Histoire de Roger : JE VEUX MA MAMAN

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Cor
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Re: Histoire de Roger : JE VEUX MA MAMAN

Message par Cor »

J'espère que cela ne vous offusque pas que je me suis permis de réviser la mise-en-page pour qu'elle soit conforme aux autres chapitres ? :innocent:
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roger
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Re: Histoire de Roger : JE VEUX MA MAMAN

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JE VEUX MA MAMAN
Par Roger SCHAEFFER
-CHAP.23-




retrait — Continuons jusqu’au chalet. Au moins vous pourrez vous sécher. Demain Arthur ramènera les pièces au garage et vous, vous retrouverez vos vêtements même si je trouve que les affaires de François vous vont comme un gant.

retrait Durant le trajet Sophie pensa qu’elle pourrait tout aussi bien ne pas porter de vêtements du tout puisque les trois adultes et les cinq enfants ne paraissaient pas tenir à un code vestimentaire très rigoureux. Mais ce soir, ils devaient organiser une fête de bienvenue à la jeune fille. Ce serait plus décent qu’elle soit habillée pour la circonstance. En arrivant Philippe la laissa dans l’allée en lui réitérant l’invitation. Il lui suffirait à la brunante de longer la petite plage et de s’engager par le chemin au bord de l’eau. Sophie esquissa un sourire en entendant le mot brunante. Il voulait dire chute du jour ici au Québec, mais il exprimait un passage plus doux du temps qui passe. En ouvrant le portail du chalet, elle lui envoya la main en signe d’acquiescement.

retrait Même si Sophie n’avait pas encore pris le temps de visiter sa propriété, elle trouva facilement près de la cuisine une petite salle d’eau. Elle se déshabilla, enfourna ses vêtements dans la sécheuse puis remonta l’escalier vers sa chambre pour prendre une douche bien chaude. La veille, elle avait parcouru le chemin inverse, drapée dans une grande serviette de bain, toute rougissante. Aujourd’hui elle sautillait de joie à la seule pensée qu’on était nettement plus confortable nue que dans des vêtements mouillés. Elle hésita un instant : son déjeuner du matin était loin, il était plus de deux heures de l’après-midi. Mais la douche s’imposait en premier lieu.

retrait Madame Dumais avait regarni la salle de bain avec des serviettes toutes propres. Elle y avait ajouté un peignoir... à la taille de la jeune fille. Sophie s’installa sous la douche. L’eau ruisselant sur son corps lui rappela l’épisode de l’orage et la pensée du jeune homme l’embrassant la fit réagir. Elle eut beau couper l’eau chaude : elle n’arriva pas à réguler ses sens. Il lui fallut sortir de la douche. S’enveloppant dans le peignoir, elle alla s’étendre sur le grand lit de la chambre pour reprendre son calme . Peu à peu son cœur reprit un rythme régulier . La douceur du peignoir, le silence de la maison eurent raison de la fatigue accumulée par le voyage de la veille et des émotions de la journée. Elle s’endormit sans plus penser à sa faim.

retrait Comme la veille un grincement de porte la fit sortir légèrement du sommeil. En entrouvrant les yeux, elle réalisa que plusieurs heures s’étaient écoulées : la chambre était plongée dans la noirceur. Elle entendit des pas dans l’escalier. Était-ce Philippe ? Ne la voyant pas, il avait peut-être décidé de venir la chercher. Son espoir fut déçu. La porte de la chambre s’ouvrit sous les efforts de son petit prince de la veille, Rémi. Mais cette fois il n’était pas tout à fait nu : Il portait sur la tête une couronne de papier colorée et autour du cou un collier de fleurs artificielles . Il tenait à la main une canne en bois qui le dépassait d’une tête. Elle sourit intérieurement et referma les yeux. Rémi s’approcha à pas lents du lit. D’autres bruits proches de la porte permirent à Sophie de deviner qu‘il n‘était pas seul. Elle entendit une voix qu’elle reconnut pour être celle de Christelle.

retrait — C’est la belle au bois dormant, Rémi. Le prince charmant lui donne un baiser pour la réveiller.

retrait Tout comme la veille, l’enfant s’approcha du lit, l’escalada et se colla à la jeune fille pour lui déposer un baiser sonore sur les deux joues. Sophie ouvrit les yeux et lui accorda le plus radieux des sourires avant de l’embrasser et de l’envelopper de ses bras. Les autres enfants entouraient le lit et applaudirent « l’exploit » de Rémi. Christelle, Jean-Louis et même le jumeau Éric étaient décorés de la même couronne et du même collier que le petit garçon. Ils avaient tous une canne avec des rubans de couleurs attachés au pommeau. Sophie sourit devant le spectacle : ils formaient une délégation venue la chercher pour la fête. Sans doute une charmante attention de la part de madame Dumais.

retrait Elle se leva, les enfants l’entourant pour lui faire une escorte. En bas de l’escalier, ils retrouvèrent François qui les attendait. Cela lui rappela les vêtements de l’adolescent dans la sécheuse. Devait-elle les prendre ? Mais François lui donna la réponse en garnissant son cou, ses bras et ses chevilles de guirlandes ou de bracelets de fleurs artificielles qui sans vraiment la vêtir et surtout sans cacher « les parties intimes » (l’expression de sa mère) lui donnait l’impression d’être un arbre de Noël. Puis le garçon prit la direction de la véranda en faisant signe à sa troupe de le suivre : les deux jumeaux tinrent la main de Sophie ; Christelle et Jean-Louis, fermant la marche, s’arrêtèrent à l’extérieur pour allumer une torche électrique puis la troupe se dirigea vers la plage.

retrait Sophie était très excitée. Les enfants et les Dumais avaient sans doute passé leur journée à fabriquer ces couronnes, ces guirlandes et ceci, pour souhaiter tout simplement la bienvenue à la jeune fille. Philippe était-il dans la confidence ? Non puisque la randonnée à Mont-Laurier n’était pas prévu le matin même. Elle sourit à la pensée du baiser au milieu de l’orage. Heureusement la réaction du jeune homme démontrait que l’escorte de ce soir n’était pas une marche nuptiale . Depuis le début de sa puberté, Sophie avait ressenti très fort l’appel de la nature. Sans doute la pudibonderie de sa mère et l’absence d’une présence masculine avaient exacerbé les sens de la jeune fille. Elle interprétait les moindres regards, rougissant au moindre mot équivoque . Le pire, c’est qu’elle fantasmait à la vue des catalogues de ventes par correspondance. C’en était ridicule, elle le savait, mais son éducation puritaine en était la cause. Et ce soir, après avoir découvert que son corps et celui des autres n’étaient qu’un élément de la nature parmi tant d‘autres, toutes ses appréhensions s‘étaient évanouies.

retrait Mais l’idée d’une quelconque marche nuptiale s’éloigna totalement de son esprit lorsque, venant de partout, des profondeurs du boisé ou de la surface du lac, des bruits inquiétants commencèrent à peupler l’environnement. Ce fut tout d’abord des bruits sourds de tam-tam venant du lac qui lui rappelèrent les avertissements du notaire. Elle ne se souvenait plus si il lui avait indiqué des amérindiens dans cette région. Elle scruta la surface de l‘eau. Les battements de tam-tams venaient de derrière la pointe de rocher, celle qui fermait la plage sur la gauche. Son escorte ne semblait pas en faire de cas. François continuait sereinement à diriger le groupe vers ce côté du terrain, vers ce qui devait être la maison de Philippe et des enfants. Mais Sophie commença à être inquiète lorsqu’ils entrèrent dans le sous-bois. Là, elle se souvenait très bien des avertissements du notaire : il y avait des ours noirs dans les Laurentides. La seule chose qui la retenait de fuir vers chez elle, était l’apparente tranquillité des enfants : ils continuaient d’avancer sans hésitation. Les deux jumeaux cependant commencèrent à serrer les mains de Sophie avec plus d’intensité. Ils étaient moins assurés que leurs frères et sœur. Des branches d’arbres craquaient dans les parties les plus sombres de la forêt. Des lueurs s’allumèrent furtivement pour disparaître aussitôt.

retrait Et puis soudain, au détour du sentier, elle vit très loin, dans ce qui devait être une clairière, un immense feu qui lui rappela les feux de la Saint-Jean que la municipalité allumait chez elle au solstice d‘été. Cette lumière au bout du sentier la rasséréna. Elle aurait voulu accélérer le rythme de ses pas, mais son cortège ne voulut pas en entendre parler. Ils marchaient toujours de ce même pas cérémonieux, frappant à chaque pas leur bâton de marche. Sophie avait de plus en plus l’impression d’être mené au bûcher, ce qui la fit sourire, vu la gentillesse de ces enfants. Puis l’inquiétude reprit lorsqu’ils eurent dépassé la pointe du rocher.

retrait Sur le lac, dix longues pirogues se dirigeaient à coup de pagaies vers la rive. Chacune d’entre elles transportaient, deux pagayeurs assis et trois ou quatre silhouettes debout porteuses des tams-tams que l’on entendait résonner à la surface du lac. Se détachant sur le ciel nocturne, les silhouettes étaient parées de plumes qui augmentèrent l’inquiétude de la jeune fille. Si ce n’avait été du calme permanent de son escorte, Sophie serait repartie en courant vers le chalet.

retrait Les embarcations approchaient de la rive en avant du sentier que la petite troupe parcourait. Elles devaient avoir pour objectif d’atteindre le feu un peu plus loin. La pirogue la plus proche de l’escorte était assez visible pour que Sophie puisse deviner dans la pénombre que les silhouettes humaines debout au centre de la pirogue portaient des peintures sur tout le corps et qu’aucun tissu n’enserrait leur taille : était-ce une tribu amérindienne de la région ? La nudité était-elle une chose normale pour eux ? Sophie se demanda alors si ses nouveaux amis n’étaient pas eux-mêmes des amérindiens. Pourtant si madame Dumais avec son teint cuivré, ses nattes et ses yeux en amande pouvait y prétendre, son mari avait tout de l’occidental. Quant à Philippe et ses enfants, ils ne pouvaient prétendre à un tel statut. Mais la réflexion de Sophie fut distraite par de nouvelles inquiétudes : les craquements de branches dans le boisé s’étaient amplifiés et les lumières furtives se multipliaient au fur et à mesure que l’on approchait du grand feu. Des chuchotements à l’arrière de son escorte lui fit tourner un instant la tête : une dizaine d’enfants, tous aussi nus et peinturlurés que ceux des pirogues les suivaient à peu de distances.

retrait Sophie fronça les sourcils : qui étaient tous ces enfants ? Des voisins ? C’était improbable. Il y aurait eu des adultes, leurs parents. Elle sourit à la pensée que Philippe aurait pu être le père de tous ces enfants. Il en avait déjà cinq et c’était déjà incroyable pour quelqu’un d’aussi jeune.

retrait Ils arrivèrent finalement au bout du chemin. Le feu avait été allumé sur le bord du lac et non dans une clairière, comme l’avait crue Sophie. Les canoës avaient accosté sur la plage et les « amérindiens » débarqués se tenaient tout autour du feu, une soixantaine d’enfants qui, à part leurs plumes et leurs peintures sur le corps, avaient tous la même allure que les enfants de Philippe. Mais ce qui surprit le plus encore la jeune fille, c’est lorsqu’elle tourna la tête vers la gauche. Pensant découvrir la maison de Philippe, ce fut un tout autre spectacle qui lui apparut. Au lieu de la simple maison attendue, elle découvrit une longue palissade faite de troncs d’arbres. Face au lac, un grand portail ouvert permettait d’apercevoir un espace assez vaste pour y loger sept ou huit cabanes qui faisaient cercle autour d’une place ornée d’un immense totem sculpté. Elle n’en revenait pas. Elle se rappelait avoir vu la reproduction d’un village amérindien semblable en lisant dans l’avion le journal de voyages de l’explorateur Jacques Cartier. Ce livre lui avait été offert par son oncle bien des années avant . Alors qu’elle s’étonnait de tout ce spectacle, les enfants venant de la forêt s’étaient également regroupés tout autour de l’escorte de la jeune fille. Les lueurs du feu montraient Sophie entourée par un groupe d’une centaine d’enfants peinturlurés et surtout aussi nus qu’elle l’était, ce qui la soulagea. Mais les surprises n’étaient pas terminées.
(à suivre)
P.s. pas de problèmes Cor , du moment que le texte lui-même ne soit pas changé et corresponde avec l'original.
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roger
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JE VEUX MA MAMAN
Par Roger SCHAEFFER

-CHAP.24-

retrait Une sonnerie de clairon interrompit soudainement les tam-tams. Toute la troupe d’enfants se tourna vers le grand portail. Une escorte semblable à la sienne apparut alors. Elle entourait cinq ou six adultes parmi lesquels elle reconnut monsieur et madame Dumais ainsi bien sûr que Philippe. La jeune fille respira d’aise : elle retrouvait au moins un peu de connu même si beaucoup de questions trottaient dans sa tête. Les autres adultes devaient avoir dans la vingtaine. La petite troupe s’approcha du feu. Ils arboraient tous un grand sourire qui exprimaient la joie d’accueillir la jeune fille. Puis lorsque les deux escortes se furent soudées l’une à l’autre, les enfants s’écartèrent et Philippe rejoignit Sophie. Il était nu, mais elle commençait après toute cette journée à s’y habituer. D’une main il portait un bâton sculpté et de l’autre un rouleau de papier qui faisait penser à un parchemin. Il leva la main pour demander le silence.

retrait — Ma chère Sophie, nous savions que la surprise ne serait pas aussi grande que nous l’aurions voulu. J’avais communiqué avec Maître Matthieu, votre notaire de Montréal, pour lui demander de nous réserver l’annonce de tout ceci, mais en bon homme de loi, il m’a répondu qu’il ne pouvait vous cacher les détails du testament. Il se devait de vous faire signer tous les papiers légaux et de vous transmettre le dossier dans son intégralité.

retrait Sophie fronçait les sourcils. « De quels papiers était-il question ? » Elle se souvenait d’en avoir signé chez le notaire des dizaines sans les lire et en écoutant distraitement les commentaires faits sur chacun d‘eux. Chaque propriété de son oncle devait être transmise par un acte légal indépendant. Elle se rappelait bien que le notaire lui avait parlé du « chalet » comme de « la perle de son héritage ». Il avait précisé qu’elle en trouverait tous les détails dans le dossier, mais elle n‘avait pas pris la peine de le lire. L’annonce de toute cette fortune qui lui tombait dans les mains avait été suivie par une suite ininterrompue de visites dans les boutiques de luxe à Montréal. Le dossier, lui, était resté à la même place où se trouvait ses vêtements : dans le coffre de la BMW. Elle était catastrophée. Elle écoutait le discours de Philippe sans rien y comprendre.

retrait — Lorsque je vous ai vue pour la première fois sur la plage, j’ai compris qu’il vous avait donné tous les détails de la vie de votre oncle dans ce décor paradisiaque.

retrait « Mais de quoi parlait-il ? » pensa Sophie. Le premier contact entre Philippe et elle avait eu lieu le matin même et... »Mon dieu, j’étais nue sur la plage. Il croit que je savais que mon oncle vivait nu à son chalet alors que tout cela n’était dû qu’à mon stupide accident... Et aussi aux croquis... Et enfin à la nudité des trois enfants sur la plage : une suite malheureuse de circonstances imprévues. » Mais Philippe ne se doutait de rien. Il lui tendit le bâton tout en continuant son discours.

retrait — Voici ma chère Sophie le bâton de commandement de votre oncle. Il me l’avait confié pour que je vous le transmette le plus vite possible, car il était sûr que son héritière serait digne d’un tel honneur.

retrait Elle fixa les yeux sur les fines sculptures qui reprenaient celles que l’on voyait sur le totem un peu plus loin. De quel commandement était-elle investie ? Elle n’eut pas le temps de se poser la question . Philippe esquissa un large mouvement de sa main vers la troupe des enfants qui les entouraient.

retrait — Et à partir de maintenant, tous ces enfants qui ont été si longtemps les enfants de votre oncle sont à partir d’aujourd’hui vos enfants. Bienvenue dans votre nouvelle famille.

retrait « Mes enfants ! ces enfants sont mes enfants ! « Sophie n’en revenaient tout simplement pas. Que voulait dire Philippe ? Elle devinait qu’il y avait derrière cette affirmation une figure de style : elle n’avait qu’à parcourir des yeux la foule des enfants pour comprendre que son oncle n’avait pas pu procréer autant d’enfants que cela, surtout qu’on y voyait des enfants de toutes les races possibles. Pourtant elle voyait dans leur regard un sentiment de joie et de plaisir avide à l’accueillir. Le petit Rémi et son frère Éric, tout en lui tenant toujours la main, avaient appuyé leur tête sur son bras et leur regard cherchait le sien. Une image très forte apparut alors dans son esprit : Wendy dans le roman de J.M. Barrie. Elle regarda amusée Philippe : il faisait un Peter Pan un peu vieux pour le rôle.

retrait — Vous savez, mon cher, si j’ai une certaine similitude par ma taille et mon âge avec Wendy dans « Peter Pan », je peux, c’est vrai, jouer le rôle de maman pour tous ces « enfants perdus », mais j’ai un aveu à vous faire : je suis pourri lorsqu’il s’agit de raconter des histoires. Ils vont être très déçus.

retrait Plusieurs adultes autour de Philippe éclatèrent de rire. L’image était frappante : Sophie entourée de tous ces enfants déguisés en indiens apparaissaient comme l’héroïne du roman. Philippe, lui-même, se permit un petit sourire en coin. Il devait penser à l’attirance de Peter Pan envers l‘adolescente. Sophie crut alors bon de rajouter.

retrait — En ce qui vous concerne, Philippe, vous êtes loin de ressembler à Peter Pan. Votre âge, votre apparence physique et surtout votre regard n’est plus, j’en suis sûr, celui que le jeune héros portait sur Wendy.

retrait Son sourire se transforma en un joyeux éclat de rire. Il s’approcha d’elle et la touchant par l’épaule, il lui indiqua le « village indien ».

retrait — Allez, venez. Nous avons préparé en votre honneur un festin et contrairement à celui du roman, vous n’aurez pas besoin de votre imagination pour le déguster.

retrait Madame Dumais se joignit à eux.

retrait — Vous savez, lorsque nous avons organisé cette soirée de bienvenue, il n’était pas question d’une thématique bien précise. En fait, lorsque votre oncle m’a proposé, il y a quelques années, l’entretien de sa maison, il a vite découvert mes origines amérindiennes. Ma grand’mère était huronne-wendat, de l’ancienne Lorette près de Québec. Comme tous les Français, votre oncle était fasciné par la culture des premiers peuples . Je dois avouer qu’avec ses lectures, il en connaissait plus que moi sur mes ancêtres. Mais c’est Philippe qui a un peu mis en branle tout cela.

retrait Sophie tourna la tête vers la droite . Le jeune homme s’engagea dans la conversation.

retrait — Oui, j’avais un diplôme de gestion en loisirs, mais je ne l’avais jamais mis en pratique. Pour ne pas être au chômage, je travaillais comme coloriste dans une boîte de dessins animés. J’y ai rencontré votre oncle qui venait y porter des scénarios. Nous sommes devenus de grands amis et il m’a suggéré de partir tout ce que vous voyez ici.

retrait — C’est un camp de vacances ?

retrait — Oui, mais au départ, il voulait seulement reproduire un village amérindien huron avec ses « maisons longues », une par clan et le totem au centre. C’était imaginé à partir d’une description écrite par l’explorateur Jacques Cartier.

retrait — Je sais. Il m’avait envoyé le livre, mais sans me parler de son projet.

retrait — Avant que j’arrive dans le décor, il voulait en faire un centre d’interprétations, mais Louise comme animatrice, Arthur comme constructeur et lui n’ont pas eu un très gros succès. C’est alors que je leur ai proposé d’en faire un centre de vacances…

retrait —... Naturistes.

retrait — Oui, un centre naturiste. Comme je l’étais moi-même et que je connaissais du monde intéressé, cela a été facile. La thématique amérindienne portée sur le respect de la nature est en accord complet avec la philosophie naturiste.

retrait — Mais tous ces enfants ?

retrait — Au départ, c’était un camp familial où les parents venaient avec leurs enfants, mais ces derniers rechignaient à repartir après les deux semaines de congés. Le camp s’est peu à peu transformé durant l’été en colonie de vacances. Comme vous pouvez le constater, c’est un succès. Même des parents non naturistes nous envoient leurs jeunes . Les cultures amérindienne et naturiste font de cette jeunesse des êtres tolérants, équilibrés et à l’esprit ouvert.

retrait Tout en écoutant les propos du jeune homme, Sophie balayait du regard les jeunes qui avançaient vers la place centrale. Ils respiraient tous la santé autant physique que mentale. On sentait dans leur figure le plaisir de vivre l’instant présent . Il n’y avait dans leurs yeux aucune question angoissante. Sophie se souvenait encore des moments de désarroi qu’elle avait vécus durant sa puberté. Vivre nu permettait à ces enfants de connaître leur corps et en cohabitant avec les plus vieux d’en accepter plus facilement les transformations. Elle était convaincue que ces enfants-là deviendraient des adultes à l’aise avec leur corps et avec leur sexualité, ce qu‘elle n‘était manifestement pas lorsqu‘elle songeait à tout ce qu‘elle avait découvert depuis ce matin. Même si elle se sentait un peu plus détendue face à toute cette nudité, elle redoutait encore de se retrouver seule avec le jeune homme. Elle sursauta lorsque Philippe lui toucha l’épaule.

retrait — Nous voici prêt à festoyer, Sophie. Comme vous êtes l’invitée d’honneur, c’est à vous de choisir la première.

retrait Sophie eut un moment de recul. Le choix n’était pas trop difficile : hot-dog ou hamburger. C’était plus dans la garniture que l’on devait choisir. Philippe lança son petit rire habituel.

retrait — Oui je sais. Le festin est spartiate, mais notre principal bailleur de fonds, votre oncle, nous a fait défaut. J’espère que son héritière reprendra le flambeau comme vous avez repris le bâton de commandement.


retrait — Parlant de ce bâton, que signifie-t-il ? J’ai cru comprendre que mon oncle avait une certaine responsabilité face à ces enfants.

retrait — Comment cela ? Auriez-vous signé tous ces papiers chez le notaire sans en lire le contenu ?

retrait — Philippe, vous le savez bien. La plupart du temps, nous signons sans vraiment lire ou comprendre. Nous faisons confiance, surtout lorsque nous avons devant nous des gens crédibles comme un notaire ou un banquier. C’est d’ailleurs ce qui fait après coup la fortune de tous les avocats du monde civilisé. Mais vous me faites peur. Aurais-je engagé ma responsabilité dans quelque chose ?

retrait — Sophie, non seulement vous vous êtes engagée, mais vous êtes la propriétaire de ces lieux que vous nous louez pour un dollar symbolique chaque année et vous êtes aussi la présidente de l’association « Jeunesse Naturiste du Québec » que votre oncle avant vous finançait généreusement.

retrait La jeune fille se rappelait les lettres « JNQ » brodées sur la chemise de François le matin même. Elle comprenait ce que Philippe avait voulu dire lorsqu’il l’avait accueilli dans sa « grande famille ». Il ne parlait pas de ses propres enfants, mais de cette association : « Une colonie de vacances naturiste ! Je suis à la tête d’un organisme d’enfants qui se promènent nus sans la moindre gêne. Moi qui hier encore n’avait pas osé montrer un morceau de peau depuis mon enfance. » Tout en se préparant un hot-dog, elle se retourna vers le groupe d’adultes qui l’entourait.

retrait — J’ai un aveu à vous faire. Je n’ai pas lu les papiers que j’ai signés, encore moins le dossier qui est resté depuis trois mois dans le coffre de la voiture. J’étais tellement excitée par ce qui m’arrivait, j’ai posé le dossier dans le coffre de la BMW et je l’ai oublié complètement. Mais j’ai quelque chose de plus important à vous dire : je ne suis pas naturiste...
(à suivre)
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roger
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Par Roger SCHAEFFER


-CHAP.25-


retrait À cette annonce, tous les adultes et les enfants présents se mirent à rire aux éclats. Madame Dumais s’approcha d’elle.

retrait — Vous n’êtes pas naturiste ? Eh bien, à vous voir présentement, cela ne se remarque pas. Au moins vous ne pourrez pas nier l’évidence. Vous êtes nue.

retrait Ce fut à Philippe d’intervenir.

retrait — Au moins pour une textile (c’est le nom que nous donnons aux non-naturistes), vous cachez bien votre jeu.

retrait — Oui, je sais que ce n’est pas évident, mais ma tenue est due au départ à un malheureux concours de circonstances, à une histoire qui n’a commencé qu’hier au soir. Si votre fils Éric n’avait pas eu sa crise d’asthmes, si votre fils François n’avait pas débouché dans l’allée comme un diable en furie…

retrait Philippe, les yeux écarquillés, leva la main pour arrêter la jeune fille.

retrait — Mais de quoi parlez-vous ?

retrait C’était à Sophie de ne plus rien comprendre.

retrait — De l’accident bien sûr. Vous le savez, nous en avons parlé ce matin. Monsieur Dumais nous en a donné toutes les explications, la raison pour laquelle François avait pris votre voiture.

retrait — Non, non, je comprends cela, mais vous avez dit « votre fils Éric, votre fils François ». Attendez un peu : quel âge me donnez-vous ?

retrait Sophie était confuse. Elle ne savait plus trop quoi répondre. Elle ne voulait pas le vexer en se trompant. Il était beaucoup plus musclé et plus mature que son « petit ami Christian » qui avait comme elle dix-neuf ans. Elle hésita.

retrait — Je ne sais pas. Peut-être trente ans. Un peu moins. Vingt-huit à peu près.

retrait — Eh bien que ne vous en déplaise, j’ai vingt-quatre ans. Je n’ai pas mes papiers pour le prouver, ce qui est un des rares désavantages de la nudité.

retrait Il eut ce même petit rire sardonique qui le caractérisait puis il continua son discours devant une Sophie cramoisie. Elle commençait à comprendre où il voulait en venir.

retrait — François en a quatorze. Nous devons donc en conclure que je suis devenu l’heureux père de ce garçon à l’âge incroyable de dix ans. Avouez ma chère Sophie, que j’ai dû battre un record Guinness.

retrait La jeune fille ne savait plus où se mettre. Avoir l’air d’une innocente habillée est une chose, nue en était une autre . Elle manqua de s’étouffer avec une bouchée de hot-dog. Madame Dumais vint à son secours pendant que Philippe, après avoir fini de rire, éclaircissait la méprise.

retrait — François est le fils de ma sœur ainée . Il est aussi mon filleul et comme il n’y avait que dix ans de différence entre lui et moi (il se permit de sourire), j’ai été plus souvent son grand frère qu’un oncle et encore moins un père .

retrait Le hot-dog avait finalement réussi à passer par le bon trou. Sophie put enfin répondre.

retrait — Je suis confuse Philippe. Je ne sais pas comment j’ai été amené à penser ainsi : encore là, c’est une suite de malheureuses circonstances. Je suppose que Christelle qui doit avoir dans les douze ans n’est pas non plus votre fille.

retrait — Non en effet. Là encore, ce serait un exploit pour le jeune garçon que j’étais. Par contre eux aussi font partie de ma parenté. Christelle et ses frères sont les enfants de mon frère qui a eu la malchance de perdre son épouse en début d’année. Bon, maintenant que ma généalogie est complétée, je suggère que nous buvions en l’honneur de votre arrivée parmi nous. Cela vous permettra aussi de faire passer le hot-dog qui vous est resté à travers la gorge.

retrait Sophie fut soulagée que sa méprise soit oubliée au profit de ce verre de bienvenue même si tout ce qu’elle venait d’apprendre la troublait au plus haut point. Qu’elle soit propriétaire d’un terrain où l’on pratiquait le naturisme ne la choquait pas vraiment. Peut-être découvrirait-elle d’autres surprises du même genre dans l’héritage de son oncle ? Elle se promit d’éplucher le fameux dossier oublié dans le coffre de la voiture. Récupérer ses vêtements dans ce même coffre ne semblait même plus la priorité. Cela la fit sourire : elle était devenue confortable avec l’idée de se promener nue. Par contre son titre de présidente d’une association de jeunes naturistes était plus dérangeant. Elle n’était d’ailleurs pas sûre qu’elle ait reçu ce titre en héritage. « Nous ne sommes plus à l’époque des rois et des fonctions héréditaires » s’amusa-t-elle à penser.

retrait Ce fut madame Dumais qui la sortit de ses pensées. Elle lui apportait un verre de punch aux fruits. Les adultes et les enfants se tenaient en ligne sur deux colonnes distinctes pour recevoir eux aussi leur verre. Quand tout le monde fut servi, Philippe reprit la parole pour souhaiter de façon officielle la bienvenue à la jeune fille. Être le centre d’attention de tous la gênait au plus haut point. Ne sachant pas quelle attitude prendre, elle vida inconsciemment son verre et lorsque chacun voulut lui porter un toast, on dut le remplir une seconde fois. Enfin elle reçut du jeune homme un parchemin qui la nommait « grand chef honoraire de la jeunesse naturiste amérindienne du Québec. »

retrait La cérémonie terminée, tout le monde se dirigea vers le bord du lac pour admirer autour du grand feu une série de spectacles offerts par les différents clans. De peur de renverser son verre durant le trajet, elle le vida une seconde fois. De toute façon madame Dumais aidée par les moniteurs transporta les bols de punch sur des tables disposées sur la plage. Chacun pouvait ainsi se resservir à volonté pendant le spectacle.

retrait Sophie admira différentes formes de danses amérindiennes présentées par les plus jeunes . On plaisanta le clan du castor, des enfants de sept ou huit ans, qui présentaient une danse de la pluie. Heureusement elle n’eut pas l’effet escompté. Les adolescents réveillèrent un moment la nature endormie grâce à un ensemble de tambour impressionnant d’une vingtaine d’instruments. Sophie eut de très grands doutes sur l’origine amérindienne des rythmes entendus : ils s’approchaient plus de musique latino ou jamaïcaine. Pour terminer une chorale réunissant les plus belles voix du camp tout entier fit entendre à Sophie les vieilles chansons de la Nouvelle-France. Elle reconnut beaucoup d’airs du folklore français adaptés au Québec. Ainsi « la route de Louviers » était devenu « la route de Berthier » en traversant l’Atlantique. Était-ce la nostalgie de ces bonnes vieilles chansons ou le bon goût du punch, elle alla plusieurs fois dans la soirée remplir son verre. Elle n’était pas la seule à apprécier cette boisson : les enfants en redemandaient.

retrait Comme la chorale avait terminé sa prestation, Philippe annonça que c’était au tour des adultes de montrer leur talent. Il avait amené avec lui sa guitare. Pendant qu’il la sortait de son étui, Sophie jugea que c’était le bon moment pour aller se chercher un dernier verre de punch. Elle s’appuya sur le bras gauche pour se soulever, mais ce fut comme si la terre se dérobait de sous ses pieds : tenant le verre vide de la main droite, cherchant à poser son genoux gauche à terre, la jambe droite glissa et elle se retrouva à quatre pattes non pas à la place qu’elle venait de quitter, mais dans les bras de son voisin, Philippe. Heureusement il n’avait pas eu encore le temps de sortir la guitare de son étui. Tenant la jeune fille serrée contre lui, il lui offrit son meilleur sourire.

retrait — Je sais que j’ai un charme fou, mais vous devriez plutôt attendre que les enfants ne soient plus ici pour me sauter au cou.

retrait Heureusement madame Dumais se précipita pour la sortir de ce mauvais pas. Elle put grâce à elle reprendre sa position assise.

retrait — Ma chère Sophie, je crois que vous avez un peu trop abusé du punch.

retrait — Comment cela Louise ? Je n’ai bu que du punch. Vous n’allez pas me dire que ce punch contient de l’alcool.

retrait — Bien sûr que si. C’est une recette cubaine. Votre oncle qui était un passionné des plages de Cuba, nous rapportait chaque année une provision de rhum. J’en sers à chacune des grandes fêtes que nous organisons.

retrait La jeune fille regarda les enfants qui avaient défilé toute la soirée pour se servir de la boisson : ils se tenaient debout sans la moindre gêne. Madame Dumais comprit la méprise de Sophie.

retrait — Regardez les bols de punch : Les trois à droite sont pour les enfants. Ils sont composés de jus de fruit. Celui de gauche est réservé pour les adultes. C’est le seul qui contient du rhum.

retrait Sophie était catastrophée. Comment avait-elle pu s’enivrer ainsi sans s’en rendre compte ? Philippe profita de la situation pour s’emparer de sa guitare et chantonner d’un ton moqueur « La Madelon vient nous servir à boire « . La jeune fille ne savait plus où se mettre. Heureusement les plus jeunes des enfants avaient regagné les longues maisons et les plus vieux ne tardèrent pas à les imiter. Il ne resta qu’un groupe restreint autour du feu pour profiter des talents du guitariste.

retrait Lorsque les dernières braises se raréfièrent, chacun pensa à aller se coucher. On inonda l’emplacement du feu, on ramassa les couvertures oubliées puis monsieur et madame Dumais, aidés par les moniteurs, remontèrent vers le camp les tables et les bols à punch. Il ne resta bientôt plus que Sophie et Philippe.
(à suivre)
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roger
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Re: Histoire de Roger : JE VEUX MA MAMAN

Message par roger »

JE VEUX MA MAMAN
Par Roger SCHAEFFER
-CHAP.26-


retrait Elle venait de lui parler de Linda Lemay, très populaire en Europe. Tout en s’aidant de sa guitare, il cherchait une chanson de l’artiste dont il avait appris l’air. Elle le regardait, attentive à ses efforts. Il essayait un accord puis un autre, répétant sans cesse les premières paroles de la chanson. Ses yeux plissés se penchaient sur ses doigts de la main gauche, les appuyaient avec précision sur la touche en ébène et essayaient de la main droite un nouvel accord.

retrait — Une mère... Une mère... Ah oui, je l’ai. Écoutez Sophie. Une mère ça travaille à temps plein. Ça dort un œil ouvert. C’est de garde comme un chien . Ça court au moindre bruit…

retrait Sophie écoutait et plus elle écoutait, plus ses yeux se remplissaient de larmes. Elle ne savait pas pourquoi, mais les chansons ou les films lui faisaient cet effet là. Il suffisait que les mots mère, père, enfant, départ soient prononcés et son corps tout entier ressentait de la nostalgie ou de la tristesse. Ce n’était pas de petites «larmettes», non, mais de bonnes grosses larmes qui lui remplissaient les yeux, coulaient à gros bouillons le long de ses joues pour se rejoindre au menton. Sa poitrine se soulevait et ses lèvres laissaient échapper de terribles soupirs. Sa dernière crise lui était venue à Paris, quelques jours avant son départ pour le Québec. Elle était allée voir le dessin animé ‘Toy story 3’. Lorsque le jeune garçon donnait ses jouets à la petite fille, elle avait été prise d’une crise majeure. Dans ces moments-là, elle se trouvait ridicule, mais c’était plus fort qu’elle. Elle se souvenait que juste derrière elle dans la salle obscure, se trouvait une bande de jeunes garçons qui manifestement n’éprouvaient aucune peine à la conclusion du film. Elle avait paniqué un moment. Se moqueraient-ils d’elle ? Elle avait attendu tout le générique, mais heureusement, ils étaient disparus dès la dernière image.

retrait Philippe déroulait peu à peu la chanson, les yeux fermés ou concentrés sur sa main droite.

retrait —... Une mère ça fait ce que ça peut. Ça ne peut pas tout faire, mais ça fait de son mieux…

retrait Sa crise de larmes s’amplifia, car ce n’était plus de toutes les mères dont la chanson parlait, mais plus particulièrement de la sienne. Sophie la détestait depuis sa prime adolescence. Elle l’avait séparée de son père et cela la jeune fille ne lui avait jamais pardonné. ‘Une mère ça fait ce que ça peut.’ Derrière sa sévérité, ses rancœurs, sa mère avait consacré toute ces dernières années à Sophie. Elle venait de comprendre qu’une mère n’est pas une héroïne, mais un être humain avec ses rêves brisés, ses attentes irréalistes. ‘Il faut que je lui écrive plus souvent’ pensa-t-elle. La jeune fille regarda Philippe qui, toujours concentré sur sa guitare, terminait la chanson.

retrait — Et lorsque, toute seule ça se retrouve, ça attend dignement qu’le firmament s’entrouvre. Et puis là, ça se donne le droit de fermer pour la première fois les deux yeux à la fois.

retrait La dernière note jouée, il se permit de rouvrir les yeux, de lever la tête et tranquillement son regard se posa sur Sophie. Lorsqu’il découvrit l’effet qu’il avait produit, il en fut bouleversé. Dans d’autres circonstances, il aurait joué de ‘son humour particulier’ comme le lui rappelait souvent madame Dumais, mais là dans la solitude de cette plage, devant ce feu éteint, il comprenait que tout sarcasme était déplacé. Il posa sa guitare et se levant à moitié, il se pencha sur la jeune fille. Il lui toucha délicatement l’épaule, mais n’osa pas aller plus loin. Ils étaient nus. Sophie leva la tête et eut un sourire gênée à travers ses larmes qui lui brouillaient la vue.

retrait — Ne vous en faîtes pas Philippe. Je pleure comme une fontaine à la moindre chanson romantique. J’ai pensé à ma mère et voilà, les grandes eaux se sont mises à jaillir. Je suis ridiculement émotive.

retrait — Vous devriez inviter votre mère à venir. Non ?

retrait — Je crois qu’elle aurait une attaque cardiaque si elle nous voyait en ‘tenue de nature’ comme vous dites si bien. Parlant de cela, je crois que je commence à avoir froid. Il se fait tard aussi.

retrait Sophie et Philippe regardèrent tout autour d’eux. Les deux jeunes gens n’avaient pas encore pris conscience du départ des autres . Ils se sentirent soudainement intimidés. Ils se regardèrent un instant. La jeune fille décida qu’elle devait se lever, mais le rhum du punch aux fruits faisait toujours de l’effet. Après un effort, elle se retrouva à quatre pattes dans une position ridicule. Que devait-elle faire ? Il n’était pas question qu’elle reste dans cette position en attendant que l’alcool se dissipe. Heureusement Philippe avait moins bu. Il vint à son secours.

retrait — Attendez Sophie, je vais vous aider. Vous n’auriez pas dû boire autant.

retrait — Si j’avais su qu’il y avait deux sortes de punch, je me serais servi dans celui des enfants, soyez-en sûr.

retrait Philippe la prit par les épaules et la souleva avec une telle énergie qu’elle se retrouva debout en une seconde, le dos collé à la poitrine du jeune homme. Elle sentit sur les fesses son sexe. Affolée, elle avança brusquement. Mais il ne semblait pas aussi troublé qu’elle. Il se pencha tranquillement pour ramasser la couverture.

retrait — Tenez, enveloppez-vous dans cela. Vous aurez moins froid. Je vais vous raccompagner jusqu’au chalet. Elle regarda la longue allée boisée qui longeait le lac. Elle l’avait parcouru accompagnée d’une escorte à l’aller. Elle ne se voyait pas y marcher seule pour le retour. Elle lui lança un sourire de reconnaissances.

retrait — Savez-vous Philippe s’il y a beaucoup d’ours dans cette forêt ? Le notaire…

retrait — Soyez sans crainte, jeune fille. Les ours noirs ne sont pas très gros et en règle générale ils ont plus peur des humains que l’on pense. Ils peuvent se montrer dangereux lorsqu’il s’agit d’une femelle et de ses petits ou si vous les surprenez en train de déguster une talle de mûres sauvages. Mais ici, les petits fruits ont été ratissés par nos enfants. Il n’y a pas de risque d’en trouver. De toute façon, je vais vous servir d’ange gardien. Allez, appuyez vous sur moi. On y va.

retrait Sophie ne se sentait pas bien. À sa peur des ours s’ajoutait sa peur de l’homme. Elle se retrouvait seule avec lui, en ‘état de nature’ et donc plus vulnérable que jamais. Elle avait peur aussi d’elle-même, de ce désir qu’elle avait de ‘connaître un homme’ comme si les discours moralisateurs de sa mère contre le sexe fort avaient produit l’effet contraire. Elle chercha à ne pas trop s’appuyer sur lui, même si la couverture mettait un écran entre elle et lui. Malheureusement son taux d’alcool dans le sang ne lui permettait pas d’avoir une démarche assurée. Heureusement le trajet fut moins long qu’à l’aller. Ils débouchèrent sur le sable du chalet.

retrait — Tenez, Sophie, assoyez-vous un instant sur cette roche et admirons le paysage. Il arrive que nous puissions voir d’ici des aurores boréales.

retrait La roche était étroite. Il vint s’asseoir à ses côtés . Leurs bras se touchaient. Elle en tremblait de nervosité.

retrait Une idée bizarre vint occuper l’esprit de la jeune fille. Elle se demanda si elle saurait faire fonctionner la cafetière du chalet. Elle savait qu’en posant la question qui lui venait à l’esprit, c’était comme si elle invitait le jeune homme à poser le geste qu’elle redoutait et espérait en même temps.

retrait — Philippe ?

retrait — Oui ?

retrait — Philippe, aimeriez-vous que... Enfin non, voulez-vous venir prendre un café au chalet ?

retrait — Là, maintenant ? Vous en êtes sûr. Vous n’êtes pas trop fatigué ? Vous avez bu Sophie. Ce n’est peut-être pas trop... Comment dire ... Le moment approprié.

retrait — Mais au contraire. Le café est un bon moyen pour éliminer les vapeurs d’alcool. Je sais ce que je fais, voyons-donc, je ne suis plus un enfant.

retrait Elle était contrariée qu’il avance l’argument de la boisson alors qu’au contraire, sans le rhum du punch, elle n’aurait jamais osé faire une telle proposition. Mais Philippe était sous des dehors machistes un homme honnête qui ne voulait pas abuser de la situation.

retrait — D’accord, nous allons prendre un bon café. Cela nous réchauffera, mais avant, je voudrais que vous jetiez un coup d’œil au-dessus de votre tête. Regardez comme c’est beau. Je ne m’en lasse jamais. Ici au Lac des Cornes, pas une seule lumière ne vient interférer. Regardez toutes ces étoiles. Il y en a des milliers. Pas un seul coin du ciel qui n’en ai été couvert.

retrait Sophie pencha la tête en arrière pour mieux regarder. Elle sentit comme un étourdissement et dut revenir vers l’avant.

retrait — Tenez Sophie. Donnez-moi la couverture. Nous allons l’étaler sur le sable. Ainsi couché, nous verrons toute l’étendue du ciel et vous ne serez pas étourdie.

retrait Elle lui tendit la couverture et se sentit gêné de se retrouver nue. Il l’aida à se coucher dessus puis vint la rejoindre. Ainsi couchés sur le dos, ils admirèrent le ciel étoilé, mais ils savaient que ce n’était plus l’objet de leur préoccupation. Sophie tremblait.

retrait — J’ai froid Philippe. Peut-être devrions-nous rejoindre le chalet... Ou même la gloriette. J’y ai dormi la nuit dernière.

retrait Le jeune homme s’accota sur son coude et la regarda nerveusement.

retrait — Voulez-vous que je vous réchauffe, Sophie ?

retrait Elle répondit un petit oui à peine audible, mais qui ressemblait dans son esprit au ‘oui, je le veux’ d’une cérémonie officielle. Philippe colla son corps au sien, ses lèvres aux siennes. Et Sophie connut enfin la jouissance qu’elle espérait depuis le début de son adolescence. Ce ne fut que bien longtemps après que le jeune homme emporta Sophie dans ses bras vers la gloriette au bout du quai.

retrait Elle se réveilla aux premières lueurs du jour. Un rayon de soleil s’amusait à travers les vitres de la gloriette jusqu’au miroir et repartait en direction de ses yeux. Elle entendit une discussion entre plusieurs enfants qui devait être en partie aussi la cause de son réveil. Elle se dressa sur son coude. Ils arrivaient à la porte de la gloriette. Christelle entra la première, suivie de Jean-Louis et des deux jumeaux. Sophie sentait qu’il y avait une question importante à régler et la petite fille avait été déléguée pour la poser.

retrait — Je peux-tu vous poser une question ?

retrait — Oui bien sûr ma chérie. Surtout que vu l’heure, elle doit être très importante. Je suis tout à fait réveillé pour y répondre.

retrait — Eh bien voilà. Mes frères et moi, on a toujours appelé le monsieur qui habitait ici ‘Mon oncle’. Maintenant qu’il est... (elle regarda un instant Rémi et Éric)... Parti, on se demandait si on pouvait vous appeler ‘ma tante’.

retrait Sophie n’eut pas à répondre à la question. On entendit un grognement sortir de sous la couverture puis la tête de ‘l’oncle Philippe’ apparut au-dessus de l’épaule de Sophie.

retrait — Oui les enfants. Vous allez avoir bientôt une vraie raison de l’appeler votre tante.

retrait Les enfants restèrent un moment ébahis par cette apparition, mais comme ils avaient été élevés de façon naturelle, Ils ne s’en étonnèrent pas plus longtemps et se chamaillèrent à qui serait le premier à monter dans le hamac.
(FIN)
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Arkayn
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Re: Histoire de Roger : JE VEUX MA MAMAN

Message par Arkayn »

La fin était attendue, bien sûr, mais on attendait de voir comment se déroulerait le chemin.

Bravo ! C'est une très belle histoire.
La vitesse de la lumière étant supérieure à celle du son, certains brillent en société... jusqu'à ce qu'ils l'ouvrent !
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Re: Histoire de Roger : JE VEUX MA MAMAN

Message par bobettebob »

J'ai pris du retard dans la lecture, mais j'ai clanché ça samedi matin, bien installé dans mon lit, tablette en main.

J'ai adoré l'histoire. On s'accroche bien aux personnages, on ne peut s'empêcher de sourire à la deuxième instance de "la belle aux bois dormant", tellement cute :) Plusieurs détails laissés en suspend pourraient servir à une éventuelle suite, dont certains questionnements : Sophie doit-elle retourner à Montréal pour quelque raison que ce soit (genre, payer le loyer de son appartement et autres obligations) ? Une fois sa valise et les papiers du notaire retrouvés, trouvera-t-elle des clauses surprises ? Quel rôle attend-on d'elle sur le site ?

La partie de réparation de la BMW m'a laissé un peu, "comment ça?", mais en revisant, ça fait bien du sens. Au chapitre 16, M. Dumais a effectué un appel téléphonique à Mont-Laurier à partir d'un bureau dans le chalet, puis à la fin du chapitre, M. Dumais part en dépanneuse avec la BMW. Doit-on présumer que l'histoire se déroule avant l'ère du cellulaire ou que les personnages n'en ont tout simplement pas ? Chapitre 20, il est convenu que Philippe fasse visiter le coin à Sophie et partent avant le départ de M. Dumais où il était convenu qu'il retourne avec les enfants au chalet. Là où j'accroche, c'est que Philippe et M. Dumais n'ont pas convenu d'un endroit où disposer sécuritairement des pièces d'auto qu'ils sont allés chercher à Mont-Laurier, d'où la fin du chapitre 22. Il me semble bizarre de revenir au chalet avec les pièces dans la camionnette et que M. Dumais les reprennent le lendemain dans sa dépanneuse en direction de son atelier...

L'intrigue de la fête grandiose était toute aussi surprenante. L'anticipation, la peur des ours, la centaine d'invités pour souligner l'arrivée d'une jeune femme, elle devait être vraiment dépassée par les événements ! Par contre, à la toute fin, on s'attendait à ce que ce soit Rémi qui réveille Sophie dans la gloriette, mais puisqu'elle était déjà réveillée et que ce soit la fille qui prenne parole, c'est juste parfait.
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Re: Histoire de Roger : JE VEUX MA MAMAN

Message par Amiel »

L'histoire est superbe, c'est sûr que si on cherche on va toujours retrouver des petites imperfections dans n'importe lequelle histoire.

Restons positif et admirons le beau travail d'écriture.

Merci Roger! J'ai déjà hâte à la suivante. :thumbsup:
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roger
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Re: Histoire de Roger : JE VEUX MA MAMAN

Message par roger »

à Arkayn : oui, la fin était prévisible. C'est normal : J'ai écrit cette nouvelle en utilisant la structure narratologique des romans Harlequin. Ces petits romans à l'eau de rose ne laisse aucune surprise à leurs lectrices.
à Bobettebob : oui, il pourrait y avoir une suite. J'avais prévu de faire venir d'Europe la mère de Sophie amenant avec elle un gros secret qui va encore bouleverser notre pauvre petite jeune fille. Mais malheureusement je n'ai pas eu le temps de l'écrire cette fichue suite. J'ai trop de projets en route.
Oui, l'histoire se déroule avant l'invention du cellulaire. Je n'en ai pas moi-même. Je ne sais même pas comment ça fonctionne ces petites bêtes là. Peut-on s'en servir en pleine forêt ? Mystère.

Merci pour vos commentaires. :thumbsup:
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Re: Histoire de Roger : JE VEUX MA MAMAN

Message par Arkayn »

Il faut qu'il y ait un relais à proximité pour que les cellulaires puissent capter. Visiblement, le centre est assez important dans ton histoire. Donc il y a des chances pour que ce soit le cas.

Après, cela dépend de la couverture végétale. Trop importante, elle risque de bloquer les ondes. Mais c'est ton histoire. Si tu décides que l'on capte, on capte ! :animatedwink:
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