enfants à se joindre à toi. Allez, les enfants ! J’ai dit tous les enfants. Bon, comme Camille, à six ans, est une experte du chant choral, elle a tenu à s’associer avec une adulte qui a de la voix, une toute nouvelle naturiste, je veux parler de Ginette. Voici donc la chorale des enfants dans leur première prestation.

retraitLa petite fille n’hésita pas. Elle sauta plutôt qu’elle monta sur la scène. Le club naturiste de Lutèce applaudissait à tout rompre leur plus jeune membre. Flavie, la grand-mère avait la larme à l’œil de voir sa petite fille si dynamique. Celle-ci rameutait tous les enfants et les petits De Mongeau furent obligés de suivre la petite troupe. Comme ils étaient les plus grands, ils durent se tenir en arrière auprès de Jean-Michel et Erwan. Luc invita Camille à présenter la chanson. Mais le silence de la salle la paralysa et elle regarda Ginette avec des yeux suppliants. Cette dernière dut prendre le relais.

retrait— Eh bien, voilà, notre première idée était de vous chanter « L’artilleur de Metz », mais les enfants ne connaissaient pas les paroles et surtout (elle jeta un coup d’œil à la directrice), nous devions nous conformer aux règlements, alors, nous allons vous interpréter l’histoire d’un jeune page qui aime secrètement une jeune veuve. Euh non, ce n’est pas cela. Enfin ! Voici « Marlborough s’en va en guerre . ». Non c’est vrai, il en revient ou plutôt non il n’en revient pas. Allez, Luc met toi au piano. Je suis perdu dans cette histoire.

retraitÀ cause du peu de temps qu’elle avait eu pour préparer sa jeune troupe de chanteurs, il n’avait pas été question pour Ginette de construire le décor de son enfance. Elle se souvenait du cercueil en carton dans lequel elle avait représenté monsieur de Marlborough. Par contre, elle avait insisté pour que les rôles du page et de madame soient chantés par des solos. Elle proposa donc à Camille de faire le page, mais celle-ci refusa tout net.

retrait— Je suis une fille. Si je peux pas faire le petit Jésus dans la crèche, je ne ferai pas le page. Na !

retraitGinette avait donc pris le rôle de page avec sa grosse voix de contre-alto, ce qui fit rire toute la salle puis elle manqua de provoquer des infarctus chez les vieilles dames lorsque le chœur chanta « Elle voit venir son page, tout de noir habillé ». En effet Ginette s’autorisa une grimace de doute, vu qu’elle était recouverte de taches de peinture de toutes les couleurs. Seule madame de Mongeau ne la trouva pas drôle.

retraitDe son côté, la petite Camille montra qu’elle avait de l’énergie et du talent en improvisant toute une mise en scène dans son rôle de madame de Marlborough. Par exemple, elle descendit et remonta les marches de la scène pour représenter « Madame à sa tour monte. » Elle plaça sa main au-dessus de ses yeux et scruta toute la salle pour voir venir son page et surtout elle mit un accent de supplications qui fit rire toute la salle quand elle s’adressa à Ginette. Cette dernière ne manqua pas de la prendre dans ses bras et de l’embrasser à la fin de la comptine sous les applaudissements de toute la salle.

retraitLe numéro suivant était celui qui demandait justement les fameuses taches de peinture. On vit apparaître sur scène Ginette, Jean-Michel et Valérie, affublés de pagnes en raphia et leur tête ornée de plumes prises sur des coiffures indiennes pour enfants. Tout le monde fit le rapprochement avec les chorégraphies savantes de madame de Mongeau. Celle-ci ne fut pas dupe et préféra s’éclipser de la salle. Elle ordonna à ses enfants de la suivre. Mais ceux-ci eurent du mal à lui obéir, car ils commençaient à prendre goût au spectacle. Luc, au piano, accompagné par Yannick à l’accordéon et Marie-Josèphe jouant du tambour sur un seau se mirent à jouer l’air d’une autre chanson pour enfants : « Ah les crocro, les crocodiles ». Ginette, Valérie et Jean-Michel dansaient tout en mimant les paroles de la chanson autour d’une boîte en carton représentant une grosse marmite, dans lequel Erwan habillé d’une soutane représentait le missionnaire en train de servir de repas . Le numéro eut beaucoup de succès, car plusieurs en connaissaient les paroles. Il se termina sous un tonnerre d’applaudissements.

retraitLe numéro suivant était une mini pièce de théâtre, jouée par le club naturiste de Lutèce. Les vieilles dames avaient réussi à convaincre la pauvre Constance qu’une crèche vivante n’était pas ce qu’il y avait de plus... vivant à jouer. On adapta donc une histoire drôle de pêcheur sans permis pris par un garde-chasse en flagrant délit. Le fautif persuade l’agent qu’il ne pêche pas, mais qu’il apprend à nager à son ver de terre. L’agent verbalise alors le pêcheur pour grossière indécence puisque le ver ne porte pas de maillot. Les vieilles dames furent surtout applaudies principalement par les enfants qui trouvaient l’histoire à leur niveau et par les adultes qui eux souriaient de voir de vieilles dames nues jouer une telle farce : Flavie, la grand-mère de Camille, s’était affublée d’un vieux chapeau de pêcheur et surtout d’une fausse moustache qui contrastait avec sa poitrine opulente.
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roger
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Re: Histoire de Roger : Le monde à l'envers

Message par roger »

retrait Valérie, Ginette et Jean-Michel en profitèrent pour aller enfin prendre leur douche. Il commençait à faire nuit et Valérie, malgré la présence des deux autres, n’était pas très rassurée. Il était incroyable qu’elle se trouvât nue sur un chemin forestier sans qu’un prédateur quelconque se présente pour les attaquer. Ginette, elle aussi, se tenait coite tout en regardant les bas-côtés de la route. Jean-Michel, au contraire, parlait continuellement, comme s’il avait voulu briser le silence oppressant. On entendait des frôlements de branchages et les deux femmes se serraient l’une contre l’autre. À un moment donné, Jean-Michel changea le ton de sa voix ; il hâta le pas, ramassa un long bâton à terre et se retourna tranquillement vers sa mère et la voisine pour leur adresser un clin d’œil. Elles s’arrêtèrent. Le garçon se retourna alors brusquement vers un arbre et tout en pointant son bâton comme s’il visait la cime avec un fusil, il poussa un cri : « Pan, Pan, t‘es mort. » Deux silhouettes qui se préparaient à sauter tombèrent au pied de l’arbre. C’était Philippe et Antoine. La surprise avait été totale. Ils pensaient faire peur aux deux femmes et à leur ancien copain en se laissant tomber derrière eux sur le chemin et c’était finalement eux qui, paralysés par la surprise, avaient lâché la branche sur laquelle ils se tenaient. Vexés, ils se relevèrent et repartirent en maugréant des menaces à l’endroit de Jean-Michel. Celui-ci souffla sur le bout du bâton comme il avait vu le faire par des cowboys sur le bout de leur fusil et il continua avec sa mère et la voisine en direction des douches.

retraitÀ partir de ce moment, l’atmosphère changea. Jean-Michel entonna la chanson apprise la veille dans la voiture : « Oh Ursule ». Sa mère suivit et Ginette, pas très sûre des paroles, se força pour suivre le rythme au moment du refrain. La peur avait disparu et les trois ne manquèrent pas de chahuter sous les douches. Jean-Michel arrosa sa mère et Ginette en déviant le jet d’eau. La voisine prit le garçon à bras le corps pour le maintenir sous la douche. Puis il s’échappa et chercha à pousser sa mère dans les bras de Ginette. Mais celle-ci hésita et le calme revint peu à peu. Les taches de peinture disparurent peu à peu et il fallut reprendre le chemin du restaurant. Ce fut Valérie qui sonna la fin de la récréation.
retrait— Eh, vous oubliez que nous avons un numéro. Toi, Ginette avec la chorale et moi avec Marie-Josèphe. Je suis paniquée juste d’y penser. Au moins avec les crocodiles on avait un semblant de déguisement. Enfin !

retraitLe retour se fit au pas de course. En passant devant l’arbre où se cachaient les petits de Mongeau, chacun alla d’une réflexion sur l’épisode. Ginette loua le talent de chasseur de Jean-Michel, Valérie son don d’observation.

retrait— Je n’avais rien vu. Heureusement que tu étais là, mon chéri. N’est-ce pas Ginette ?

retrait— Ah, je dois avouer que des fois, nous les pauvres femmes fragiles. On a besoin d’un homme pour nous protéger.

retraitLes deux femmes éclatèrent de rire. Même s’il devinait un sous-entendu comique sous les propos de la voisine, Jean-Michel ressentait de la fierté d’être considéré comme un homme. C’était mieux que son jeu vidéo « Four Crime ».

retraitÀ leur arrivée à la salle, ils s’inquiétèrent ; la musique ne jouait plus. Les attendait-on pour la suite du spectacle ? Non, monsieur de Mongeau avait décidé de servir une partie de son buffet du lendemain le soir même et ainsi créer une ambiance encore plus festive à la soirée. Tout le monde se proposa de l’assister. Marie-Josèphe concocta un punch créole avec les moyens du bord. Jean-Michel voulut l’aider en apportant les bananes qu’il avait trouvées à l’arrière-scène. Heureusement. Erwan était avec lui pour l’en empêcher, car il savait le rôle de ce fruit dans le numéro de sa mère . Le punch ne serait pas aussi alcoolisé que prévu puisque son mari avait puisé dans la réserve de rhum pour mettre en forme Ginette. Mais ce n’était pas grave. Les autres années, l’alcool aidait les spectateurs à se détendre devant les numéros un peu guindés qu’on leur présentait. Ce soir, ce n’était pas nécessaire. Luc et l’oncle Marcel apportaient les plats tandis que monsieur de Mongeau les disposait sur la table. Les enfants couraient dans toute la salle et Camille en particulier s’inquiétait auprès des vieilles dames à propos de sa prestation. Comme il ne s’agissait pas de concourir, Luc demanda à l’un des numéros prévus d’agrémenter le buffet. Il s’agissait d’un quatuor de musique classique . Valérie, tout en grignotant un sandwich au foie gras, envia la violoncelliste qui cachait son corps derrière son instrument. Puis ce fut la fin de l’intermède.

retraitChacun reprit sa place et Luc monta sur scène pour présenter le prochain numéro. Comme le rideau de scène était fermé, il invita Marie-Josèphe et Valérie à le rejoindre. La cuisinière en profita pour attacher la ceinture de bananes autour de sa taille. Luc donna ses dernières instructions à Valérie.

retrait— Bon, comme te l’a expliqué Marie-Josèphe, pour la première chanson, tu es au piano. Je te ferai signe lorsque le moment sera venu pour rejoindre ta partenaire sur le devant de la scène. C’est moi qui te remplacerai au piano. Tu sais ce que tu dois faire, la chanson que vous entonnez à ce moment-là. Les spectateurs vont aimer cela, tu vas voir. Ils vont avoir des surprises, mais toi aussi. On ne t’a pas tout dit. Allez ! Détends-toi. Ne sois pas nerveuse.

retraitLe problème, c’est que la jeune fille sentait l’angoisse, la panique la submerger. Dans quelques minutes, elle allait se retrouver sur le devant de la scène surélevée, toute nue et même si elle venait de passer la journée en naturiste, elle n’arrivait pas à s’y habituer, d’autant plus que là, des dizaines d’yeux seraient braqués sur elle. Elle tremblait et regrettait de ne pas avoir suivi l’exemple de Ginette en prenant un petit alcool. Mais il était trop tard. Luc comprit qu’il devait agir pour calmer la jeune fille.

retrait— Attends un moment.

retraitIl se rapprocha de Valérie, posa ses mains sur ses épaules et leurs deux corps enlacés, il s’empara de ses lèvres. La jeune fille sentit alors un frisson parcourir tout son être, une douce chaleur la pénétrer. Elle répondit au baiser du garçon et put ainsi retrouver un peu de confiance.

retraitMais ils n’avaient pas prévu une chose improbable, l’ouverture inopinée du rideau de scène.
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roger
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Re: Histoire de Roger : Le monde à l'envers

Message par roger »

retraitToute la salle assista à l’étreinte des deux jeunes gens et la surprise les tint enlacés quelques secondes devant des dizaines de paires d’yeux. Luc se tourna vers les coulisses pour voir disparaître Philippe et Antoine, les responsables de la blague. Les deux jeunes gens n’eurent pas le temps de s’écarter l’un de l’autre qu’un tonnerre d’applaudissements se déclencha dans la salle. Les spectateurs les regardaient avec des airs de contentements et d‘approbations. Seule la directrice gardait un rictus de profond dégoût. Elle préféra s’enfuir.
retraitLe jeune homme, reprenant ses esprits, conduisit Valérie au piano. Puis il revint sur le devant de la scène.
retrait— Bon, je crois que vous avez assisté aux dernières recommandations que je faisais à notre pianiste. Hum ! Disons que ce n’était pas prévu. Je faisais mon possible pour qu’elle se détende. Une façon comme une autre . Non ? Enfin ! Maintenant que j’ai repris mes esprits, laissez-moi vous présenter notre prochain numéro. Pour les saisonniers et les habitués du camp, nous savons tous le profond amour qui unit notre cuisinière à son mari même si parfois cela se traduit par... enfin ! (Luc leva les yeux au ciel et lança un petit sourire à la cuisinière en coulisses). Plusieurs d’entre nous avons eu le privilège d’entendre la voix de celle-ci chanter dans sa cuisine des chansons d’amour que nous aurions presque voulu voir servies en même temps que nos plats préférés. Mais aujourd’hui, Marie-Josèphe a bien voulu nous faire partager sa passion pour Joséphine Baker. Donc sans plus tarder, voici une version bien particulière de la grande chanteuse.
retraitIl fit un pas de retrait, mais se ravisa.
retrait— Ah oui ! J’oubliais. J’ai intercalé dans son répertoire d’autres chanteurs que vous apprécierez sûrement. Allez place au spectacle.
retraitLuc, encore rouge de gêne alla s’accouder sur le piano. Il regarda Valérie qui ne semblait pas du tout détendue comme il venait de le déclarer aux spectateurs. C’était tout le contraire. Elle examinait la partition en se demandant comment interpréter le morceau. On était loin des psaumes qu’elle avait eu l’habitude de jouer au temple de Mobrac dans sa jeunesse. Elle allait devoir mettre un peu plus de rythme et moins de solennité dans son jeu. Puis soudain, elle respira mieux. Yannick, le mari de Marie-Josèphe venait de s’asseoir avec son accordéon sur ses genoux. Ensuite, ce fut Erwan, le fils qui vint s’ajouter à l’équipe. Il coinça entre ses cuisses un djembé qui allait permettre à Valérie de suivre le tempo. Et l’étonnement fut encore plus grand lorsque son oncle monta sur scène en apportant un xylophone. Il lui fit un clin d’œil pour la rassurer. Luc frappa trois petits coups et l’orchestre improvisé se mit à jouer.
retraitSous l’impulsion de la musique, Marie-Josèphe se projeta brusquement sur le devant de la scène comme si elle avait été un diable sortant de sa boîte à ressort. La surprise fut totale pour l’ensemble des spectateurs. Harnachée de sa ceinture de bananes, coiffée d’un bonnet agrémenté de strass, elle dansa quelques mesures de charleston pour rappeler la fameuse danse de « La Revue Nègre ». C’était tout un spectacle de voir notre imposante cuisinière reproduire les mouvements plutôt complexes de cette danse. On était loin de la silhouette mince de la vraie Joséphine et pourtant, elle produisait une excitation telle aux spectateurs que la musique fut très vite enterrée par les applaudissements.
retraitMarie-Josèphe, très vite essoufflée par son poids, savait très bien qu’elle ne pourrait tenir le rythme très longtemps ; elle fit un petit geste de la main en direction de l’orchestre qui enchaîna sur une chanson fétiche de la chanteuse : la petite Tonkinoise. Les applaudissements redoublèrent, surtout du côté des messieurs dans la salle. La danseuse savait non seulement produire des mouvements propres à exciter, mais elle accompagnait les paroles de la chanson par des clins d’œil à son public masculin.
retraitMais ce qu’avait prévu Luc arriva soudainement. Les déhanchements continuels de la cuisinière provoquèrent la chute de la ceinture de bananes sur le plancher. Marie-Josèphe, qui grâce aux conseils du jeune homme avait prévu la scène, prit un faciès scandalisé, la bouche en rond, les yeux grands ouverts et surtout les mains cachant son pubis. Toute la salle croula sous une tempête de rires, le temps que Luc arrive et lui rattache une autre ceinture, faite cette fois-ci avec des fruits de toutes sortes, mais en plastique et surtout beaucoup plus légers que les bananes puisqu’ils étaient creux. Comme l’incident s’était produit sur les derniers mots de la chanson, on amorça un nouvel air. Marie-Josèphe était accompagnée de Valérie, toute rouge de honte, elle aussi équipée d’une ceinture de fruits en plastique. La jeune fille n’était pas très sûre des paroles de la chanson et comme elle ne faisait pas partie non plus du répertoire de la cuisinière, elles hésitèrent au tout début. Heureusement, Luc avait prévu la chose. C’est Marcel qui lui avait suggéré de l’intégrer au spectacle : il s’agissait de la chanson « Salade de fruits, jolie jolie » chantée autrefois par Bourvil. Elle convenait parfaitement à la diversité des fruits de la ceinture. L’oncle en connaissait les paroles et lâchant le xylophone, il vint épauler les deux femmes. Prenant les deux femmes par les épaules, il les serra près de lui et commença à leur chantonner la chanson en prenant un air de confidence comme s’il s’adressait spécialement à elles. La salle tout entière fut émue par la gentillesse du numéro. On entendit même des reniflements dans le coin du club naturiste de Lutèce. Mais la plus belle surprise eut lieu à la toute fin de la chanson. Marcel n’avait pas prévu cela. La petite Camille subjuguée par le romantisme de l’air s’était approchée de la scène. Marcel lâchant Marie-Josèphe et Valérie se pencha alors vers l’enfant ; il la prit dans ses bras pour lui chanter les dernières paroles.
Au fond de ma paillote au bord de l´eau
Le palmier qui bouge c´est un petit berceau

Salade de fruits, jolie, jolie, jolie
Tu plais à ton père, tu plais à ta mère
Salade de fruits, jolie, jolie, jolie
C´est toi le fruit de nos amours !
Bonjour petite !
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